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DE M. LE CT DE BOISSY-D'ANGLAS,

INTITULÉ :

ESSAI SUR LA VIE, LES ÉCRITS ET LES OPINIONS

DE M. DE MALESHERBES.

Mars 1819.

ESPRIT philosophique qui a dénaturé notre littérature a surtout corrompu notre histoire prenant les moeurs pour des préjugés, il a substitué des maximes à des peintures, une raison absolue à cette raison relative qui sort de la nature des choses, et qui forme le génie des siècles.

Ce même esprit, en examinant les hommes, ne les mesure que d'après ses règles : il les juge moins d'après leurs actions que d'après leurs opinions. Il y a tels personnages auxquels il ne pardonne leurs vertus qu'en considération de leurs erreurs.

Ces réflexions ne sont point applicables à l'auteur de l'Essai sur la vie de M. de Malesherbes. M. le comte de Boissy-d'Anglas se connoît en courage et en sentiments généreux. Il seroit pourtant à désirer qu'il eût commencé son ouvrage par un morceau moins propre à réveiller l'esprit de parti. Pourquoi tous ces détails sur les souffrances des

MÉLANGES LITTÉRAIRES.

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protestants? Si c'est une instruction paternelle que l'auteur adresse à ses enfants, elle est trop longue; si c'est un traité historique, il est trop court. L'histoire veut surtout qu'on ne dissimule rien, et qu'une partie du tableau ne soit pas plongée dans l'ombre, tandis que l'autre reçoit exclusivement la lumière. M. le comte de Boissy-d'Anglas gémit sur les proscriptions des calvinistes et les lois cruelles dont ils furent frappés. Il n'y a pas un honnête homme qui ne partage son indignation; mais pourquoi ne dit-il pas que les protestants de Nîmes avoient égorgé deux fois les catholiques, une première fois en 1567, et une seconde fois en 1569, avant que les catholiques eussent, en 1572, massacré les protestants 1? Il s'élève contre l'Apologie de Louis XIV sur la révocation de l'édit de Nantes; mais cette Apologie est pourtant un excellent morceau de critique historique. Si l'abbé de Caveyrac soutient que la journée de la Saint-Barthélemi fut moins sanglante qu'on ne l'a cru, c'est qu'heureusement ce fait est prouvé. Lorsque la Bibliothèque du Vatican étoit à Paris (trésor inappréciable auquel presque personne ne songeoit), j'ai fait faire des recherches; j'ai trouvé sur la journée de la Saint-Barthélemi les documents les plus précieux. Si la vérité doit se rencontrer quelque part, c'est sans doute dans des lettres écrites en chiffres aux souverains pontifes, et qui étoient

'Les protestants de Nimes avoient égorgé deux fois les catholiques, et, à la Saint-Barthélemi, les catholiques de la même ville refusèrent de massacrer les protestants. Je pourrois en dire davantage si je voulois parler du commencement de la révolution.

condamnées à un secret éternel. Il résulte positivement de ces lettres que la Saint-Barthélemi ne fut point préméditée; qu'elle ne fut que la conséquence soudaine de la blessure de l'amiral, et qu'elle n'enveloppa qu'un nombre de victimes, toujours beaucoup trop grand, sans doute, mais au-dessous des supputations de quelques historiens passionnés. M. le comte de Boissy-d'Anglas montre partout une sincère horreur pour les excès révolutionnaires : cependant, si son opinion étoit que l'on a exagéré le nombre des personnes sacrifiées, ne seroit-il pas souverainement injuste de dire qu'il fait l'apologie du meurtre et du crime?

Quant aux lois qui pesoient sur les protestants en France, étoient-elles plus rigoureuses que ces fameuses lois de découverte (laws of discovery) qui frappent encore aujourd'hui les catholiques en Irlande? Par ces lois, les catholiques sont entièrement désarmés. Ils sont incapables d'acquérir des terres. Si un enfant abjure la religion catholique, il hérite de tout le bien, quoiqu'il soit le plus jeune. Si le fils abjure sa religion, le père n'a aucun pouvoir sur son propre bien, mais il perçoit une pension sur ce bien, qui passe à son fils. Aucun catholique ne peut faire un bail pour plus de trente et un ans. Les prêtres qui célébreront la messe seront déportés, et s'ils reviennent, pendus. Si un catholique possède un cheval valant plus de cinq livres sterling, il sera confisqué au profit du dénonciateur.

Que conclure de ces déplorables exemples? Que

partout on abuse de la force; que partout, catholiques et protestants, lorsque les passions les animent, peuvent se servir des motifs les plus sacrés pour les actes les plus impies; qu'enfin la religion et la philosophie ne sont pas toujours pratiquées par des saints et par des sages.

Au reste, ne jugeons point les hommes sur ce qu'ils ont dit, mais d'après ce qu'ils ont fait : voyons M. de Malesherbes sortir de sa retraite à l'âge de soixante-douze ans, pour venir offrir à l'ancien maître dont il étoit presque oublié, l'autorité de ses cheveux blancs et le vénérable appui de sa vieillesse. « Lorsque la pompe et la splendeur de Ver« sailles, dit éloquemment M. de Boissy-d'Anglas, « étoient remplacées par l'obscurité de la tour du Temple, M. de Malesherbes put devenir, pour la << troisième fois, le conseil de celui qui étoit sans « couronne et dans les fers, de celui qui ne pouvoit «offrir à personne que la gloire de finir ses jours « sur le même échafaud que lui. »

M. de Malesherbes écrivit au président de la Convention pour lui proposer de défendre le roi.

« Je ne vous demande point, lui dit-il dans sa <«<lettre, de faire part à la Convention de mon offre. « car je suis bien éloigné de me croire un personanage assez important pour qu'elle s'occupe de moi; mais j'ai été appelé deux fois au conseil de celui «qui fut mon maître dans le temps où cette fone«tion étoit ambitionnée de tout le monde : je lui dois « le même service, lorsque c'est une fonction que a bien des gens trouvent dangereuse. »

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