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coup d'accens dans leur langue et peu de fracas dans leurs concerts, toute leur poésié étoit musicale, et toute leur musique déclamatoire; de sorte que leur chant n'étoit presque qu'un discours soutenu, et qu'ils chantoient, réellement leurs vers, comme ils l'annoncent à la tête de leurs poèmes; ce qui, par imitation, a donné aux latins, puis à nous, le ridicule usage de dire je chante, quand on ne chante point. Quant à ce qu'ils appeloient genre lyrique en particulier, c'étoit une poésie héroïque, dont le style étoit pompeux et figuré, laquelle étoit accompagnée de la lyre ou cithare préférablement à tout autre instrument. Il est certain que les tragédies grecques se récitoient d'une manière très-semblable au chant; qu'elles étoient accompagnées d'instrumens, et qu'il y entroit des chœurs,

Mais, si l'on veut pour cela que ce fussent des opéra semblables aux nôtres, il faut donc imaginer des opéra sans air's : car il me paroît prouvé que la musique grecque, sans en excepter même l'instumentale, n'étoit qu'un véritable récitatif. Il est vrai que ce récitatif, qui réupissoit le charme des sons musicaux à toute l'harmonie de la poésie et à toute la force de la déclamation, devoit avoir beaucoup plus d'énergie que le récitalif moderne, qui ne peut guère ménager un de ses avantages qu'aux dépens des autres. Dans nos langues vivantes, qui se ressentent pour la plupart de la rudesse du climat dont elles sont originaires, l'application de la musique à la parole est beaucoup moins naturelle. Une prosodie incertaine s'accorde mal avec la régularité de la mesure; des syllabes muètes et sourdes, des articulations dures des sons plus éclatans et moins variés, se prêtent difficilement à la mélodie, et une poésie cadencée uniquement par le nombre des syllabes prend une harmonie peu sensible dans le rhythme musical, et s'oppose sans cesse à la diversité des valeurs et des mouvemens. Voilà des difficultés qu'il fallut vaincre ou éluder dans l'invention du poème lyrique. On tâcha donc, par un choix de mots, de tours et de vers, de se faire une langue propre; et cette langue, qu'on appela lyrique, fut riche ou pauvre, à pro.

portion de la douceur ou de la rudesse de celle dont elle étoit tirée.

Ayant, en quelque sorte, préparé la parole pour la musique, il fut ensuite question d'appliquer la musique à la parole, et de la lui rendre tellement propre sur la scène lyrique, que le tout pût être pris pour un seul et même idiome; ce qui produisit la nécessité de chanter toujours pour paroître toujours parler; nécessité qui croît en raison de ce qu'une langue est peu musicale; car, moins la langue a de douceur et d'accens, plus le passage alternatif de la parole au chant et du chant à la parole y devient dur et choquant pour l'oreille. De là le besoin de substituer au discours en récit un discours en chant, qui pût l'imiter de si près, qu'il n'y eût que la justesse des accords qui le distinguât de la parole. (Voyez Récitatif.)

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Cette manière d'unir au théâtre la musique à la poésie qui, chez les Grecs, suffisoit pour l'intérêt et l'illusion, parce qu'elle étoit naturelle par la raison contraire, ne pouvoit suffire chez nous pour la mème fin. En écoutant un langage hypothétique et contraint, nous avons peine à concevoir ce qu'on veut nous dire: avec beaucoup de bruit, on nous donne peu d'émotion; de là naît la nécessité d'amener le plaisir physique au secours du moral, et de suppléer, par l'attrait de l'harmonie, à l'énergie de l'expression. Ainsi, moins on sait toucher le cœur, plus il faut savoir flatter l'oreille, et nous sommes forcés de chercher dans la sensation le plaisir que le sentiment nous refuse. Voilà l'origine des airs, des chœurs, de la symphonie et de cette mélodie enchanteresse dont la musique moderne s'embellit souvent aux dépens de la poésie, mais que l'homme de goût rebute au théâtre, quand on le flatte sans l'émouvoir.

A la naissance de l'opéra, ses inventeurs, voulant éluder ce qu'avoit de peu naturel l'union de la musique au discours dans l'imitation de la vie humaine, s'avisèrent de transporter la scène aux cieux et dans les enfers, et, faute de savoir faire parler les hommes, ils aimèrent mieux faire chanter les dieux et les diables que les héros et les bergers. Bientôt la magie et le merveilleux devinrent les

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fondemens du théâtre lyrique, et, content de s'enrichir d'un nouveau genre, on ne songea pas même à rechercher, si c'étoit bien celui-là qu'on avoit dû choisir. Pour soutenir une si forte illusion, il fallut épuiser tout ce que l'art humain pouvoit imaginer de plus séduisant chez un peuple où le goût du plaisir et celui des beaux arts régnoient à l'envi. Cette nation célèbre, à laquelle il ne reste de son ancienne grandeur que celle des idées dans les beaux arts, prodigua son goût, ses lumières, pour donner à ce nouveau spectacle, tout l'éclat dont il avoit besoin. On vit s'élever par toute l'Italie des théâtres égaux en étendue aux palais des rois, et en élégance aux monumens de l'antiquité dont elle étoit remplie. On inventa, pour les orner, l'art de la perspective et de la décoration. Les artistes, dans chaque genre, y firent à l'envi briller leurs talens. Les machines les plus ingénieuses, les vols les plus hardis, les tempêtes, la foudre, l'éclair et tous les prestiges de la baguette, furent employés à fasciner les yeux, tandis que des multitudes d'instrumens et de voix étonnoient les oreilles...

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Avec tout cela, l'action restoit toujours froide, et toutes les situations manquoient d'intérêt comme il n'y avoit point d'intrigue qu'on ne dénouât facilement à l'aide de quelque dieu, le spectateur, qui connoissoit tout le pouvoir du poète, se reposoit tranquillement sur lui du soin de tirer ses héros des plus grands dangers, Ainsi l'appareil étoit immense et produisoit peu d'effet, parce que l'îmitation étoit toujours imparfaite et grossière; que l'action, prise hors de la nature, étoit sans intérêt pour nous, et que, les sens se prêtent mal à l'illusion quand le cœur ne s'en mêle pas; de sorte qu'à tout compter, il eût été difficile d'ennuyer une assemblée à plus grands frais.

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Ce spectacle, tout imparfait qu'il étoit, fit long-temps l'admiration des contemporains qui n'en connoissoient point de meilleur. Ils se félicitoient même de la découverte d'un si beau genre voilà, disoient-ils, un nouveau principe joint à ceux d'Aristote; voilà l'admiration ajoutée à la terreur et à la pitié. Ils ne voyoient pas que cette richesse apparente n'étoit au fond qu'un signe de stérilité, comme les fleurs qui couvrent les champs avant la moisson.

C'étoit

C'étoit faute de savoir toucher, qu'ils vouloient surpren dre, et cette admiration prétendue n'étoit en effet qu'un étonnement puéril dont ils auroient dû rougir. Un faux air de magnificence, de féerie et d'enchantement, leur en imposoit au point qu'ils ne parloient qu'avec enthousiasme et respect d'un théâtre qui ne méritoit que des huées ; ils avoient, de la meilleure foi du monde, autant de vénération pour la scène même que pour les chimériques objets qu'on tâchoit d'y représenter, comme s'il y avoit plus de mérite à faire parler platement le roi des dieux que le dernier des mortels, et que les valets de Molière ne fussent pas préférables aux héros de Pradon.

Quoique les auteurs de ces premiers opéra n'eussent guère d'autre but que d'éblouir les yeux et d'étourdir les oreilles, il étoit difficile que le musicien ne fût jamais tenté de chercher à tirer de son art l'expression des sentimens répandus dans le poème. Les chansons des nymphes, les hymnes des prètres, les cris des guerriers, les hurlemens infernaux, ne remplissoient pas tellement ces drames grossiers qu'il ne s'y trouvât quelqu'un de ces instans d'intérêt et de situation où le spectateur ne demande qu'à s'attendrir. Bientôt on commença de sentir qu'indépendamment de la déclamation musicale, que souvent la langue comportoit mal, le choix du mouvement, de l'harmonie et des chants, n'étoit pas indifférent aux choses qu'on avoit à dire, et que par conséquent l'effet de la seule musique, borné jusqu'alors aux sens, pouvoit aller jusqu'au cœur. La mé lodie, qui ne s'étoit d'abord séparée de la poésie que par nécessité, tira parti de cette indépendance pour se donner des beautés absolues et purement musicales: l'harmonie découverte et perfectionnée lui ouvrit de nouvelles routes pour plaire et pour émouvoir; et la mesure affranchie de la gêne du rhythme poétique, acquit aussi une sorte de cadence à part, qu'elle ne tenoit que d'elle seule.

La musique, étant ainsi devenue un troisième art d'imitation, eut bientôt son langage, son expression, ses tableaux, tout-à-fait indépendans de la poésie. La symphonie même apprit à parler sans le secours des paroles, et souvent il ne sortoit pas des sentimens moins vifs de l'orchestre que de la bouche des acteurs. C'est alors que, Tome VIII.

L

commençant à se dégoûter de tout le clinquant de la féerie, du puéril fracas des machines et de la fantasque image des choses qu'on n'a jamais vues, on chercha dans l'imitation de la nature des tableaux plus intéressans et plus vrais. Jusque-là l'opéra avoit été constitué comme il pou voit l'être; car, quel meilleur usage pouvoit-on faire au théâtre d'une musique qui ne savoit rien peindre que de l'employer à la représentation des choses qui ne pouvoient exister, et sur lesquelles personne n'étoit en état de comparer l'image à l'objet ? Il est impossible de savoir si l'on est affecté par la peinture du merveilleux comme on le seroit par sa présence; au lieu que tout homme peut juger par lui-même si l'artiste a bien su faire parler aux passions leur langage, et si les objets de la nature sont bien imités. Aussi, dès que la musique eut appris à peindre et à parler, les charmes du sentiment firent-ils bientôt négliger ceux de la baguette; le théâtre fut purgé du jargon de la mythologie, l'intérêt fut substitué au merveilleux, les ma→ chines des poètes et des charpentiers furent détruites, et le drame lyrique prit une forme plus noble et moins gigantesqué. Tout ce qui pouvoit émouvoir le cœur y fut employé avec succès; on n'eut plus besoin d'en imposer par des êtres de raison, ou plutôt de folie; et les dieux. furent chassés de la scène quand on y sut représenter des hommes. Cette forme, plus sage et plus régulière, se trouve encore la plus propre à l'illusion; l'on sentit que le chef-d'œuvre de la musique étoit de se faire oublier elle-même; qu'en jetant le désordre et le trouble dans l'ame du spectateur, elle l'empêchoit de distinguer les chants tendres et pathétiques d'une héroïne gémissante, des vrais accens de la douleur; qu'Achille en fureur pouvoit nous glacer d'effroi avec le même langage qui nous eût choqués dans sa bouche en tout autre temps.

Ces observations donnèrent lieu à une seconde réforme non moins importante que la première. On sentit qu'il ne falloit à l'opéra rien de froid et de raisonné, rien que le spectateur pût écouter assez tranquillement pour réfléchir sur l'absurdité de ce qu'il entendoit; et c'est en cela surtout que consiste la différence essentielle du drame lyrique à la simple tragédie. Toutes les délibérations politiques,

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