Imágenes de página
PDF
ePub

surait toujours ainsi, il eût été digne de louer plus souvent.

Si du moins il ne tenait compte que de ce quî est véritablement maxime, il y aurait moyen de s'entendre dans l'examen de chaque citation; mais il est bien singulier qu'un homme qui ne peut souffrir la morale, veuille la retrouver où elle n'est pas. Si le poëte nous dit :

Valois, plein d'espérance, et fier d'un tel appui, Donne aux soldats l'exemple, et le reçoit de lui; Il soutient les travaux, il brave les alarmes : La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes, etc. il est clair que ce dernier vers se lie à tout ce qui précede, dans une acception particuliere ct nullement générale: c'est purement une ellipse, et tout le monde sous-entend, pour eux la peine a ses plaisirs, etc. Cela n'empêche par le critique de compter ce vers parmi les maximes. C'est encore une maxime, que ces vers adressés à Henri IV, pleurant la mort de Valois :

Il fut ton ennemi; mais les cœurs nés sensibles
Sont aisément émus en ces momens horribles.

C'en est une aussi, que ces vers sur Gabrielle :
Elle entrait dans cet âge, hélas! trop redoutable,
Qui rend des passions le joug inévitable.

Au nom du bon sens, qu'y a-t-il dans tout cela de sentencieux ? Depuis quand toute liaison d'une vérité générale avec un fait particulier est-elle une sentence? Il y en a une, je l'avoue, dans ce vers qui termine si bien la touchante apostrophe aux magistrats envoyés à la potence les Seize.

par

Vous n'êtes point flétris par ces honteux trépas:
Manes trop généreux, vous n'en rougissez pas.
Vos noms toujours fameux vivront dans la mémoire,
Et qui meurt pour son roi, meurt toujours avee gloise,

Déclamation que tout cela, suivant le critique maxime aussi fausse qu'ampoulée ; car il y a une infinité de millions d'hommes qui sont morts pour leur roi, sans aucune espece de gloire. N'y a-t-il pas encore une petite supercherie à ne pas apercevoir que mourir avec gloire ne veut dire ici que mourir avec honneur; et quoique le nom de tous les soldats morts pour leur roi ne soit pas dans la gazette, n'est-il pas reçu de dire qu'ils sont morts au lit d'honneur, au champ d'honneur? M. Clément préfere de beaucoup ee vers de Corneille dans Andromede.

Le peuple est trop heureux quand il meurt pour ses rois. Nous sommes trop heureux, nous, qu'il nous fournisse lui-même une occasion de faire voir la déclamation où elle est, quand il la voit, lui, où elle n'est pas. On appelle déclamation tout ce qui est au-delà de la vérité, et ce vers en est un exemple. L'auteur a outré sa pensée, et l'a rendue faussse par ces mots, trop heureux, qui approche du ridicule à force d'exagération; car on sent bien que s'il est heureux, en un sens, de mourir pour ses rois;, il l'est beaucoup plus de vivre et de vaincre pour eux. Ne quid nimis. Je finirai par un autre exemple qui peut rendre sensible la différence qu'on doit observer entre les idées morales de la poésie didactique, et celles qui conviennent à la tragédie ou à l'Epopée. Dans celles-ci, il est de regle qu'elles offrent toujours un rapport manifeste et prochain à l'objet dont il s'agit, sans quoi elles ne sont plus qu'un lieu commun déplacé. Rien n'est plus connu que ces vers de la Henriade : Amitié, don du Ciel, etc.

Il faut voir comme ils sont encadrés. Il s'agit de l'amitié de Henri IV pour Biron.

Il l'aimait non en roi, non en maître sévere,
Qui souffre qu'on aspire à l'honneur de lui plaire,
Et de qui le coeur dur et l'inflexible orgueil

Croit le sang d'un sujet trop payé d'un coup-d'œil.
Henri de l'amitié sentit les nobles flammes:
Amitié, don du Ciel, plaisir des grandes ames,
Amitié que les rois, ces illustres ingrats,
Sont assez malheureux pour ne connaître pas!

M. Clément convient que les quatre premiers vers sont d'une véritable beauté; mais il ne voit dans les autres qu'une exaltation qui dépare les vers précédens, un transport au cerveau. Je les crois très-louables de toute maniere, d'abord par cette expression neuve des illustres ingrats, beaucoup plus heureuse que le perfide généreux de Corneille, qui est au moins bien hasardé; ensuite parce que l'idée est tournée en sentiment; et enfin parce que se portant toute entiere sur les rois qui ne connaissent point l'amitié, elle fait refléter l'intérêt sur Henri, qui la connaissait si bien. Mais supposons que l'auteur eût mis là ees deux autres vers non moins admirés, où il s'agit encore de l'amitié; mais dans un ouvrage didactique, dans un discours en vers, qu'il eût dit :

Amitié, don du Ciel, plaisir des grandes ames,

Sans toi tout homme est seul; il peut par ton appui,
Multiplier son être et vivre dans autrui.

Assurément ces deux vers sont fort beaux en eux-mêmes, là où ils sont : transportés dans cet endroit de la Henriade, ils en détruisaient tout l'effet; ils gâtaient tout, ils glaçaient tout: on ne voyait plus le héros, ni l'amitié d'un roi pour son sujet, ni le chantre de Henri IV; il ne restait qu'un lieu commun de morale et de rhétorique.

Concluons que quand la maxime n'est ni appelée de loin, ni détachée du sujet, ni froide

ment raisonnée, ni prolixement détruite, loip de faire languir le style, elle en est une variété

et un ornement.

le ri

Si Voltaire, en nous donnant sa Henriade, n'a point élevé la France au niveau de la Grece, ni de l'Italie ancienne et moderne, la France a été bien plus loin de rien produire jusqu'ici qui, dans ce genre, approchât de Voltaire. Les mauvais poëmes du dernier siecle, grâces à Boileau, nous sont connus du moins par dicule que ses vers ont attaché à leur nom. mais ceux de ce siecle n'ont pas fait plus de bruit à leur mort qu'à leur naissance, et personne ne les a troublés dans la tranquille possession de l'oubli. Il n'y a nulle raison pour les en tirer; et vous engager dans cette route, ce serait vous faire voyager dans un désert. Mais nous avons eu des poëmes en d'autres genres, bien inférieurs, il est vrai, à l'Epopée, et dont plusieurs n'ont pas laissé de faire beaucoup d'honneur à notre littérature; et il est juste de s'y arrêter avant de passr à la tragédie.

FIN DU TOME SEPTIEME.

« AnteriorContinuar »