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Pextase, l'enthousiasme, l'ivresse du sentiment, afin que la musique pût y produire tous ses effets.

Puisque le plaisir de l'oreille devient le plaisir du cœur de là est née l'observation qu'on aura faite, que les vers mis en chant affectent davantage que les paroles seules. Cette observation a donné lieu à mettre les récits en musique; enfin l'on est venu successivement à chanter une pièce, dramatique toute entière, et à la décorer' d'une grande pompe; voilà l'origine de l'exécution de nos opéra, spectacle magique,

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Dans ce genre d'ouvrages, le poète doit suivre, comme ailleurs, les lois d'imitation, en choisissant ce qu'il y a de plus beau et de plus touchant dans la nature. Son talent doit encore consister dans une heureuse' versification qui intéresse le cœur et l'esprit.

On veut dans les décorations une variété de scènes et de machines, tandis qu'on exige du musicien une musique savante et propre, au poème. Ce que son art ajoute à l'art du poète supplée au manque de vraisemblance qu'on trouve dans des acteurs qui traitent leurs passions, leurs querelles et leurs intérêts en chantant, puisqu'il est vrai que la peine et le plaisir, la joie et la tristesse, s'annoncent toujours ici par des chants et des danses: mais la musique a tant d'empire sur nous, que ses impressions commandent à l'esprit et lui font la loi insi

L'intelligence des sons est tellement universelle, qu'ils nous affectent de differentes passions, qu'ils représentent aussi fortement que si elles étoient exprimées dans notre langue maternelle. Le langage humain varie suivant les diverses nations. La nature, plus puissante, et plus attentive aux besoins et aux plaisirs de ses créatures, leur a donné des moyens généraux de les peindre, et ces moyens généraux sont imités merveilleusement par des chants.

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S'il est vrai que des sons aigus expriment mieux le bésoin de secours dans une crainte violente, ou dans une douleur vive, que des paroles entendues dans une partie du monde, et qui n'ont aucune signification dans l'autre, il n'est pas moins certain que de tendres gémissemens frappent nos cœurs d'une comparaison bien plus efficace que des mots, dont l'arrangement bizarre fait souvent un effet contraire. Les sons vifs et légers de la musique ne portent-ils pas inévitablement dans notre ame un plaisir gai, que le récit d'une histoire divertissante n'y fait jamais naître qu'imparfaitement ?

Mais, dira-t-on, il est fort étrange qu'un homme vienne nous assurer en vers qu'il est accablé de malheurs, et que bientôt après il se tue lui-même en chantant. Je pourrois répondre que l'idée qu'on se fait du chant, et l'habitude où l'on est dès le bas âge de le regarder comme l'enfant unique du plaisir et de la joie, cause en partie cette prévention. Elle se dissiperoit si l'on considéroit le chant dans son essence réelle, c'est-à-dire si l'on réfléchissoit que le chant n'est précisément qu'un arrangement de tons différens; alors il ne paroitroit pas plus extraordinaire que les tons d'un héros fussent mesurés à l'opéra, que d'entendre à la comédie un prince parler en vers à son conseil sur des matières importantes.

Supposons pour un moment que le roi de France envoyât les acteurs et les actrices de l'opéra peupler une colonie déserte, et qu'il leur ordonnât de ne se demander les choses les plus nécessaires, et de ne converser ensemble que comme ils se parlent sur le théâtre; les enfans qui naîtroient au bout de quelque temps dans cette colonie bégaieroient des airs, et toutes les inflexions de leur voix seroient mesurées. Les fils des danseurs marcheroient toujours en cadence, pour se rendre en quelque lieu que ce fût; et si cette postérité chantante et dansante venoit jamais dans la patrie de ses pères, ses oreilles seroient choquées de la dissonance qui règne dans les tons de notre conversation, et ses yeux seroient blessés de notre facon de marcher.

L'opéra est si brillant par sa magnificence, et si surpre nant par ses machines qui font voler un homme aux cieux,

ou le font descendre aux enfers, et qui, dans un instant placent un palais superbe où étoit un désert affreux, que si les peuples sauvages, voisins de la colonie où, dans ma supposition, j'ai relégué l'opéra, venoient à ce spectacle, loin de le trouver ridicule, je ne doute guère qu'ils n'admirassent le génie des acteurs, et qu'ils ne les regardassent comme des intelligenees célestes.

Dans nos pays éclairés sur les ressorts qui meuvent toutes les divinités de l'opéra, les sens mêmes sont si flattés par le chant des récits, par l'harmonie qui les accompagne, par les choeurs, par la symphonie, par le spectacle entier, que l'ame qui se laisse facilement séduire à leur plaisir veut bien être enchantée par une fiction dont l'illusion est pour ainsi dire palpable.

Il s'en faut pourtant beaucoup que les décorations, la musique, le choix des pièces, leur conduite, et les acteurs qui les jouent, soient sans défauts. Quant à la versification, elle est communément si prosaïque, si monotone, si dénuée du style de la poésie, qu'on n'en peut entreprendre l'éloge. Quinault lui-même, quoique le plus célèbre des poètes lyriques, souvent très-heureux dans les pensées, ne l'est pas toujours dans l'expression. Ses plus belles images sont foibles, comparées à celles de nos meilleurs poètes dramafiques. Je ne choisis point ses moindres vers, lorsque je prends ceux-ci pour exemple:

C'est peut-être trop tard vouloir plaire à vos yeux,
Je ne suis plus au temps de l'aimable jeunesse;

Mais je suis rei, belle princesse,

Et roi victorieux.

Faites grace à mon âge en faveur de ma gloire.

Mithridate, plein de la même idée, la rend dans Racine par des images toutes poétiques.

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Jusqu'ici la fortune et la victoire même

Cachoient mes cheveux blancs sous trente diadêmes;
Mais ce temps- là n'est plus; je réguois et je fuis.
Mes ans se sont accrus, mes honneurs sont détruits;

Et mon front, dépouillé d'un si noble avantage,

Du temps qui l'a flétri laisse voir tout l'outrage.

Ne voit-on pas tomber tant de, couronnes de la tête d Mithridate vaincu, ses cheveux blancs, ses rides paroître; et ce roi à qui sa disgrace fait songer à sa vieillesse, honteux de parler d'amour?

1 .

L'opéra des Bamboches, de l'invention d'un nommé Lagrille, fut établi à Paris vers l'an 1674, et attira tout le monde durant deux hivers. Ce speciacle étoit un opéra ordinaire, avec la différence que la partie de l'action s'exécutoit par une grande marionette qui faisoit, sur le théâtre, les gestes convenables aux récits que chantoit un musicien, dont la voix sortoit par une ouverture ménagée dans le plancher de la scène; ces sortes de spectacles ridicules réussiront toujours dans ce pays-ci.

L'opéra italien fut inventé, au commencement du dixseptième siècle, à Florence, contrée, favorisée alors de la fortune comme de la nature, et à laquelle on doit la reproduction de plusieurs arts anéantis pendant des siècles, et la création de quelques-uns. Les Turcs les avoient bannis de la Grèce, les Médicis les firent revivre dans leurs états, Ce fut en 1646 que le cardinal Mazarin fit représenter en France, pour la première fois, des opéra italiens, exécutés par des voix qu'il fit venir, d'Italie.....

Mais nos premiers compositeurs d'opéra ne connurent l'art et le génie de ce genre de poème dramatique qu'après que le goût des Français eût été élevé par les tragédies de Corneille et de Racine. Aussi nous ne saurions plus lire aujourd'hui sans dédain l'opéra de Gilbert et la Pomone de l'abbé Perrin. Ces pièces, écrites depuis plus de nous paroîtroient des poèmes gothiques, composés cinq ou six générations avant nous. Enfin Quinault, qui travailla pour notre théâtre lyrique, après les auteurs que j'ai cités, excella dans ce genre; et Lully, créateur d'un chant propre à notre langue, rendit, par sa musique, aux poèmes de Quinault, l'immortalité qu'elle en recevoit.

cent ans,

(M. de JAUCOURT.

L'art de combiner agréablement les sons peut être envisagé sous deux aspects très-différens. Considérée comme une institution de la nature, la musique borne son effet à

la sensation et au plaisir physique qui résulte de la mélodie, de l'harmonie et du rhythme telle est ordinairement la musique d'église; tels sont les airs à danser et ceux des chansons. Mais comme partie essentielle de la scène ly-* rique, dont l'objet principal est l'imitation, la musique devient un des beaux arts, capable de peindre tous les tableaux, 'd'exciter tous les sentimens, de lutter avec la poésie, de lui donner une force nouvelle, de l'embellir de nouveaux charmes, et d'en triompher en la couronnant.

Les sons de la voix parlante n'étant ni šoutenus, ni harmoniques, sont inappréciables, et ne peuvent par conséquent s'allier agréablement avec ceux de la voix chantante et des instrumens, au moins dans nos langues, trop éloignées du caractère musical; car on ne sauroit entendre les passages des Grecs sur leur manière de réciter, qu'en supposant leur langue tellement accentuée, que les inflexions du discours, dans la déclamation soutenue, formassent entre elles des intervalles musicaux et appréciables: ainsi l'on peut dire que leurs pièces de théâtre étoient des espèces d'opéra; et c'est pour cela même qu'il ne pouvoit y avoir d'opéra proprement dit parmi eux.

Par la difficulté d'unir le chant au discours dans nos langues, il est aisé de sentir que l'intervention de la musique, comme partie essentielle, doit donner au poème lyrique un caractère différent de celui de la tragédie et de la comédie, et en faire une troisième espèce de drame qui a ses règles particulières: mais ces différences ne peuvent se déterminer sans une parfaite connoissance de la partie ajoutée, des moyens de l'unir à la parole, et de ses relations naturelles avec le cœur humain: détails qui appartiennent moins à l'artiste qu'au philosophe, et qu'il faut laisser à une plume faite pour éclairer tous les arts, pour montrer à ceux qui les professent les principes de leurs règles, et aux hommes de goût les sources de leurs plaisirs.

En me bornant donc, sur ce sujet, à quelques observations plus historiques que raisonnées, je remarquerai d'abord que les Grecs n'avoient pas au théâtre un genre lyrique, ainsi que nous, et que ce qu'ils appeloient de ce nom ne ressembloit point au nôtre comme ils avoient beau

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