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longs traits, ou de peinture, ou d'éloquence, dont il seroit incapable dans un travail plus réfléchi, tomber enfin dans un épuisement pareil à celui de la pythonisse: on reconnoit l'inspiration et l'enthousiasme des anciens poètes, et l'on est en même temps saisi d'étonnement et de pitié; d'étonnement, de voir réaliser ce délire divin qu'on croyoit fabuleux; et de pitié, de voir ce grand effort de la nature employé à un jeu futile, dont tout le succès pour l'enthousiaste est d'avoir amusé quelques étrangers, curieux, sans que des peintures, des sentimens, de beaux vers même qui lui sont échappés, il reste plus de trace que des sons de sa voix.

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C'étoit ainsi, sans doute, que s'animoient les poètes lyriques anciens; mais leur verve étoit plus dignement, plus utilement employée : ils ne s'exposoient pas au caprice de l'impromptu, ni au défi d'un sujet stérile, ingrat ou frivole; ils méditoient leurs chants; ils se donnoient euxmêmes des sujets graves et sublimes ce n'étoit pas un cercle de curieux oisifs qui excitoit leur enthousiasme c'étoit une armée, au milieu de laquelle, au son des trompettes guerrières, ils chantoient la valeur, l'amour de la patrie, les charmes de la liberté, les présages de la victoire, ou l'honneur de mourir les armes à la main ; c'étoit un peuple, au milieu duquel ils célébroient la majesté des lois, filles du ciel, et l'empire de la vertu; c'étoient des jeux funèbres où, devant un tombeau chargé de trophées et de lauriers, ils recommandoient à l'avenir la mémoire d'un homme vaillant et juste, qui avoit vécu et qui étoit mort pour son pays; c'étoient des festins où, assis à côté des rois, ils chantoient les héros, et donnoient à ces rois la généreuse envie d'être célébrés à leur tour par un chantre aussi éloquent; c'étoit un temple où ce chantre sacré sembloit inspiré par les dieux, dont il exaltoit les bienfaits, dont il faisoit adorer la puissance.

La plus juste idée, en un mot, que l'on puisse avoir d'un poète lyrique ancien, dans le genre élevé de l'ode, est celle d'un vertueux enthousiaste qui accouroit, la lyre à la main, ou dans le moment d'une sédition, pour calmer les esprits; ou dans le moment d'un désastre, d'une calamité publique, pour rendre l'espérance et le courage aux

peuples; ou dans le moment d'un succès glorieux, pour en consacrer la mémoire; ou dans une solemnité, pour en rehausser la splendeur; ou dans des jeux, pour exciter l'émulation des combattans par les chants promis au vainqueur, et qu'ils préféroient tous au prix de la victoire : telle étoit l'ode chez les Grecs. On a vu, dans l'article Lyrique, combien elle a dégénéré chez les Romains et les nations modernes. L'ode française n'est plus qu'un poème de fantaisie, sans autre intention que de traiter en vers plus élevés, plus animés, plus vifs en couleur, plus véhémens et plus rapides, un sujet qu'on choisit soi-même, ou qui, quelquefois, est donné. On sent combien doit être rare un véritable enthousiasme dans la situation tranquille d'un poète qui, de propos délibéré, se dit à lui-même : Faisons une ode, imitons le délire, et ayons l'air d'un homme inspiré. Quoi qu'il en soit, voyons quelle est la nature de ce poème. L'ode étoit l'hymne, le cantique et la chanson des anciens; elle embrasse tous les genres, depuis le sublime jusqu'au familier noble : c'est le sujet qui lui donne le ton, et son caractère est pris dans la nature.

Il est naturel à l'homme de chanter: voilà le genre de l'ode établi. Quand, comment et d'où lui vient cette envie de chanter? voilà ce qui caractérise l'ode.

Le chant nous est inspiré par la nature, ou dans l'enthousiasme de l'admiration, ou dans le délire de la joie, ou dans l'ivresse de l'amour, ou dans la douce rêverie d'une ame qui s'abandonne aux sentimens qu'excite en elle l'émotion légère des sens.

Ainsi, quels que soient le sujet et le ton de ce poème, le principe en est invariable; toutes les règles en sont prises dans la situation de celui qui chante, et dans les règles même du chant. Il est donc bien aisé de distinguer quels sont les sujets qui conviennent essentiellement à l'ode. Tout ce qui agite l'ame et l'élève au dessus d'elle-même ; tout ce qui l'émeut voluptueusement; tout ce qui la plonge dans une douce langueur, dans une tendre mélancolie; les songes intéressans dont l'imagination l'occupe; les tableaux variés qu'elle lui retrace; en un mot, tous les sentimens qu'elle aime à recevoir, et qu'elle se plaît à répandre, sont favorables à ce poème.

On chante pour charmer ses ennuis', comme pour exhaler sa joie; et quoique, dans une douleur profonde, il semble qu'on ait plus de répugnance que d'inclination pour le chant, c'est quelquefois un soulagement que se donne la nature. Orphée se consoloit, dit-on, en exprimant ses regrets sur sa lyre.

La sagesse, la vertu même, n'a pas dédaigné le secours de la lyre; elle a plié ses leçons aux règles du nombre et de la cadence; elle a même permis à la voix d'y mêler l'artifice du chant, soit pour les graver plus avant dans nos ames, soit pour en tempérer la rigueur par le charme des accords, soit pour exercer sur les hommes le double empire de l'éloquence et de l'harmonie, de la raison et du sentiment. Ainsi le genre de l'ode s'est étendu, élevé ennobli; mais on voit que le principe en est toujours et par-tout le même. Pour chanter, il faut être ému; il s'ensuit que l'ode est dramatique, c'est-à-dire que ses personnages sont en action. Le poète même est acteur dans l'ode; et s'il n'est pas affecté des sentimens qu'il exprime, l'ode sera froide et sans ame; elle n'est pas toujours également passionnée; mais elle n'est jamais, comme l'épopée, le récit d'un simple témoin. Dans Anacréon, j'oublie le poète, je ne vois que l'homme voluptueux; de même si l'ode s'élève au ton sublime de l'inspiration, je veux croire entendre un homme inspiré; si elle fait l'éloge de la vertu, ou si elle en défend la cause, ce doit être avec l'éloquence d'un zèle ardent et généreux. Il en est des tableaux que l'ode peint, comme des sentimens qu'elle exprime : le poète en doit être affecté, comme il veut m'en affecter moimême. La Motte a connu toutes les règles de l'ode, excepté celle-ci : de là vient qu'il a mis dans les siennes tant d'esprit et si peu de chaleur; c'est de tous les poètes lyriques celui qui annonce le plus d'enthousiasme, et qui en a le moins. Le sentiment et le génie ont des mouvemens qui ne s'imitent

pas.

Boileau a dit, en parlant de l'ode :

Son style impétueux souvent marche au hasard:
Chez elle, un beau désordre est un effet de l'art.

On ne sauroit croire combien ces deux vers mal enten

dus ont fait faire d'extravagances. On s'est persuadé que l'ode, appelée pindarique, ne devoit aller qu'en bondissant; de là tous ces mouvemens qui ne sont qu'au bout de la plume, et ces formules de transports. Qu'entends-je ? où suis-je ? que vois-je ? qui ne se terminent à rien.

Celui des modernes qui a le mieux pris le ton de l'ode, sur tout lorsque David le lui a donné, Rousseau, dans l'ode à M. du Luc, commence par se comparer au ministre d'Apollon, possédé du dieu qui l'inspire.

Ce n'est point un mortel. c'est Apollon lui-même

Qui parle par ma voix.

Ce début me semble bien haut pour un poème dont le style finit par être l'expression douce et touchante du sentiment le plus tempéré.

Pindare, en un sujet pareil, a pris un ton beaucoup plus humble : « Je voudrois voir revivre Chiron, ce cen» taure, ami des hommes, qui nourrit Esculape, et qui >> l'instruisit dans l'art divin de guérir nos maux... Ah ! » s'il habitoit encore sa caverne, et si mes chants pou>> voient l'attendrir, j'irois moi-même l'engager à prendre » soin des héros, et j'apporterois à celui qui tient sous ses » lois les campagnes de l'Etna et les bords de l'Arethuse >> deux présens qui lui seroient chers, la santé, plus pré»cieuse que l'or, et un hymne sur son triomphe.

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Rien de plus imposant, de plus majestueux que ce début prophétique du poète français que je viens de citer.

Qu'aux accens de ma voix la terre se réveille.
Rois, soyez attentifs; peuples, prêtez l'oreille.
Que l'univers se taise et m'écoute parler.
Mes chants vont seconder les accords de ma lyre.
L'esprit saint me pénètre, il m'échauffe et m'inspire
Les grandes vérités que je vais révéler.

Mais quelles sont ces vérités inouies? Que vainement l'homme se fonde sur ses grandeurs et sur ses richesses; que nous sommes tous mortels, et que Dieu nous jugera tous. Voilà le précis de cette ode.

Si ces vérités ne sont pas nouvelles, au moins elles sont

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présentées avec une force inouie; et cependant l'on reproche au poète le ton imposant qu'il a pris; tant il est vrai qu'il faut avoir de grandes leçons à donner au monde pour être en droit de demander silence.

La Motte prétend que ce début, condamné dans un poème épique,

Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre,

seroit placé dans une ode. Oui, s'il étoit soutenu. Cependant, dit-il, dans l'épopée, comme dans l'ode, le poète se donne pour inspiré ; et de là il conclut que le style de l'ode est le même que celui de l'épopée. Cette équivoque est de conséquence; mais il est facile de la lever. Dans l'épopée, on suppose le poète inspiré, au lieu qu'on le croit possédé dans l'ode.

Muse, dis-moi la colère d'Achille.

La muse raconte, et le poète écrit: voilà l'inspiration tranquille.

Est-ce l'esprit divin qui s'empare de moi ?

C'est lui-même.

Voilà l'inspiration prophétique; mais il faut bien se consulter avant que de prendre un si rapide essor : par exemple, il ne convient pas à celui qui va décrire un cabinet de médailles; et, après avoir dit comme la Motte,

Docte fureur, divine ivresse,
En quels lieux m'as-tu transporté!

l'on ne doit pas tomber dans de froides réflexions sur l'incertitude et l'obscurité des inscriptions et des emblêmes. Le haut ton séduit les jeunes gens, parce qu'il marque l'enthousiasme; mais le difficile est de le soutenir; et plus l'essor est présomptueux, plus la chûte sera risible.

L'air du délire est encore un ridicule que les poètes se donnent, faute d'avoir réfléchi sur la nature de l'ode. Il est vrai qu'elle a le choix entre toutes les progressions

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