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Coulez, ondes, coulez. Volez, rapides feux, el al
Voile azuré des airs, embrassez la nature.

Terre, enfante des fruits, couvre-toi de verdure.

Naissez, mortels, pour obéir aux dieux.

Si au contraire les sentimens ou les images que l'on peint sont destinés à former un air d'un dessin continu et simple, l'unité de couleur et de ton est essentielle au sujet même, et c'est le vague de l'expression qui facilitera le chant. Pour que l'intelligence fût plus parfaite, on sent bien qu'il seroit à souhaiter que le poète fût musicien luimême; mais, s'il ne réunit pas les deux talens, au moins doit-il avoir celui de pressentir les effets de la musique, de voir quelle route elle aimeroit à suivre si elle étoit livrée à elle-même; dans quels momens elle presseroit ou ralentiroit ses mouvemens; quel nombre et quelles inflexions elle emploieroit à exprimer tels sentimens ou telle image, et quel tour d'expression lui donnent de plus belles modulations. Tout cela demande une oreille exercée, et de plus un commerce intime, une communication habituelle du poète avec le musicien : mais peut-être aussi la nature a-t-elle mis une intelligence secrète entre le génie de l'un et le génie de l'autre; peut-être est-ce au défaut de cette sympathic que nos poètes les plus célèbres n'ont pas réussi dans le gente lyrique. Il est vrai du moins qu'en voyant la poésie médiatrice entre la nature et l'art, obligée d'imiter l'une et de favoriser l'autre, de prendre le langage qui convient le mieux à celui-ci, et qui peint le mieux celle-là, de leur ménager, en un mot, tous les moyens de se rapprocher et de s'embellir mutuellement, le talent du poète lyrique, au plus haut degré, doit paroître un prodige. Que sera-ce donc si l'on considère l'opéra français comme un poème, où la danse, la peinture et la mécanique doivent concourir, avec la poésie et la musique, à charmer l'oreille et les yeux? Or, telle est l'idée hardie qu'en avoit conçue le fondateur de notre théâtre lyrique; et l'on peut dire qu'en la concevant, il a eu la gloire de la remplir. L'opéra italien avoit commencé comme le nôtre; mais, par économie, on y renonça bientôt au merveilleux. Notre ancien théâtre, long-temps avant Quinault, avoit essayé de donner dans la tragédie le même genre de spec

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tacle; mais non seulement ce merveilleux étoit déplacé, il étoit burlesque on peut voir, par les vers suivans, quel étoit le langage de l'Aurore, de Vénus de Circé. Par exemple, voici comme on évoquoit les démons:

Sus Belial, Satan et Mildefaut,
Trochebinet, Sanciezain, Gribaut,
Franchipoulain, Noricot et Graincelle,
Asmodéus et toute la séquelle.

Cette évocation est un peu différente de celle-ci :

Sortez, démons, sortez de la nuit infernale,
Voyez le jour pour le troubler.

On juge bien que le langage des démons n'étoit pas moins différent de celui que Quinault leur a fait parler,

Goûtons le seul plaisir des cœurs infortunés.
Ne soyons pas seuls misérables.

Il est donc bien certain qu'à tous égards Quinault a été le créateur de ce théâtre,

Où les beaux vers, la danse, la musique,
L'art de tromper les yeux par les couleurs,
L'art plus heureux de séduire les cœurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique.

La danse ne peut avoir lieu décemment que dans des fêtes; elle est donc essentiellement exclue de l'opéraitalien, grave et tragiqué d'un bout à l'autre. Aussi les ballets qu'on y a introduits dans les entractes sont-ils absolument détachés du sujet, souvent même d'un genre contraire, et ce n'est alors qu'un bizarre ornement.

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Dans l'opéra francais, les fêtes doivent tenir à l'action comme incidens au moins vraisemblables; et il est difficile, mais non pas impossible, de les y amener à propos. Il est naturel que les plaisirs, les amours et les graces, présentent, en dansant, à Enée, les armes dont Vénus lui fait don; il est naturel que les démons, formant un complot

funeste au repos du monde, expriment leur joie par des mouvemens furieux et terribles.

Il y a des danses de culte; il y en a de réjouissance : les unes sont mystérieuses, les autres sont analogues aux mœurs. Les fêtes d'une cour et celles d'un hameau n'ont pas le même caractère.

Il faut distinguer en général la danse qui n'est que danse, et celle qui peint une action. L'une est florissante sur notre théâtre; mais l'autre, qui peut avoir lieu quelquefois, n'a 'pas été assez cultivée; et il existe en Europe un homme de génie qui lui fait exprimer des tableaux ravissans. Voyez Pantomime.

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S'il y a des exemples de fêtes ingénieusemeut amenées, y en a bien plus encore de fêtes placées mal à propos. Ce n'est pas seulement sur la scène, c'est dans l'ame des acteurs et des spectateurs qu'il faut trouver place à des réjouissances.

Dans l'opéra de Callirhoé, la désolation règne dans les murs de Callidon.

Une noire fureur transporte les esprits;
Le fils infortuné s'arme contre le père;
Le père furieux perce le sein du fils;

L'enfant est immolé dans les bras de sa mère.

Or, c'est dans ce moment que les Satyres et les Dryades viennent célébrer la fête du dieu Pan; et la reine, pour consulter le dieu sur les malheurs de son peuple, attend que l'on ait bien dansé.

Dans l'acte suivant, Callirhoé vient d'annoncer qu'elle -est la victime qui doit être immolée. Son amant au désespoir la laisse et court lui-même à l'autel.

Le bûcher brûle; et moi, j'éteins sa flamme impie
Dans le sang du cruel qui veut vous immoler..
J'attaquerai vos dieux, je briserai leur temple,
Dût leur ruine m'accabler.

Dans ce moment, les bergers des coteaux voisins viennent danser et chanter dans la plaine, et Callirhoé assiste à leurs jeux. Il est évident que si le spectateur est dans l'in

quiétude et la crainte, ces fêtes doivent l'importuner ; et, s'il s'en amuse, c'est qu'il n'est point ému,

Cette difficulté de placer des fêtes vient de ce que le tissu de l'action est trop resserré. Il est de l'essence de la tragédie que l'action n'ait point de relâche, que tout y inspire la crainte ou la pitié, et que le danger où le malheur des personnages intéressans croisse et redouble de scène en scène. Au contraire, il est de l'essence de l'opéra que l'action n'en soit affligeante ou terrible que par intervalles, et que les passions qui l'animent aient des momens de calme et de bonheur, comme on voit dans les jours d'orage des momens de sérénité. Il faut seulement prendre soin que tout se passe comme dans la nature, que l'espoir succède à la crainte, la peine au plaisir, le plaisir à la peine, avec la même facilité que dans le cours

des choses de la vie.

Quinault n'a presque pas une fable qu'on ne pût citer pour modèle de cette variéte harmonieuse; je me borne à l'exemple de l'opéra d'Alceste on y va voir réduite en pratique la théorie que je viens d'exposer.

Le théâtre s'ouvre par les noces d'Alceste et d'Admète, et l'alégresse publique règne autour de ces heureux époux. Lycomède, roi de Scyros, désespéré de voir Alceste au pouvoir de son rival, feint de leur donner une fête; il attire Alceste sur son vaisseau, et l'enlève aux yeux d'Admète et d'Alcide. Le trouble et la douleur prennent la place de la joie. Alcide s'embarque avec Admète pour aller délivrer Alceste, et punir son ravisseur. Lycomède, assiégé dans Scyros, résiste et refuse de rendre sa captive l'effroi règne durant l'assaut. Alcide enfin brise les portes, la ville est prise, Alceste est délivrée, et la joie reparoît avec elle. Mais à l'instant la douleur lui succède: on ramène Admète mortellement blessé; il est expirant dans les bras d'Alceste. Alors Apollon descend des cieux; il lui annonce que si quelqu'un veut se dévouer à la mort pour lui, les destins consentent qu'il vive, et l'espérauce vient suspendre sa douleur: cependant nul ne se présente pour mourir à la place d'Admète, et l'on voit l'instant où il va expirer. Tout-à-coup il paroît environné de son peuple, qui

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célebre son retour à la vie. Apollon a promis que les arts éleveroient un monument à la gloire de la victime qui se seroit-immolée pour lui: ce monument s'élève, et, dans l'image de celle qui s'est dévouée à la mort, Admète reconnoit sa femme. A l'instant même, tout le palais retentit de ce cri de douleur: Alceste est morte ! L'alégresse se change en deuil, et Admète lui-même ne peut souffrir la vie que le ciel lui rend à ce prix; mais vient Alcide qui lui déclare l'amour qu'il a pour Alceste, et lui propose, s'il veut la lui céder, d'aller forcer l'enfer à la lui rendre. Admete y consent, pourvu qu'elle vive, et l'espoir de revoir Alceste suspend les regrets de sa hiort. Pluton', touché du courage et de l'amour d'Alcide, lui permet de ramener Alceste à la lumière, et ce triomphe répand la joie dans tous les cœurs. Mais, à peine Admete a-t-il revu son épouse, qu'il se voit obligé de la céder, et leurs adieux sont mêlés de larmes. Alceste tend la main à son libérateur; Admète veut s'éloigner, Alcide l'arrête, et refuse le prix qu'il avoit demandé..

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Non, non, vous ne devez pas croire

Qu'un vainqueur des tyrans soit tyran à son tour.
Sur l'enfer, sur la mort, j'emporte la victoire;

Il ne manquoit plus à ma gloire

Que de triompher de l'amour.

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A la place d'une fable ainsi variée, prenez l'intrigue d'une tragédie dont l'intérêt soit continu, pressant, et rapide; retranchez-en tous les developpemens, toutes les gradations, tous les morceaux d'éloquence poétique, et serrez les situations de manière qu'elles se succèdent sans aucun relâche, alors vous aurez une suite de tableaux et de scènes pathétiques; rien ne languira, je l'avoue, le spectateur se sentira remué d'un bout à l'autre de l'action, if aura un plaisir approchant de celui que lui feroit la tragédie; mais ce plaisir ne sera pas celui de la musique. Il entendra des traits d'harmonie épars et mutilés, des coups d'archets pleins d'énergie, mais il n'entendra point de chant. Un tel spectacle pourra plaire dans sa nouveauté, mais, à la fongue, il paroîtra monotone et triste

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