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tous les projets de conspirations, les expositions, les récits, les maximes sententieuses, en un mot tout ce qui ne parle qu'à la raison, fut banni du langage du cœur, avec les jeux d'esprit, les madrigaux, et tout ce qui n'est que de pensées. Le ton même de la simple galanterie, qui câdre mal avec les grandes passions, fut à peine admis dans le remplissage des situations tragiques, dont il gate presque toujours l'effet; car jamais on ne sait . mieux que l'acteur chante que lorsqu'il dit une chanson.

L'énergie de tous les sentimens, la violence de toutes les passions, sont l'objet principal du drame lyrique; et I'llusion qui en fait le charme est toujours détruite aussitôt que l'auteur et l'acteur laissent un moment le spectateur à lui-même. Tels sont les principes sur lesquels l'opéra moderne est établi. Apostolo-Zeno, le Corneille de l'Italie, son tendre élève qui en est le Racine, ont ouvert et perfectionné cette nouvelle carrière. Ils ont osé mettre les héros de l'histoire sur un théâtre qui sembloit ne convenir qu'aux fantômes de la fable Cyrus, César, Caton même, ont paru sur la scène avec succès; et les spectateurs les plus révoltés d'entendre chanter de tels hommes, ont bientôt oublié qu'ils chantoient, subjugués et ravis par l'éclat d'une musique aussi pleine de noblesse et de dignité que d'enthousiasme et de feu. L'on suppose aisément que des sentimens si différens des nôtres doivent s'exprimer aussi sur un autre ton.

Ces nouveaux poèmes que le génie avoit créés, et que lui seul pouvoit soutenir, écartèrent sans effort les mauvais musiciens qui n'avoient que le mécanisme de leur art, et, privés du feu de l'invention et du don de l'imitation, faisoient des opéra comme ils auroient fait des sabots. A peine les cris des bacchantes, les conjurations des sorciers et tous les chants qui n'étoient qu'un vain bruit, furent-ils bannis du théâtre; à peine eut-on tenté de substituer à ce barbare fracas les accens de la colère, de la douleur, des menaces, de la tendresse, des pleurs, des gémissemens, et tous les mouvemens d'une ame agitée, que, forcés de donner des sentimens aux héros, un langage au cœur humain, les Vinci, les Pergolèse, dédaignant la servile imitation de leurs prédécesseurs, et s'ouvrant

une nouvelle carrière, la franchirent sur l'aile du génie, et se trouvèrent au but presque dès les premiers pas. Mais on ne peut marcher long-temps dans la route du bon goût sans monter ou descendre, et la perfection est un point où il est difficile de se maintenir. Après avoir essayé et senti ses forces, la musique en état de marcher seule commence à dédaigner la poésie qu'elle doit accompagner, et croit en valoir mieux en tirant d'elle-même les beautés qu'elle partageoit avec sa compagne. Elle se propose encore, il est vrai, de rendre les idées et les sentimens du poète; mais elle prend, en quelque sorte, un autre langage; et, quoique l'objet soit le même, le poète et le musicien, trop séparés dans leur travail, en offrent à-lafois deux images ressemblantes, mais distinctes, qui se nuisent mutuellement. L'esprit, forcé de se partager, choisit et se fixe à une image plutôt qu'à l'autre. Alors le musicien, s'il a plus d'art que le poète, l'efface et le fait oublier. L'acteur, voyant que le spectateur sacrifie les paroles à la musique, sacrifie à son tour le geste et l'action théatrale au chant et au brillant de la voix; ce qui fait tout-à-fait oublier la pièce, et change le spectacle en un véritable concert. Que si l'avantage, au contraire, se trouve du côté du poète, la musique, à son tour, viendra presque indifférente; et le spectateur, trompé par le bruit, pourra prendre le change au point d'attribuer à un mauvais musicien le mérite d'un excellent poète, et de croire admirer des chef-d'œuvres d'harmonie, en admirant des poèmes bien composés.

de

Tels sont les défauts que la perfection absolue de la musique et son défaut d'application à la langue peuvent introduire dans les opéra, à proportion du concours de ces deux causes. Sur quoi l'on doit remarquer que les langues les plus propres à fléchir sous les lois de la mesure et de la mélodie sont celles où la duplicité dont je viens de parler est la moins apparente, parce que la musique se prêtant seuleinent aux idées de la poésie, celle-ci se prête à son tour aux inflexions de la mélodie; et que, quand la musique cesse d'observer le rhythme, l'accent et l'harmonie du vers, le vers se plie et s'asservit à la cadence de la mesure et à l'accent musical. Mais lorsque

la langue n'a ni douceur ni flexibilité, l'âpreté de la poésie l'empêche de s'asservir au chant, la douceur même de la mélodie l'empêche de se prêter à la bonne récitation des vers, et l'on sent dans l'union forcée de ces deux arts une contrainte perpétuelle qui choque l'oreille et détruit à-la-fois l'attrait de la mélodie et l'effet de la déclamation. Ce défaut est sans remède; et vouloir à toute force appliquer la musique à une langue qui n'est pas musicale, c'est lui donner plus de rudesse qu'elle n'en auroit sans cela. Par ce que j'ai dit jusqu'ici, l'on a pu voir qu'il y a plus de rapport entre l'appareil des yeux ou la décoration, et la musique ou l'appareil des oreilles, qu'il n'en paroît entre deux sens qui semblent n'avoir rien de commun, et qu'à certains égards l'opéra, constitué comme il est, n'est pas un tout aussi monstrueux qu'il paroît l'être. Nous avons vu que, voulant offrir aux regards l'intérêt et les mouvemens qui manquoient à la musique, on avoit imaginé les grossiers prestiges des machines et des vols, et que, jusqu'à ce qu'on sût émouvoir, on s'étoit contenté de nous surprendre. Il est donc très-naturel que la musique, devenue passionnée et pathétique, ait envoyé sur les théâtres des foires ces mauvais supplémens dont elle n'avoit plus besoin sur le sien. Alors l'opéra, purgé de tout ce merveilleux qui l'avilissoit, devint un spectacle également touchant et majestueux, digne de plaire aux gens de goût et d'intéresser les cœurs sensibles.

fait

Il est certain qu'on auroit pu retrancher de la pompe du spectacle autant qu'on ajoutoit à l'intérêt de l'action; car plus on s'occupe des personnages, moins on est occupé des objets qui les entourent ; mais il faut cependant que le heu de la scène soit convenable aux acteurs qu'on y parler; et l'imitation de la nature, souvent plus difficile et plus agréable que celle des êtres imaginaires, n'en devient que plus intéressante en devenant plus vraisemblable. Un beau palais, des jardins délicieux, de savantes ruines plaisent encore plus à l'œil que la fantasque image du tartare, de l'olympe, du char du soleil; image d'autant plus inférieure à celle que chacun se trace en lui-même, que, dans les objets chimériques, il n'en coûte rien à l'esprit d'aller au- -delà du possible, et de se faire des

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modèles au dessus de toute imitation. De là vient que le merveilleux, quoique déplacé dans la tragédie, ne l'est pas dans le poème épique, où l'imagination, toujours industrieuse et dépensière, se charge de l'exécution, et en tire un tout autre parti que ne peut faire sur nós théâtres le talent du meilleur machiniste et la magnficence du plus puissant roi.

ait

Quoique la musique, prise pour un art d'imitation, encore plus de rapport à la poésie qu'à la peinture, celle-ci, de la manière qu'on l'emploie au théâtre, n'est pas aussi sujète que la poésie à faire, avec la musique, une double représentation du même objet, parce que l'une rend les sentimens des hommes, et l'autre seulement l'image du lieu où ils se trouvent, image qui renforce l'illusion, et transporte le spectateur par-tout où l'acteur est supposé être. Mais ce transport d'un lieu à un autre doit avoir des règles et des bornes : il n'est permis de se prévaloir à cet égard de l'agilité de l'imagination qu'en consultant la loi de la vraisemblance; et, quoique le spectateur ne cherche qu'à se prêter à des fictions dont il tire tout son plaisir, il ne faut pas abuser de sa crédulité au point de lui en faire honte. En un mot, on doit songer qu'on parle à des cœurs sensibles, sans oublier qu'on parle à des gens raisonnables, Ce n'est pas que je voulusse transporter l'opéra à cette rigoureuse unité de lieu qu'on exige dans la tragédie, et à laquelle on ne peut guère s'asservir qu'aux dépens de l'action, de sorte qu'on n'est exact, à quelque égard, que pour être absurde à mille autres. Ce seroit d'ailleurs s'ôter l'avantage des changemens de scène, lesquels se font valoir mutuellement; ce seroit s'exposer à une vicieuse uniformité, à des oppositions mal conçues entre la scène. qui reste toujours, et les situations qui changent; ce seroit gâter l'un par l'autre l'effet de la musique et celui de la décoration, comme de faire entendre des symphonies voluptueuses parmi des rochers, ou des airs gais dans los palais des rois.

C'est donc avec raison qu'on a laissé subsister d'acte en acte les changemens de scène; et, pour qu'ils soient réguliers et admissibles, il suffit qu'on ait pu naturellement se rendre du lieu d'où l'on sort au lieu où l'on

passe, dans l'intervalle de temps qui s'écoule, ou que Faction suppose entre les deux actes; de sorte que, comme l'unité de temps doit se renfermer à peu près dans la durée de vingt-quatre heures, l'unité de lieu doit se renfermer à peu près dans l'espace d'une journée de chemin. A l'égard des changemens de scène, pratiqués quelquefois dans un même acte, ils me paroissent également contraires à l'illusion et à la raison et devoir être absolument proscrits du théâtre.

Voilà comment le concours de l'acoustique et de la perspective peut perfectionner l'illusion, flatter les sens par des impressions diverses, mais analogues, et porter à l'ame le même intérêt avec un double plaisir. Ainsi ce seroit une grande erreur de penser que l'ordonnance du théâtre n'a rien de commun avec celle de la musique, si ce n'est la convenance générale qu'elles tirent du poème. C'est à l'imagination des deux artistes à déterminer entre eux ce que celle du poète a laissé à leur disposition, et à s'accorder si bien en cela, que le spectateur sente toujours l'accord parfait de ce qu'il voit et de ce qu'il entend. Mais il faut avouer que la tâche du musicien est la plus grande. L'imitation de la peinture est toujours froide, parce qu'elle manque de cette succession d'idées et d'impressions qui échauffe l'ame par degrés, et que tout est dit au premier coup d'œil. La puissance imitative de cet art, avec beaucoup d'objets apparens, se borne en effet à de trèsfoibles représentations. C'est un des grands avantages, du musicien de pouvoir peindre les choses qu'on ne sauroit entendre, tandis qu'il est impossible au peintre de peindre celles qu'on ne sauroit voir; et le plus grand prodige d'un art, qui n'a d'activité que par ses mouvemens, est d'en pouvoir former jusqu'à l'image du repos. Le sommeil, le calme de la nuit, la solitude et le silence même, entrent dans le nombre des tableaux de la musique. Quelquefois le bruit produit l'effet du silence, et le silence l'effet du bruit; comme quand un homme s'endort à une lecture égale et monotone, et s'éveille à l'instant qu'on se tait; et il en est de même pour d'autres effets. Mais l'art a des substitutions plus fertiles et bien plus fines que celles-ci; il sait exciter par un sens des émotions semblables à celles

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