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Cet art de nous transporter au milieu des objets se fait remarquer chez nos vieux écrivains jusque dans la satire historique. Thomas Arthus nous représente Henri III couché dans un lit large et spacieux, se plaignant qu'on le réveille trop tôt à midi, ayant un linge et un masque sur le visage, des gants dans les mains, prenant un bouillon et se replongeant dans son lit. Dans une chambre voisine, Caylus, Saint-Mégrin et Maugiron se font friser, et achèvent la toilette la plus correcte: on leur arrache le poil des sourcils, on leur met des dents, on leur peint le visage, on passe un temps énorme à les habiller et à les parfumer. Ils partent pour se rendre dans la chambre de Henri III, «branlant tellement le corps, la tête et les jambes, « que je croyois à tout propos qu'ils dussent tom«ber de leur long. . Ils trouvoient cette fa«çon - là de marcher plus belle que pas une

« autre. »

M. de Barante s'est pénétré de cette importante idée, qu'il faut faire passer les usages et les mœurs dans la narration. Il décrit les batailles avec feu: on y assiste. Il faut lire dans le livre second la fameuse aventure du connétable de Clisson et duc de Bretagne. Y a-t-il rien de plus animé que la peinture de ce qui advint après la signature du traité entre le Dauphin et Jean-sans-Peur, au mois de juillet 1419? «La paix des princes, dit l'historien, leur avoit causé (aux Parisiens) une grande joie; «cependant ils ne voyoient pas qu'on s'occupât beaucoup à faire cesser les désordres.

Mais les esprits furent encore bien plus triste«ment émus, lorsque le 29 juillet, vers le milieu « de la journée, on vit arriver à la porte Saint«Denis une troupe de pauvres fugitifs en désordre, a et troublés d'épouvante. Les uns étoient blessés et « sanglants; les autres tomboient de faim, de soif « et de fatigue. On les arrêta à la porte, leur de<< mandant qui ils étoient, et d'où venoit leur désespoir: Nous sommes de Pontoise, répondirent-ils « en pleurant; les Anglois ont pris la ville ce matin; « ils ont tué ou blessé tout ce qui s'est trouvé devant « eux. Bienheureux qui a pu se sauver de leurs « mains; jamais les Sarrasins n'ont été si cruels aux <«< chrétiens qu'ils le sont. - Pendant qu'ils parloient, « arrivoient à chaque instant, vers la porte Saint« Denis et la porte Saint-Lazare, des malheureux à « demi nus, de pauvres femmes portant leurs en«fants sur les bras et dans une hotte, les unes sans

chaperon, les autres avec un corset à demi atta«ché; des prètres en surplis et la tête découverte. «Tous se lamentoient: O mon Dieu! disoient-ils,

préservez-nous du désespoir par votre miséri«< corde; ce matin nous étions encore dans nos mai«sons, heureux et tranquilles; à midi, nous voilà, <«< comme gens exilés, cherchant notre pain. Les « uns s'évanouissoient de fatigue; les autres s'asseyoient par terre, ne sachant que devenir; puis ils parloient de ceux qu'ils avoient laissés derrière

« eux. D

Voilà la vraie manière de l'histoire : c'est excellent.

L'Histoire des ducs de Bourgogne est écrite sans esprit de parti, mais non pas avec cette impartialité contraire au génie de l'histoire, qui reste indifférente au vice et à la vertu. On a oublié dans l'école moderne que l'histoire est un tableau, et que si le jugement le compose, c'est l'imagination qui le colore. La véritable impartialité historique consiste à rapporter les événements avec une scrupuleuse exactitude, à respecter la chronologie, à ne pas dénaturer les faits, à ne pas donner à un personnage ce qui appartient à l'autre le reste est laissé au sentiment libre de l'historien.

C'est ainsi que M. de Barante écrit nécessairement dans les idées qui dominent son système politique. Quand il expose les crimes des classes secondaires de la société, avec autant de sincérité que d'horreur, on sent qu'il y trouve une sorte d'excuse dans l'oppression des peuples et des communes; quand il raconte les vertus des chevaliers, on entrevoit qu'il seroit plus satisfait si ces vertus appartenoient à une autre race d'hommes; mais cela n'ôte rien à l'intégrité de son jugement, ni à la fidélité de son pinceau. Chaque historien a son affection: Xénophon, Athénien, est Spartiate dans son histoire; Tite-Live est Pompéien et républicain sous Auguste; Tacite, n'ayant plus que des tyrans à maudire, se compose des modèles de vertus dans quelques hommes privilégiés ou dans les Sauvages de la Germanie. En Angleterre, tous les auteurs sont whigs ou torys. Bossuet, parmi nous, dédaigne de prendre des renseignements sur la terre;

c'est dans le ciel qu'il va chercher ses chartes. Que lui fait cet empire du monde, présent de nul prix, comme il le dit lui-même ? S'il est partial, c'est pour le monde éternel: en écrivant l'histoire au pied de la Croix, il écrase les peuples sous le signe de notre salut, comme il asservit les événements à la domination de son génie.

M. de Barante a déjà publié quatre volumes de son histoire, qui font vivement désirer le reste. Il poursuit son ouvrage avec cette patience laborieuse sans laquelle le talent ne jette que des lueurs passagères, et ne laisse que des travaux incomplets. L'histoire est la retraite aussi noble que naturelle de l'homme de talent qui est sorti des affaires publiques. Là encore il y a des justices à faire. Nous savons bien que ces justices n'effraient guère dans ce siècle ceux qui se sont accoutumés au mépris public; il y a des hommes qui ne font pas plus de cas de leur mémoire que de leur cadavre; peu importe qu'on la foule aux pieds, ils ne le sentiront pas mais ce n'étoit pas pour punir les morts, c'étoit pour épouvanter les vivants que l'on trainoit autrefois sur la claie les corps de certains criminels.

SUITE.

Mai 1825.

ous avons rendu compte des premiers volumes de cet important et bel ouvrage. Deux autres volumes ont paru depuis cette époque et deux nouveaux volumes sont au moment de paroître. Remettons rapidement sous les yeux du lecteur ce tableau si dramatique et si varié.

Le roi Jean est prisonnier en Angleterre; Philippe de Rouvre, dernier duc de la première maison de Bourgogne, meurt : Jean recueille son héritage, comme si la Providence vouloit rendre au monarque captif autant de puissance et de provinces qu'il alloit en céder à Édouard III pour sa rançon. Mais Jean donna à son fils bien aimé, le ieune Philippe de France, qui avoit combattu et avoit été blessé auprès de lui à la bataille de Poitiers, le duché de Bourgogne; c'est Philippe-leHardi, premier duc de Bourgogne de la maison de Valois.

Sous ce premier duc s'écoule tout le règne de Charles V, ce règne si sage, si fertile en événements, et en grands hommes, mais qui devoit se terminer par le règne de Charles VI, où renaissent toutes les calamités de la France.

Philippe-le-Hardi vit encore commencer la maladie de Charles VI, et cette tutelle orageuse que

MÉLANGES LITTÉRAIRES.

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