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qu'on peut exciter par un autre ; et, comme le rapport ne peut être sensible que l'impression ne soit forte, la peinture, dénuée de cette force, rend difficilement à la musique les imitations que celle-ci tire d'elle. Que toute la nature soit endormie, celui qui la contemple ne dort pas, et l'art du musicien consiste à substituer à l'image insensible de l'objet celle des mouvemens que sa présence excite dans l'esprit du spectateur il ne représente pas directement la chose, mais il réveille dans notre ame le même sentiment qu'on éprouve en la voyant.

Ainsi, bien que la peinture n'ait rien à tirer de la partition du musicien, l'habile musicien ne sortira point sans fruit de l'atelier du peintre. Non seulement il agitera la mer à son gré, excitera les flammes d'un incendie, fera couler les ruisseaux, tomber la pluie et grossir les torrens; mais il augmentera l'horreur d'un désert affreux, rembrunira les murs d'une prison souterraine, calmera l'orage, rendra l'air tranquille, le ciel serein, et répandra de l'orchestre une fraîcheur nouvelle sur les bocages.

Nous venons de voir comment l'union des trois arts, qui constituent la scène lyrique, forme entre eux un tout trèsbien lié. On a tenté d'y en introduire un quatrième dont il me reste à parler.

Tous les mouvemens du corps, ordonnés selon certaines lois pour affecter les regards par quelque action, prennent en général le nom de gestes. Le geste se divise en deux espèces, dont l'une sert d'accompagnement à la parole, et l'autre de supplément. Le premier, naturel à tout homme qui parle, se modifie différemment, selon les hommes, les langues et les caractères; le second est l'art de parler aux yeux sans le secours de l'écriture, par des mouvemens du corps devenus signes de convention. Comme ce geste est plus, pénible, moins naturel pour nous que l'usage de la parole, et qu'elle le rend inutile, il l'exclut et même en suppose la privation: c'est ce qu'on appelle art des pantomimes. A cet art ajoutez un choix d'attitudes agréables et de mouvemens cadencés, vous aurez ce que nous appelons la danse, qui ne mérite guère le nom d'art, quand elle ne dit rien à l'esprit. Ceci posé, il s'agit de savoir si la danse, étant un langage, et, par conséquent, pouvant être un art d'imitation, peut

entrer avec les trois autres dans la marche de l'action lyrique, on bien si elle peut interrompre et suspendre, cette action, sans gâter l'effet et l'unité de la pièce.

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Or, je ne vois pas que ce dernier cas puisse même faire une question; car chacun sent que tout l'intérêt d'une action suivie dépend de l'impression continue et redoublée que sa représentation fait sur nous; que tous les objets qui partagent ou suspendent l'attention, sont autant de contrecharmes qui détruisent celui de l'intérêt; qu'en coupant le spectacle par d'autres spectacles qui lui sont étrangers, on divise le sujet principal en parties indépendantes, qui n'ont rien de commun entre elles que le rapport général de la matière qui les compose, et qu'enfin plus les spectacles insérés seroient agréables, plus la mutilation du tout seroit difforme ; de sorte qu'en supposant un opéra coupé par quelques divertissemens qu'on pût imaginer, s'ils laissoient oublier le sujet principal, le spectateur, à la fin de chaque fête, se trouveroit aussi peu ému qu'au commencement de la pièce; et, pour l'émouvoir de nouveau et ranimer l'intérêt, ce seroit toujours à recommencer, Voilà pourquoi les Italiens ont enfin banni des entr'actes de leurs opéra ces intermèdes comiques qu'ils y avoient insérés genre de spectacle agréable, piquant et bien pris dans la nature, mais si déplacé dans le milieu d'une action tragique, que les deux pièces se nuisoient mutuellement, et que l'une des deux ne pouvoit jamais intéresser qu'aux dépens de l'autre.

Reste donc à voir si la danse, ne pouvant entrer dans la composition du genre lyrique comme ornement étranger on ne l'y pourroit pas faire entrer comme partie constitufive, et faire concourir à l'action un art qui ne doit pas la suspendre. Mais comment admettre à la fois deux langages qui s'excluent mutuellement, et joindre l'art pantomime à la parole qui le rend superflu ? Le langage du geste, étant la ressource des muets ou des gens qui ne peuvent s'entendre, devient ridicule entre ceux qui parlent. On ne répond pas à des mots par des gambades, ni au geste par des discours; autrement, je ne vois point pourquoi celui qui entend le langage de l'autre ne lui répond pas sur le même ton. Supprimez donc la parole si vous

:

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voulez employer la danse sitôt que vous introduisez la pantomime dans l'opéra, vous en devez bannir la poésie parce que, de toutes les unités, la plus nécessaire est celle du langage, et qu'il est même absurde et ridicule de dire à la fois la même chose à la même personne, et de bouche

et par

écrit.

Les deux raisons que je viens d'alléguer se réunissent dans toute leur force pour bannir du drame lyrique les fêtes et les divertissemens, qui non seulement en suspendent l'action, mais ou ne disent rien, ou substituent brusquement au langage adopté un autre langage opposé, dont le contraste détruit la vraisemblance, affoiblit l'inférêt, et, soit dans la même action poursuivie, soit dans un épisode inséré, blesse également la raison. Ce seroit bien pis si ces fêtes n'offroient au spectateur que des sauts sans liaisons, et des danses sans objet, tissu gothique et barbare dans un genre d'ouvrage où tout doit être peinture et imitation.

Il faut avouer cependant que la danse est si avantageusement placée au théâtre, que ce seroit le priver d'un dé ses plus grands agrémens que de l'en retrancher tout-àfait. Aussi, quoiqu'on ne doive point avilir une action tragique par des sauts et des entrechats, c'est terminer trèsagréablement le spectacle, que de donner un ballet après Popéra, comme une petite pièce après la tragédie. Dans ce nouveau spectacle, qui ne tient point au précédent on peut aussi faire choix d'une autre langue : c'est une autre nation qui paroît sur la scène. L'art pantomime ou la danse, devenant alors la langue de convention, la parole en doit être bannie à son tour; et la musique, restant le moyen de liaison, s'applique à la danse dans la petite pièce, comme elle s'appliquoit, dans la grande, à la poésie; mais, avant d'employer cette langue nouvelle, il faut la créer. Commencer par donner des ballets en action, sans ávoir préalablement établi la convention des gestes, c'est parler une langue à gens qui n'en ont pas le dictionnaire, et qui, par conséquent, ne l'entendent point.

(J. J. ROUSSEAU.)

Sur un théâtre où tout est prodige, il paroît tout simple.

:

que la façon de s'exprimer ait son charme comme tout le reste le chant est le merveilleux de la parole; mais, à un spectacle où tout se passe comme dans la nature et selon la vérité de l'histoire, par, quoi sommes-nous préparés à entendre Fabius, Régulus, Thémistocle, Titus, Adrien, parler en chantant? Que diroit-on si, sur la scène, on entendoit Auguste, Cornélie, Agrippine ou Brutus, s'exprimer ainsi ? Les Italiens y sont habitués, me direz-vous; ils ne peuvent l'être au point de s'y plaire. Ils ont perdu leur tragédie, et n'en ont point fait un bon opéra. Dans les sujets qu'ils ont pris, le merveilleux du chant ne tient à rien, n'est fondé sur rien. Mais il y a plus ces sujets même ne sont pas faits pour la musique. Le moyen de conduire, de nouer et de dénouer, en chantant, des intrigues aussi compliquées que celles d'Apostolo-Zeno qui, quelque fois, comme dans Andromaque, enlace dans un seul nœud les incidens et les intérêts de deux de nos fables tragiques? Le moyen de chanter avec agrément des conférences politiques, des harangues, etc.? Métastase est plus concis, plus rapide que Zeno; mais tous les sacrifices qu'il lui en a coûté pour s'accommoder à la musique, n'ont pu changer la nature des choses. Aussi, quelque précision que Motastase ait mise dans la scène, on l'abrège encore, et c'est la mutiler.

Un poème est plus ou moins analogue à la musique selon qu'elle a plus ou moins la facilité d'exprimer ce qu'il lui présente.

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La musique a d'abord les signes naturels de tout ce qui affecte le sens de l'ouie. Pour les objets des autres sens, elle n'a rien qui leur ressemble; mais, au lieu de l'objet même, elle peint le caractère de la sensation qu'il nous cause: par exemple, dans ces vers de Renaud,

Plus j'observe ces lieux, et plus je les admire.
Ce fleuve coule leutement;

Il s'éloigne à regret d'un séjour si charmant.
Les plus aimables fleurs et le plus doux zéphyre,
Parfument l'air qu'on y respire.

la musique ne peut exprimer ni le parfum ni l'éclat des fleurs, mais elle peint l'état de volupté où l'ame, qui

reçoit ces douces impressions, languit amollie et comme

enchantée.

Dans ces vers de Castor et Pollux,

Tristes apprêts, pâles flambeaux,
Jour plus affreux que les ténèbres!

la musique ne pouvoit jamais rendre l'effet des lampes sépulcrales; mais elle a exprimé la douleur profonde qu'inspire au cœur de Thélaïre la vue du tombeau de Castor. Telle est, d'un sens à l'autre, l'analogie que la musique observe et saisit, lorsqu'elle veut réveiller, par l'organe de l'oreille, la réminiscence des impressions faites sur tel ou tel autre sens : c'est donc aussi cette analogie que la poésie doit rechercher dans les tableaux qu'elle lui donne à peindre.

Quant aux affections et aux mouvemens de l'ame, la musique ne les exprime qu'en imitant l'accent naturel. L'art du musicien est de donner à la mélodie des inflexions qui répondent à celles du langage; et l'art du poète est de donner au musicien des tours et des mouvemens susceptibles de ces inflexions variées, d'où résulte la beauté du chant.

Un poème peut donc être ou n'être pas lyrique, soit par le fond du sujet, soit par les détails et le style.

pour

Tout ce qui n'est qu'esprit et raison est inaccessible la musique: elle veut de la poésie toute pure, des images et des sentimens. Tout ce qui exige des discussions, des développemens, des gradations, n'est pas fait pour elle. Faut-il donc mutiler le dialogue, brusquer les passages, précipiter les situations, accumuler les incidens sans les lier l'un avec l'autre, ôter aux détails et à l'ensemble d'un poème cet air d'aisance et de vérité, d'où dépend l'illusion théâtrale, et ne présenter sur la scène que le squélette de l'action? C'est l'excès où l'on donne, et qu'on peut éviter en prenant un sujet analogue au genre lyrique où tout soit simple, clair et précis en action et en sentiment.

Une intrigue nette et facile à nouer et à dénouer, des caractères simples, des incidens qui naissent d'eux-mêmes, des tableaux variés, des passions douces, quelquefois vio

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