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fait du voluptueux, du naïf, du léger Anacréon, un bel esprit qui s'étudie à dire des gentillesses.

Si la Motte est didactique, il l'est plus que Rousseau, et l'est avec moins d'agrément : s'il s'égare, c'est avec un sang froid qui rend son enthousiasme risible : les objets qu'il parcourt ne sont liés que par des que vois-je ? et que vois-je encore? C'est une galerie de tableaux, et, qui pis est, de tableaux mal peints. Ce n'est pas ainsi que l'imagination d'Horace voltigeoit; ce n'est pas même ainsi que s'égaroit celle de Pindare. Si l'un ou l'autre abandonnoit son sujet principal, il s'attachoit du moins à son épisode, et ne se jetoit point au hasard sur tout ce qui se présentoit à lui.

La Motte n'est pas plus heureux, lorsqu'il imite Anacréon; il avoue lui-même qu'il a été obligé de se feindre un amour chimérique, et d'adopter des mœurs qui n'étoient pas les siennes : ce n'étoit pas le moyen d'imiter celui de tous les poètes anciens qui avoit le plus de naturel.

Mais, avant de passer à l'ode anacréontique, rendons justice à Malherbe : c'est à lui que l'ode est redevable des progrès qu'elle a faits parmi nous. Non seulement il nous a fait sentir le premier de quelle cadence et de quelle harmonie les vers français étoient susceptibles; mais, ce qui me semble plus précieux encore, il nous a donné des modèles dans l'art de varier et de soutenir les mouvemens de l'ode, d'y répandre la chaleur d'une éloquence véhémente, et ce desordre apparent des sentimens et des idées qui fait le style passionné. Lisez les premières stances de l'ode qui commence par ces vers:

Que diriez-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récitoit les aventures

De nos plus admirables jours?

les mouve

Le style en a vieilli sans doute; mais, pour mens de l'ame, il y a peu de chose en notre langue de plus naturel et de plus éloquent.

On a raison de citer avec éloge son ode à Louis XIII; pleine de verve, riche en images, variée dans ses mouvemens, elle a cette marche libre et fière qui convient à Tome VIII.

H

l'ode héroïque. Seulement je n'aime pas à voir un poète animer son roi à la vengeance contre ses sujets. Les muses sont des divinités bienfaisantes et conciliatrices; il leur appartient d'apprivoiser les tigres, et non pas de rendre les hommes cruels.

dans

Ce n'est pas que l'ode ne soit quelquefois guerrière, mais c'est la valeur qu'elle inspire, c'est le mépris de la mort, c'est l'amour de la patrie, de la liberté, de la gloire; et, ce genre, les chants prussiens sont à la fois des modèles d'enthousiasme et de discipline. Le poète éloquent qui les a faits, et le héros qui prend soin qu'on les chante, ont également bien connu l'art d'émouvoir les esprits.

Si l'on savoit diriger ainsi tous les genres de poésie vers leur objet politique, ce don de séduire et de plaire, d'instruire et de persuader, d'exalter l'imagination, d'attendrir et d'élever l'ame, de dominer enfin les hommes par l'illusion et le plaisir, ne seroit rien moins qu'un frivole jeu.

Je viens de considérer l'ode dans toute son étendue; mais quelquefois réduite à un seul mouvement de l'ame, elle n'exprime qu'un tableau. Telles sont les odes voluptueuses et bachiques dont Anacréon et Sapho nous ont laissé des modèles parfaits.

La naïveté fait l'essence de ce genre; et celui qui a dit d'Anacréon que la persuasion l'accompagne, a peint le caractère du poète et du poème en même temps.

Après Lafontaine, celui de tous les poètes qui est le mieux dans sa situation, et qui communique le plus l'illusion qu'il se fait à lui-même, c'est, à mon gré, Anacréon. Tout ce qu'il peint, il le voit, et le voit, dis-je, des yeux de l'ame; et l'image qu'il fait éclôre est plus vive que son objet.

Horace, le digne émule de Pindare et d'Anacréon, a fait le partage des genres de l'ode. Il attribue à la lyre de Pindare les louanges des dieux et des héros, et, à celle d'Anacréon, le charme des plaisirs, les artifices de l'amour, ses jaloux transports et ses tendres alarmes.

L'ode anacréontique rejette ce que la passion a de sinistre. On peut l'y peindre dans toute sa violence, mais avec les couleurs de la volupté. L'ode de Sapho que Longin a

citée, et que Boileau a si bien traduite, est le modèle presque inimitable d'un amour à la fois voluptueux et brûlant.

Du reste, les tableaux les plus rians de la nature, les mouvemens les plus ingénus du cœur humain, l'enjouement, le plaisir, la mollesse, la négligence de l'avenir, le doux emploi du présent, les délices d'une vie dégagée d'inquiétudes, l'homme enfin ramené par la philosophie aux jeux de son enfance, voilà les sujets que choisit la muse d'Anacréon. Le caractère et le génie du Français lui sont favorables, aussi a-t-elle daigné nous sourire.

Nous avons peu d'odes anacréontiques dans le genre voluptueux, encore moins dans le genre passionné, mais beaucoup dans le genre galant, délicat, ingénieux et tendre. Tout le monde sait par cœur celle de M. Bernard.

Tendre fruit des pleurs de l'aurore,

En voici une du même auteur, qui n'est pas aussi connue, et qu'on peut citer à côté de celles d'Anacréon.

Jupiter, prête-moi ta foudre,
S'écria Lycoris un jour:

Donne que je réduise en poudre
Le temple où j'ai connu l'Amour.

Alcide, que ne suis-je armée
De ta massue et de tes traits,
Pour venger la terre alarmée
Et punir un dieu que je hais !

Médée, enseigne-moi l'usage
De tes plus noirs enchantemens :
Formons pour lui quelque breuvage
Egal au poison des amans.

Ah! si dans ma fureur extrême
Je tenois ce monstre odieux!..
Le voilà, lui dit l'Amour même,
Qui soudain parut à ses yeux.

Venge-toi, punis, si tu l'oses.
Interdite à ce prompt retour,
Elle prit un bouquet de roses
Pour donner le fouet à l'Amour.

On dit même que la bergère
Dans ses bras n'osant le presser,
En frappant d'une main légère,
Craignoit encor de le blesser.

Le sentiment, la naïveté, l'air de la négligence, et une certaine mollesse voluptueuse dans le style, font le charme de l'ode anacréontique; et Chaulieu, dans ce genre, auroit peut-être effacé Anacréon lui-même si, avec ces graces qui lui étoient naturelles, il eût voulu se donner le soin d'être moins diffus et plus châtié. Quoi de plus doux, de plus élégant que ces vers à M. de la Fare!

O toi qui de mon ame es la chère moitié ;
Toi qui joins la délicatesse

Des sentimens d'une maîtresse

A la solidité d'une sûre amitié;

Lafare, il faut bientôt que la parque cruelle
Vienne rompre de si doux nœuds;
Et, malgré nos cris et nos vœux,

Bientôt nous essuierons une absence éternelle.
Chaque jour je sens qu'à grands pas
J'entre dans ce sentier obscur et difficile,
Qui va me conduire là-bas
Rejoindre Catulle et Virgile.

Là, sous des berceaux toujours verds,
Assis à côté de Lesbie,

Je leur parlerai de tes vers
Et de ton aimable génie ;
Je leur raconterai comment
Tu recueillis si galamment
La muse qu'ils avoient laissée,
Et comme elle sut sagement,
Par la paresse autorisée,
Préférer avec agrément
Au tour brillant de la pensée
La vérité du sentiment.

M. de Voltaire a joint à ce beau naturel de Chaulieu plus de correction et de coloris ; et ses poésies familières sont, pour la plupart, d'excellens modèles de la gaieté noble et de la liberté qui doivent régner dans l'ode anacréontique.

Le temps de l'ode bachique est passé. C'étoit autrefois la mode de chanter à table. Les poètes composoient, le verre à la main, et leur ivresse n'étoit pas simulée. Cet heureux délire a produit des chansons pleines de verve et d'enthousiasme. J'en ai cité quelques exemples dans l'article Chanson. En voici deux qu'Anacréon n'eût pas dé

savouées :

Je ne changerois pas pour la coupe des rois
Le petit verre que tu vois:

Ami, c'est qu'il est fait de la même fougère,
Sur laquelle cent fois

Reposa ma bergère.

L'autre roule sur la même idée, mais le même sentiment, n'y est pas.

Vous n'avez pas, humble fougère,
L'éclat des fleurs qui parent le printemps:
Mais leurs beautés ne durent guère,
Les vôtres plaisent en tout temps.
Vous offrez des secours charmans

Aux plaisirs les plus doux qu'on goûte sur la terre:
Vous servez de lit aux amans,

Aux buveurs vous servez de verre.

Dans tous les genres que je viens de parcourir, non seulement l'ode est dramatique dans la bouche du poète; il est encore permis au poète d'y céder la parole à un personnage qu'il introduit, et l'on en voit des exemples dans Pindare, dans Anacréon, dans Sapho, dans Horace, etc.; mais celui-ci est, je crois, le premier qui ait mis l'ode en dialogue; et l'exemple qu'il en a laissé, donec gratus eram tibi, est un modèle de délicatesse. (Voyez Lyrique et Chanson.)

(M. MARMONTEL.)

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