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ALEXANDRE MACKENSIE.

Juillet 1801.

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L faut peut-être chercher dans l'inconstance et les dégoûts du cœur humain le motif de l'intérêt général qu'inspire la lecture des Voyages. Fatigués de la société où nous vivons, et des chagrins qui nous environnent, nous aimons à nous égarer en pensée dans des pays lointains et chez des peuples inconnus. Si les hommes que l'on nous peint sont plus heureux que nous, leur bonheur nous délasse; s'ils sont plus infortunés, leurs maux nous consolent.

Mais l'intérêt attaché au récit des voyages diminue chaque jour, à mesure que le nombre des voyageurs augmente; l'esprit philosophique a fait cesser les merveilles du désert:

Les bois désenchantés ont perdu leurs miracles'.

Quand les premiers François qui descendirent sur les rivages du Canada parlent de lacs semblables à des mers, de cataractes qui tombent du ciel, de forêts dont on ne peut sonder la profondeur, l'esprit est bien plus fortement ému que lorsqu'un marchand anglois, ou un savant moderne, vous apprend qu'il a pénétré jusqu'à l'océan Pacifique,

* FONTANES.

et que la chute du Niagara n'a que cent quarantequatre pieds de hauteur.

Ce que nous gagnons en connoissances, nous le perdons en sentiment. Les vérités géométriques ont tué certaines vérités de l'imagination bien plus importantes à la morale qu'on ne pense. Quels étoient les premiers voyageurs dans la belle antiquité? C'étoient les législateurs, les poëtes et les héros; c'étoient Jacob, Lycurgue, Pythagore, Homère, Hercule, Alexandre dies peregrinationis1! Alors tout étoit prodige, sans cesser d'être réalité, et les espérances de ces grandes âmes aimoient à dire : << Là-bas la terre inconnue! la terre immense! » Terra ignota! terra immensa! Nous avons naturellement la haine des bornes; je dirois presque que le globe est trop petit pour l'homme, depuis qu'il en a fait le tour. Si la nuit est plus favorable que le jour à l'inspiration et aux vastes pensées, c'est qu'en cachant toutes les limites, elle prend l'air de l'immensité.

Les voyageurs françois et les voyageurs anglois semblent, comme les guerriers de ces deux nations, s'être partagé l'empire de la terre et de l'onde. Les derniers n'ont rien à opposer aux Tavernier, aux Chardin, aux Parennin, aux Charlevoix; ils n'ont point de monument tel que les Lettres édifiantes; mais les premiers, à leur tour, n'ont point d'Anson, de Byron, de Cook, de Vancouver. Les voyageurs françois ont plus fait pour la connoissance des mœurs

1 Genèse.

et des coutumes des peuples: vóov yvw, mores cognovit; les voyageurs anglois ont été plus utiles aux progrès de la géographie universelle : ἐν πόντῳ παθεν, in mari passus est1. Ils partagent, avec les Espagnols et les Portugais, la gloire d'avoir ajouté de nouvelles mers et de nouveaux continents au globe, et d'avoir fixé les limites de la terre.

Les prodiges de la navigation sont peut-être ce qui donne une plus haute idée du génie de l'homme. On frissonne et on admire lorsqu'on voit Colomb s'enfonçant dans les solitudes d'un océan inconnu, Vasco de Gama doublant le cap des Tempêtes, Magellan sortant d'une vaste mer pour entrer dans une mer plus vaste encore, Cook volant d'un pôle à l'autre, et, resserré de toutes parts par les rivages du globe, ne trouvant plus de mers pour ses vaisseaux!

Quel beau spectacle n'offre point cet illustre navigateur, cherchant de nouvelles terres, non pour en opprimer les habitants, mais pour les secourir et les éclairer, portant à de pauvres sauvages les nécessités de la vie, jurant concorde et amitié, sur leurs rives charmantes, à ces simples enfants de la nature, semant, parmi les glaces australes, les fruits d'un plus doux climat, en imitant ainsi la Providence, qui prévoit les naufrages et les besoins des hommes!

La mort n'ayant pas permis au capitaine Cook d'achever ses importantes découvertes, le capitaine

1 Odyss.

Vancouver fut chargé, par le gouvernement anglois, de visiter toute la côte américaine, depuis la Californie jusqu'à la rivière de Cook, et de lever les doutes qui pouvoient rester encore sur un passage au nord-ouest du Nouveau-Monde. Tandis que cet habile marin remplissoit sa mission avec autant d'intelligence que de courage, un autre voyageur anglois, parti du Haut-Canada, s'avançoit à travers les déserts et les forêts jusqu'à la mer boréale et l'océan Pacifique.

M. Mackenzie, dont je vais faire connoître les travaux, ne prétend ni à la gloire du savant ni à celle de l'écrivain. Simple trafiquant de pelleteries parmi les Indiens, il ne donne modestement son voyage que pour le journal de sa route.

Le 15, le vent souffloit de l'ouest : nous fimes quatre milles au sud, deux milles au sud-ouest, etc. Le fleuve étoit rapide : nous eûmes un portage, nous vtmes des huttes abandonnées; le pays étoit fertile ou aride; nous traversâmes des plaines ou des montagnes; il tomba de la neige; mes gens étoient fatigués; ils voulurent me quitter; je fis une observation astronomique, etc., etc.

Tel est à peu près le style de M. Mackenzie. Quelquefois cependant il interrompt son journal pour décrire une scène de la nature, ou les mœurs des sauvages; mais il n'a pas toujours l'art de faire valoir ces petites circonstances si intéressantes dans les récits de nos missionnaires. On connoît à peine les compagnons de ses fatigues; point de transports en découvrant la mer, but si désiré de l'entreprise;

point de scènes attendrissantes lors du retour. En un mot, le lecteur n'est point embarqué dans le canot d'écorce avec un voyageur, et ne partage point avec lui ses craintes, ses espérances et ses périls.

Un plus grand défaut encore se fait sentir dans l'ouvrage : il est malheureux qu'un simple journal de voyage manque de méthode et de clarté. M. Mackenzie expose confusément son sujet. Il n'apprend point au lecteur quel est ce fort Chipiouyan d'où il part; où en étoient les découvertes lorsqu'il a commencé les siennes; si l'endroit où il s'arrête à l'entrée de la mer Glaciale étoit une baie, ou simplement une expansion du fleuve, comme on est tenté de le soupçonner; comment le voyageur est certain que cette grande rivière de l'ouest, qu'il appelle Tacoutché-Tessé, est la rivière de Colombia, puisqu'il ne l'a pas descendue jusqu'à son embouchure; comment il se fait que la partie du cours de ce fleuve qu'il n'a pas visitée soit cependant marquée sur sa carte, etc., etc.

Malgré ces nombreux défauts, le mérite du journal de M. Mackenzie est fort grand; mais il a besoin de commentaires, soit pour donner une idée des déserts que le voyageur traverse, et colorer un peu la maigreur et la sécheresse de son récit, soit pour éclaircir quelques points de géographie. Je vais essayer de remplir cette tâche auprès du lecteur.

L'Espagne, l'Angleterre et la France doivent leurs possessions américaines à trois Italiens, Colomb, Cabot et Verazani. Le génie de l'Italie, enseveli sous des ruines, comme les géants sous les monts qu'ils

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