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sans inconvénients, s'exposer à être jugé ? Est-il bon qu'un monarque donne, comme un homme ordinaire, la mesure de son esprit, et réclame l'indulgence de ses sujets dans une préface? Il me semble que les dieux ne doivent pas se montrer si clairement aux hommes : Homère met une barrière de nuages aux portes de l'Olympe.

Quant à cette autre phrase, un auteur doit être pris dans les rangs ordinaires de la société. J'en demande pardon à mon censeur; mais cette phrase n'implique pas le sens qu'il y trouve. Dans l'endroit où elle est placée 1, elle se rapporte aux rois, uniquement aux rois. Je ne suis point assez absurde pour vouloir que les lettres soient abandonnées précisément à la partie non lettrée de la société. Elles sont du ressort de tout ce qui pense; elles n'appartiennent point à une classe d'hommes particulière; elles ne sont point une attribution des rangs, mais une distinction des esprits. Je n'ignore pas que Montaigne, Malherbe, Descartes, La Rochefoucauld, Fénelon, Bossuet, La Bruyère, Boileau même, Montesquieu et Buffon, ont tenu plus ou moins à l'ancien corps de la noblesse, ou par la robe. ou par l'épée; je sais bien qu'un beau génie ne peut déshonorer un nom illustre; mais, puisque mon critique me force à le dire, je pense qu'il y a toutefois moins de péril à cultiver les muses dans un état obscur que dans une condition éclatante. L'homme sur qui rien n'attire les regards, expose

' Voyez l'article sur les Mémoires de Louis XIV.

peu de chose au naufrage. S'il ne réussit pas dans les lettres, sa manie d'écrire ne l'aura privé d'aucun avantage réel, et son rang d'auteur oublié n'ajoutera rien à l'oubli naturel qui l'attendoit dans une autre carrière.

Il n'en est pas ainsi de l'homme qui tient une place distinguée dans le monde, ou par sa fortune, ou par ses dignités, ou par les souvenirs qui s'attachent à ses aïeux. Il faut qu'un tel homme balance long-temps avant de descendre dans une lice où les chutes sont cruelles. Un moment de vanité peut lui enlever le bonheur de toute sa vie. Quand on a beaucoup à perdre, on ne doit écrire que forcé pour ainsi dire par son génie, et dompté par la présence du dieu fera corda domans. Un grand talent est une grande raison, et l'on répond à tout avec de la gloire. Mais si l'on ne sent pas en soi ce mens divinior, qu'on se garde bien alors de ces demangeaisons qui nous prennent d'écrire.

Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que, dans la cour, vous avez d'honnête homme,
Pour prendre de la main d'un avide imprimeur
Celui de ridicule et misérable auteur.

Si je voyois quelque Du Guesclin rimailler sans l'aveu d'Apollon un méchant poëme, je lui crierois : « Sire Bertrand, changez votre plume pour l'épée << de fer du bon connétable. Quand vous serez sur « la brèche, souvenez-vous d'invoquer, comme votre ancêtre, Notre-Dame Du Guesclin. Cette muse n'est « pas celle qui chante les villes prises, mais c'est «< celle qui les fait prendre.

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