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A cinq degrés de longitude, à l'ouest de l'embouchure de la rivière des Mines de Cuivre, M. Mackenzie vient de découvrir la mer par les 69° 7′ nord. En suivant notre premier calcul, nous n'aurons que soixante lieues de côtes inconnues, entre la mer de Hearne et celle de M. Mackenzie 1.

Continuant de toucher à l'occident, nous trouvons enfin le détroit de Behring. Le capitaine Cook s'est avancé au-delà de ce détroit jusqu'au 69° ou 70° degré de latitude nord, et au 275° de longitude occidentale. Soixante-douze lieues, ou tout au plus six degrés de longitude, séparent l'océan boréal de Cook de l'océan boréal de M. Mackenzie.

Voilà donc une chaîne de points connus, où l'on a vu la mer autour du pôle, sur le côté septentrional de l'Amérique, depuis le fond du détroit de Behring jusqu'au fond de la baie d'Hudson. Il ne s'agit plus que de franchir par terre les trois intervalles qui divisent ces points (et qui ne peuvent pas composer entre eux plus de 250 lieues d'étendue), pour s'assurer que le continent de l'Amérique est borné de toutes parts par l'Océan, et qu'il règne à son extrémité septentrionale une mer peut-être accessible aux vaisseaux.

Me permettra-t-on une réflexion? M. Mackenzie a fait, au profit de l'Angleterre, des découvertes que j'avois entreprises et proposées jadis au gouvernement, pour l'avantage de la France. Du moins

'Tous ces calculs ne sont pas exacts, et les découvertes du capitaine Franklin et du capitaine Parry ont répandu une grande clarté sur la géographie de ces régions polaires.

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En rendant compte des travaux de M. Mackenzie, j'ai donc mêler mes observations aux siennes, puisque nous nous sommes rencontrés dans les mêmes desseins, et qu'au moment où il exécutoit son premier voyage, je parcourois aussi les déserts de l'Amérique; mais il a été secondé dans son entreprise; il avoit derrière lui des amis heureux et une patrie tranquille: je n'ai pas eu le même bonheur.

SUR

LA LÉGISLATION PRIMITIVE

DE M. LE VICOMTE DE BONALD.

Novembre 1802.

Peu d'hommes naissent avec une disposition particulière et déterminée à un seul objet, qu'on appelle talent; bienfait de la nature, si des circonstances favorables en secondent le développement, en permettent l'emploi; malheur réel, tourment de l'homme si elles le contrarient.

E passage est tiré du livre même que nous annonçons aujourd'hui au public. Rien n'est plus touchant et en même temps plus triste que les plaintes involontaires qui échappent quelquefois au véritable talent. L'auteur de la Législation primitive, comme tant d'écrivains célèbres, semble n'avoir reçu les dons de la nature que pour en sentir les dégoûts. Comme Épictète, il a pu réduire la philosophie à ces deux maximes : «< souffrir et s'abstenir,» ȧvéxov naì àπéxov. C'est dans l'obscure chaumière d'un paysan d'Allemagne, au fond d'une terre étrangère, qu'il a composé sa Théorie du pouvoir politique et religieux'; c'est au milieu de toutes les privations de la vie, et encore sous la

'Cet ouvrage, qui parut en 1796, fut supprimé par le Directoire, et n'a pas été réimprimé.

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menace d'une loi de proscription, qu'il a publié ses observations sur le divorce, traité admirable, dont les dernières pages surtout sont un modèle de cette éloquence de pensées, bien supérieure à l'éloquence de mots, et qui soumet tout, comme le dit Pascal, par droit de puissance; enfin c'est au moment où il va abandonner Paris, les lettres, et pour ainsi dire son génie, qu'il nous donne sa Legislation primitive: Platon couronna ses ouvrages par ses Lois, et Lycurgue s'exila de Lacédémone après avoir établi les siennes. Malheureusement nous n'avons pas, comme les Spartiates, juré d'observer les saintes lois de notre nouveau législateur. Mais que M. de Bonald se rassure quand on joint comme lui l'autorité des bonnes mœurs à l'autorité du génie; quand on n'a aucune de ces foiblesses qui prêtent des armes à la calomnie et consolent la médiocrité, les obstacles tôt ou tard s'évanouissent, et l'on arrive à cette position où le talent n'est plus un malheur, mais un bienfait.

Les jugements que l'on porte sur notre littérature moderne nous semblent un peu exagérés. Les uns prennent notre jargon scientifique et nos phrases ampoulées pour les progrès des lumières et du génie; selon eux la langue et la raison ont fait un pas depuis Bossuet et Racine quel pas! Les autres, au contraire, ne trouvent plus rien de passable; et, si on veut les en croire, nous n'avons pas un seul bon écrivain. Cependant, n'est-il pas peu près certain qu'il y a eu des époques en France où les lettres ont été au-dessus de ce qu'elles sont

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aujourd'hui ? Sommes-nous juges compétents dans cette cause, et pouvons-nous bien apprécier les écrivains qui vivent avec nous ? Tel auteur contemporain dont nous sentons à peine la valeur sera peut-être un jour la gloire de notre siècle. Combien y a-t-il d'années que les grands hommes du siècle de Louis XIV sont mis à leur véritable place? Racine et La Bruyère furent presque méconnus de leur vivant. Nous voyons Rollin, cet homme plein de goût et de savoir, balancer le mérite de Fléchier et de Bossuet, et faire assez comprendre qu'on donnoit généralement la préférence au premier. La manie de tous les âges a été de se plaindre de la rareté des bons écrivains et des bons livres. Que n'a-t-on point écrit contre le Télémaque, contre les Caractères de La Bruyère, contre les chefs-d'œuvre de Racine! Qui ne connoît l'épigramme sur Athalie? D'un autre côté, qu'on lise les journaux du dernier siècle; il y a plus: qu'on lise ce que La Bruyère et Voltaire ont dit euxmêmes de la littérature de leur temps; pourroiton croire qu'ils parlent de ces temps où vécurent Fénelon, Bossuet, Pascal, Boileau, Racine, Molière, La Fontaine, J.-J. Rousseau, Buffon et Montesquieu ?

La littérature françoise va changer de face; avec la révolution vont naître d'autres pensées, d'autres vues des choses et des hommes. Il est aisé de prévoir que les écrivains se diviseront. Les uns s'efforceront de sortir des anciennes routes; les autres tâcheront de suivre les antiques modèles, mais

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