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SUR

LES MÉMOIRES DE LOUIS XIV.

Mars 1806.

D

EPUIS quelque temps les journaux nous annonçoient des OEuvres de Louis XIV. Ce titre avoit choqué les personnes qui attachent encore quelque prix à la justesse des termes et à la décence du langage. Elles observoient qu'un auteur peut seul appeler OEuvres ses propres travaux, lorsqu'il les livre lui-même au public; qu'il faut en outre que cet auteur soit pris dans les rangs ordinaires de la société, et qu'il ait écrit non de simples Mémoires historiques, mais des ouvrages de science ou de littérature; que dans tous les cas un roi n'est point un auteur de profession, et que par conséquent il ne publie jamais des OEuvres.

Il est vrai que dans l'antiquité les premiers empereurs romains cultivoient les lettres; mais ces empereurs avoient été de simples citoyens avant de s'asseoir sur la pourpre. César n'étoit qu'un chef de légion lorsqu'il écrivit l'histoire de la conquête des Gaules, et les Commentaires du capitaine ont fait depuis la gloire de l'empereur. Si les Maximes de Marc-Aurèle honorent encore aujourd'hui sa mémoire, Claude et Néron s'attirèrent le mépris

même du peuple romain pour avoir recherché les triomphes du poëte et du littérateur.

Dans les monarchies chrétiennes, où la dignité royale a été mieux connue, on a vu rarement le souverain descendre dans une lice où la victoire même n'est presque jamais sans honte, parce que l'adversaire est presque toujours sans noblesse. Quelques princes d'Allemagne, qui ont mal gouverné, ou qui ont même perdu leur pays pour s'être livrés à l'étude des sciences, excitent plutôt notre pitié que notre admiration. Denys, maître d'école à Corinthe, étoit aussi un roi homme de lettres. On voit encore à Vienne une Bible chargée de notes de la main de Charlemagne; mais ce monarque ne les avoit écrites que pour lui-même, et pour satisfaire sa piété. Charles V, François Ier, Henri IV, Charles IX, aimèrent les lettres sans avoir la prétention de devenir auteurs. Quelques reines de France ont laissé des vers, des Nouvelles, des Mémoires: on a pardonné à leur dignité en faveur de leur sexe. L'Angleterre, d'où nous sont venus de dangereux exemples, compte seule plusieurs écrivains parmi ses monarques : Alfred, Henri VIII, Jacques I, ont fait de véritables livres; mais le roi auteur par excellence, dans les siècles modernes, c'est Frédéric. Ce prince a-t-il perdu, a-t-il gagné en renommée à la publication de ses OEuvres? Question que nous n'aurions pas de peine à résoudre, si nous ne consultions que notre sentiment.

Nous avons été d'abord un peu rassuré en ou

vrant le Recueil que nous annonçons. Premièrement, ce ne sont point des OEuvres, ce sont de simples Mémoires faits par un père pour l'instruction de son fils. Hé! qui doit veiller à l'éducation de ses enfants, si ce n'est un roi? Peut-on jamais trop inspirer l'amour des devoirs et de la vertu aux princes d'où dépend le bonheur de tant d'hommes? Plein d'un juste respect pour la mémoire de Louis XIV, nous avons ensuite parcouru avec inquiétude les écrits de ce grand monarque. Il eût été cruel de perdre encore une admiration. C'est avec un plaisir extrême que nous avons retrouvé le Louis XIV tel qu'il est parvenu à la postérité, tel que l'a peint madame de Motteville : « Son grand « sens et ses bonnes intentions, dit-elle, firent con<<noître les semences d'une science universelle, qui << avoient été cachées à ceux qui ne le voyoient pas <«< dans le particulier; car il parut tout d'un coup «politique dans les affaires de l'État, théologien <« dans celles de l'Église, exact en celles de finance; << parlant juste, prenant toujours le bon parti dans « les conseils, sensible aux intérêts des particuliers, << mais ennemi de Fintrigue et de la flatterie, et sé« vère envers les grands de son royaume qu'il soup« connoit avoir envie de le gouverner. Il étoit aimable de sa personne, honnête et de facile accès « à tout le monde, mais avec un air grand et sé«<rieux qui imprimoit le respect et la crainte dans << le public. »

Et telles sont précisément les qualités que l'on trouve et le caractère que l'on sent dans le Re

cueil des pensées de ce prince. Ce Recueil se

compose :

1° De Mémoires adressés au grand-dauphin : ils commencent en 1661, et finissent en 1665;

2o De Mémoires militaires sur les années 1673 et 1678;

3° De Réflexions sur le Métier de Roi;

4o D'instructions à Philippe V;

5° De dix-huit Lettres au même prince, et d'une lettre de madame de Maintenon.

On connoissoit déjà de Louis XIV un Recueil de Lettres, et une traduction des Commentaires de César 1. On croit que Pélisson ou Racine 2 ont revu les mémoires que l'on vient de publier; mais il est certain, d'ailleurs, que le fond des choses est de Louis XIV. On reconnoît partout ses principes religieux, moraux, politiques; et les notes ajoutées de sa propre main aux marges des Mémoires ne sont inférieures au texte ni pour le style ni pour les pensées.

Et puis c'est un fait attesté par tous les écrivains, que Louis XIV s'exprimoit avec une noblesse particulière: «Il parloit peu et bien, dit madame « de Motteville; ses paroles avoient une grande

■ Voltaire nie que cette traduction soit de Louis XIV.

2 S'il falloit en juger par le style, je croirois que Pélisson a eu la plus grande part à ce travail. Du moins il me semble qu'on peut quelquefois reconnoître sa phrase symétrique et arrangée avec art. Quoi qu'il en soit, les pensées de Louis XIV, mises en ordre par Racine ou Pélisson, sont un assez beau monument. Rose, marquis de Coye, homme de beaucoup d'esprit, et secrétaire de Louis XIV, pourroit bien aussi avoir revu les Mémoires.

«force pour inspirer dans les cœurs et l'amour « et la crainte, selon qu'elles étoient douces ou sé« vères. »

- Il s'exprimoit toujours noblement et avec « précision, dit Voltaire. Il auroit même excellé dans les grâces du langage, s'il avoit voulu en faire une étude. Monschenay raconte qu'il lisoit un jour l'épitre de Boileau sur le passage du Rhin, devant mesdames de Thiange et de Montespan: «ll la lut « avec des tons si enchanteurs, que madame de « Montespan lui arracha l'épître des mains, en s'é«criant qu'il y avoit là quelque chose de surna« turel, et qu'elle n'avoit jamais rien entendu de si « bien prononcé. »

Cette netteté de pensée, cette noblesse d'élocution, cette finesse d'une oreille sensible à la belle poésie, forment déjà un préjugé en faveur du style des Mémoires, et prouveroient (si l'on avoit besoin de preuves) que Louis XIV peut fort bien les avoir écrits. En citant quelques morceaux de ces Mémoires, nous les ferons mieux connoître aux lecteurs.

Le roi parlant des différentes mesures qu'il prit au commencement de son règne, ajoute:

«Il faut que je vous avoue qu'encore que j'eusse aupa«ravant sujet d'être content de ma propre conduite, les « éloges que cette nouveauté m'attiroit me donnoient une « continuelle inquiétude, par la crainte que j'avois toujours «de ne les pas assez bien mériter.

«Car enfin je suis bien aise de vous avertir, mon fils. e que c'est une chose fort délicate que la louange; qu'il

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