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d'un empire despotique, parce que tout ce qui a ses principes dans le surnaturel doit vivre seul et séparé du monde. La multitude des districts républicains fait qu'il y a moins d'unité qu'il n'y en eut jamais parmi le genre humain. L'anarchie éclate dans les villes comme entre les particuliers. L'inégalité et la jalousie des républiques entre elles ont fait répandre autant et plus de sang que despotisme le plus cruel.

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Mais l'aspect désavantageux sous lequel nous venons de présenter les républiques, ne doit pas nous faire oublier ce que leur histoire a de beau et d'intéressant dans ces exemples étonnans de force, de vertu et de courage qu'elles ont toutes donnés, et par lesquels elles se sont immortalisées; ces exemples en effet nous ravissent encore d'admiration, et affectent tous les cœurs vertueux; c'est là le beau côté de l'ancienne Rome, d'Athènes et de Lacédémone.

Cependant il faut convenir que les spéculations républi caines, ayant dû élever l'homme au dessus de lui-même, lui donner une ame plus qu'humaine, et lui inspirer tous les sentimens qu'on vouloit renouveler pour faire reparoître sur la terre la vertu, l'égalité et la liberté, il a fallu que le républicain s'élevât pendant un temps au dessus de lui-même; le point de vue de sa législation étant surnaturel, il a fallu qu'il fût vertueux pendant un temps; mais il a fallu à la fin que l'homme redevînt homme, parce qu'il est fait pour l'être. Quelques-uns ont dit que les vertus de ces anciens républicains n'ont été que de fausses vertus; pour nous, nous disons que si elles ont été fausses, c'est parce qu'elles ont été plus qu'humaines; sans ce vice, elles auroient été plus constantes et plus vraies.

L'état des sociétés ne doit point être en effet établi sur le sublime, parce qu'il n'est pas le point fixe ni le caractère moyen de l'homme qui souvent ne peut pratiquer la vertu qu'on lui prêche, et qui, plus souvent encore, en abuse lorsqu'il la pratique, quand il a éteint sa raison, et lorsqu'il a dompté la nature, parce qu'il ne l'a fait que pour s'élever au dessus de l'humanité; et c'est par les mêmes principes que les républiques se sont perdues, après avoir produit des vertus monstrueuses plutôt que de vraies

vertus,

vertus, et s'être livrées à des excès contraires à leur bonheur et à la tranquillité du genre humain.

Le sublime, ce mobile si nécessaire et en même temps si impraticable du gouvernement républicain, et de tout gouvernement fondé sur des vues plus qu'humaines, est tellement un ressort disproportionné dans le monde politique, que dans ces austères républiques de la Grèce et de l'Italie, souvent la plus sublime vertu y étoit punie, et presque toujours maltraitée : Rome et Athènes nous en ont donné des preuves qui nous paroissent inconcevables, parce qu'on ne veut jamais prendre l'homme pour ce qu'il est. Le plus grand personnage, les meilleurs citoyens, tous ceux enfin qui avoient le mieux servi leur patrie, étoient bannis ou se bannissoient d'eux-mêmes; c'est qu'ils choquoient cette nature humaine qu'on méconnoissoit, c'est qu'ils étoient coupables envers l'égalité publique par leur trop de vertu. Nous concluerons donc, par le bien et le mal extrêmes dont les républiques anciennes ont été susceptibles, que leur gouvernement étoit vicieux en tout, parce que, préoccupé de principes surnaturels, il ne pou voit être que très-éloigné de cet état moyen qui seul peut sur la terre arrêter et fixer à leur véritable degré la sûreté, le repos et le bonheur des nations.

Les excès du despotisme, les dangers des républiques, et le faux de ces deux gouvernemens, nous apprennent ce que nous devons penser du gouvernement monarchique, quand même la raison seule ne nous le dicteroit pas. Un état politique, où le trône du monarque qui représente l'unité a' pour fondement les lois de la société sur laquelle il règne, doit être le plus sage et le plus heureux de tous. Les principes d'un tel gouvernement sont pris dans la nature de l'homme et de la planète qu'il habite; il est fait pour la terre comme une république n'est faite que pour un pays imaginaire, et comme le despotime n'est fait que pour les enfers. L'honneur et la raison qui lui ont donné l'être sont les vrais mobiles de l'homme, comme cette sublime vertu, dont les républiques n'ont pu nous montrer que des rayons passagers, est le mobile constant des hommes justes, et comme la crainte est le mobile des états despotiques. C'est le gouvernement monarchique qui seul Tome VIII.

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a trouvé les vrais moyens de nous faire jouir de tout le bonheur possible, de toute la liberté possible, et de tous les avantages dont l'homme en société peut jouir sur la terre. Il n'a point été, comme les autres gouvernemens en chercher de chimériques dont on ne peut constamment user, et dont on peut abuser sans cesse.

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Ce gouvernement doit donc être regardé comme le chef-d'œuvre de la raison humaine, et comme le port où le genre humain, battu de la tempête, en cherchant une félicité imaginaire, a dû enfin se rendre pour en trouver une qui fût faite pour lui. Elle est sans doute moins sublime que celle qu'il avoit en vue, mais elle est plus solide, plus réelle et plus vraie sur la terre. C'est là qu'il a trouvé des rois qui n'affichent plus la divinité, qui ne peuvent oublier qu'ils sont des hommes: c'est là qu'il peut les aimer et les respecter, sans les adorer comme de vaines idoles, et sans les craindre comme des dieux exterminateurs : c'est là que les rois reconnoissent des lois sociales et fondamentales qui rendent leurs trônes inébranlables et leurs sujets heureux, et que les peuples suivent sans peine des lois antiques et respectables que leur ont données de sages monarques, sous lesquels, depuis une longue succession de siècles, ils jouissent de tous les priviléges et de tous les avantages modérés qui distinguent l'homme sociable de l'esclave de l'Asie et du sauvage de l'Amérique.

L'origine de la monarchie ne tient en rien à cette chaîne d'événemens et à ces vices communs qui ont lié jusqu'ici les uns aux autres tous les gouvernemens antérieurs; et c'est ce qui fait particulièrement son bonheur et sa gloire. Comme les anciens préjugés, qui faisoient encore par-tout le malheur du monde, s'étoient éteints dans les glaces du Nord, nos ancêtres, tout grossiers qu'ils étoient, n'apportèrent dans nos climats que le froid bon sens, avec ce sentiment d'honneur qui s'est transmis jusqu'à nous, pour être à jamais l'ame de la monarchie. Cet honneur n'a été et ne doit être encore, dans son principe, que le sentiment intérieur de la dignité de la nature humaine, que le gouvernement républicain a dédaigné et avili, que le despotique a détruit, mais que le monarchique a toujours respecté, parce que son objet est de gouverner des hommes incapables

de cette vive imagination qui a toujours porté les peuples du Midi aux vices et aux vertus extrêmes. Nos ancêtres trouvèrent ainsi le vrai, qui n'existe que dans un juste milieu; et, loin de reconnoître dans leurs chefs des dons surnaturels et une puissance plus qu'humaine, ils se contentoient, en les couronnant, de les élever sur le pavois et de les porter sur leurs épaules, comme pour faire connoître qu'ils seroient toujours soutenus par la raison publique, conduits par son esprit et inspirés par ses lois. Bien plus, ils placèrent à côté d'eux des hommes sages, auxquels ils donnèrent la dignité de pairs, non pour les égaler aux rois, mais pour apprendre à ces rois qu'étant hommes, ils sont égaux à des hommes. Leurs principes humains et modérés n'exigèrent donc point de leurs souverains qu'ils se comportassent en dieux, et ces souverains n'exigèrent point non plus de ces peuples sensés ni ce sublime dont les mortels sont peu capables, ni cet avilissement qui les révolte ou qui les dégrade. Le gouvernement monarchique prit la terre pour ce qu'elle est, et les hommes pour ce qu'ils sont; il les y laissa jouir des droits et des priviléges attachés à leur naissance, à leur état et à leurs facultés; il entretint dans chacun d'eux des sentimens d'honneur, qui font l'harmonie et la contenance de tout le corps politique; et ce qui fait enfin son plus parfait éloge, c'est qu'en soutenant ce noble orgueil de l'humanité, il a su tourner à l'avantage de la société les passions humaines, si funestes à toutes les autres législations qui ont moins cherché à les conduire qu'à les détruire ou à les exalter constitution admirable, digne de tous nos respects et de tout notre amour! chaque corps, chaque société, chaque particulier même, doit y voir une position d'autant plus constante et d'autant plus heureuse, que cette position n'est point établie sur de faux principes, ni fondée sur des mobiles ou des motifs chimériques, mais sur la raison et sur le caractère des choses d'ici bas. Ce qu'il y a même de plus estimable dans ce gouvernement, c'est qu'il n'a point été une suite d'une législation particulière ni d'un système médité, mais le fruit lent et tardif de la raison dégagée de ses antiques préjugés.

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Nous terminerons tout ce que nous venons de dire sur les différens gouvernemens, par faire remarquer et admirer quelle a été la sagacité d'un des grands hommes de nos jours qui a prescrit à chacun de ces gouvernemens son mobile convenable et ses lois. C'est la vertu, dit M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du gouvernement républicain; c'est la crainte qui doit être le mobile du despotisme; c'est l'honneur, a dit enfin ce législateur de notre âge, qui doit être le mobile de la monarchie : et nous avons reconnu en effet que c'est ce gouvernement raisonnable, fait pour la terre, qui, laissant à l'homme tout le sentiment de son état et de son existence, doit être soutenu et conservé par l'honneur, qui n'est autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature. Quoi qu'aient donc pu dire la passion et l'ignorance contre les principes du sublime auteur de l'Esprit des Lois, ils sont aussi vrais que sa sagacité a été grande pour les découvrir et en suivre les effets, sans en avoir cherché l'origine. Tel est le privilége du génie, d'être seul capable de connoître le vrai d'un grand tout, lors même que ce tout lui est inconnu ou qu'il n'en considère qu'une partie.

Voyez Gouvernement, Monarchie.

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