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avoit besoin d'un parfait philosophe, le plaça parmi les Quakers, sur les bords de la Tamise. Les tavernes de la Grande-Bretagne devinrent le séjour des esprits forts, de la vraie liberté, etc., etc., quoiqu'il soit bien connu que le pays du monde où l'on parle le moins de religion, où on la respecte le plus, où l'on agite le moins de ces questions oiseuses qui troublent les empires, soit l'Angleterre.

Il me semble qu'on doit chercher le secret des mœurs des Anglois dans l'origine de ce peuple. Mélange du sang françois et du sang allemand, il forme la nuance entre ces deux nations. Leur politique, leur religion, leur militaire, leur littérature, leurs arts, leur caractère national, me paroissent placés dans ce milieu; ils semblent réunir, en partie, à la simplicité, au calme, au bon sens, au mauvais goût germanique, l'éclat, la grandeur, l'audace et la vivacité de l'esprit françois.

Inférieurs à nous sous plusieurs rapports, ils nous sont supérieurs en quelques autres, particulièrement en tout ce qui tient au commerce et aux richesses. Ils nous surpassent encore en propreté ; et c'est une chose remarquable, que ce peuple qui paroît si pesant, a, dans ses meubles, ses vêtements, ses manufactures, une élégance qui nous manque. On diroit que l'Anglois met dans le travail des mains la délicatesse que nous mettons dans celui de l'esprit.

Le principal défaut de la nation angloise, c'est l'orgueil, et c'est le défaut de tous les hommes. Il domine à Paris comme à Londres, mais modifié

par le caractère françois, et transformé en amourpropre. L'orgueil pur appartient à l'homme solitaire, qui ne déguise rien, et qui n'est obligé à aucun sacrifice; mais l'homme qui vit beaucoup avec ses semblables est forcé de dissimuler son orgueil, et de le cacher sous les formes plus douces et plus variées de l'amour-propre. En général, les passions sont plus dures et plus soudaines chez l'Anglois, plus actives et plus raffinées chez le François. L'orgueil du premier veut tout écraser de force en un instant; l'amour-propre du second mine tout avec lenteur. En Angleterre on hait un homme pour un vice, pour une offense; en France un pareil motif n'est pas nécessaire. Les avantages de la figure ou de la fortune, un succès, un bon mot, suffisent. Cette haine, qui se forme de mille détails honteux, n'est pas moins implacable que la haine qui naît d'une plus noble cause. Il n'y a point de si dangereuses passions que celles qui sont d'une basse origine, car elles sentent cette bassesse, et cela les rend furieuses. Elles cherchent à la couvrir sous des crimes, et à se donner, par les effets, une sorte d'épouvantable grandeur qui leur manque par le principe: c'est ce qu'a prouvé la révolution.

L'éducation commence de bonne heure en Angleterre les filles sont envoyées à l'école dès leur plus tendre jeunesse. Vous voyez quelquefois des groupes de ces petites Angloises, toutes en grands mantelets blancs, un chapeau de paille noué sous le menton avec un ruban, une corbeille passée au bras, et dans laquelle sont des fruits et un livre;

toutes tenant les yeux baissés, toutes rougissant lorsqu'on les regarde. Quand j'ai revu nos petites Françoises, coiffées à l'huile antique, relevant la queue de leur robe, regardant avec effronterie, fredonnant des airs d'amour et prenant des leçons de déclamation, j'ai regretté la gaucherie et la pudeur des petites Angloises. Un enfant sans innocence est une fleur sans parfum.

Les garçons passent aussi leur première jeunesse à l'école, où ils apprennent le grec et le latin. Ceux qui se destinent à l'Église, ou à la carrière politique, vont de là aux universités de Cambridge ou d'Oxford. La première est particulièrement consacrée aux mathématiques, en mémoire de Newton; mais, en général, les Anglois estiment peu cette étude, qu'ils croient très dangereuse aux bonnes mœurs, quand elle est portée trop loin. Ils pensent que les sciences dessèchent le cœur, désenchantent la vie, mènent les esprits foibles à l'athéisme, et de l'athéisme à tous les crimes. Les belles-lettres, au contraire, disent-ils, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos âmes, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent ainsi, par la religion, à la pratique de toutes les vertus 1.

L'agriculture, le commerce, le militaire, la religion, la politique, telles sont les carrières ouvertes à l'Anglois devenu homme. Est-on ce qu'on appelle un gentleman farmer (un gentilhomme cultivateur), on vend son blé, on fait des expériences sur l'agri

'Vid, GIBBON, Lit., etc.

culture; on chasse le renard ou la perdrix en automne; on mange l'oie grasse à Noël; on chante le roast beef of old England; on se plaint du présent, on vante le passé, qui ne valoit pas mieux, et le tout en maudissant Pitt et la guerre, qui augmente le prix du vin de Porto; on se couche ivre, pour recommencer le lendemain la même vie.

L'état militaire, quoique si brillant sous la reine Anne, étoit tombé dans un discrédit dont la guerre actuelle l'a relevé. Les Anglois ont été long-temps sans songer à retourner leurs forces vers la marine. Ils ne vouloient se distinguer que comme puissance continentale; c'étoit un reste de vieilles opinions, qui tenoient le commerce à déshonneur. Les Anglois ont toujours eu, comme nous, une physionomie historique qui les distingue dans tous les siècles. Aussi c'est la seule nation qui, avec la françoise, mérite proprement ce nom en Europe. Quand nous avions notre Charlemagne, ils avoient leur Alfred. Leurs archers balançoient la renommée de notre infanterie gauloise; leur prince Noir le disputoit à notre Du Guesclin, et leur Marlborough à nos Turenne. Leurs révolutions et les nôtres se suivent; nous pouvons nous vanter de la même gloire, et déplorer les mêmes crimes et les mêmes malheurs.

Depuis que l'Angleterre est devenue puissance maritime, elle a déployé son génie particulier dans cette nouvelle carrière; ses marins sont distingués de tous les marins du monde. La discipline de ses vaisseaux est singulière : le matelot anglois est absolument esclave. Mis à bord de force, obligé de

servir malgré lui, cet homme, si indépendant tandis qu'il est laboureur, semble perdre tous ses droits à la liberté aussitôt qu'il devient matelat. Ses supérieurs appesantissent sur lui le joug le plus dur et le plus humiliant. Comment des hommes si orgueilleux et si maltraités se soumettent-ils à une pareille tyrannie? C'est là le miracle d'un gouvernement libre; c'est que le nom de la loi est tout-puissant dans ce pays, et quand elle a parlé, nul ne résiste.

Je ne crois pas que nous puissions, ni même que nous devions jamais transporter la discipline angloise sur nos vaisseaux. Le François, spirituel, franc, généreux, veut approcher de son chef; il le regarde comme son camarade encore plus que comme son capitaine. D'ailleurs, une servitude aussi absolue que celle du matelot anglois ne peut émaner que d'une autorité civile: or, il seroit à craindre qu'elle ne fût méprisée de nos marins; car malheureusement le François obéit plutôt à l'homme qu'à la loi, et ses vertus sont plus des vertus privées que des vertus publiques.

Nos officiers de mer étoient plus instruits que les officiers anglois. Ceux-ci ne savent que leurs manœuvres; ceux-là étoient des mathématiciens et des hommes savants dans tous les genres. En général, nous avons déployé dans notre marine notre véritable caractère: nous y paroissons comme guerriers et comme artistes. Aussitôt que nous aurons des vaisseaux, nous reprendrons notre droit d'aînesse dans l'Océan comme sur la terre. Nous pourrons faire aussi des observations astronomiques et

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