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se livre au plaisir de rappeler ce qu'il a éprouvé, ce qu'il a senti, ce qu'on a fait pour lui, et ce qu'il a vu faire, et tous ces traits réunis formeront un tableau, seul capable de tempérer l'impression funeste et désolante de celui qu'il m'a fallu tracer auparavant.

Ainsi les révolutions rassemblent les extrêmes; et si j'ai fait voir que la nôtre est allée, sous ce rapport, plus loin que toutes celles qui l'ont précédée; si je me suis fait l'effort de me traîner malgré moi sur tant d'horreurs et d'infamies, quel a été mon dessein? Vous l'apercevez aisément, vous tous, cœurs droits, esprits éclairés, vrais et inébranlables amis de la chose publique ; vous concevez combien il importait d'élever un mur de séparation entre les oppresseurs et les opprimés, entre un peuple entier et ses tyrans; de pouvoir dire à nos ennemis : non, tous ces crimes ne sont point les nôtres; non, trois cent mille brigands qui ont régné par une suite de circonstances alors incalculables, et aujourd'hui bien connues, ne sont pas la nation française; car ces brigands seront tous, les uns après les autres, réduits au néant ou à l'impuissance, et la nation restera.

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TROISIEME PARTIE.

DIX-HUITIEME SIECLE.

LIVRE PREMIER.

POÉSIE.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Epopée et de la Henriade.

SECTION PREMIERE.

Commencemens de Voltaire. Idée générale de la Henriade.

LOUIS XIV n'était plus, et la plupart des hommes fameux qui semblaient nés pour sa grandeur et pour son regne, l'avaient précédé dans la tombe. Le commencement d'un nouveau siecle avait été une époque affligeante et instructive de revers, de calamités, d'humiliations, qui, en punissant les fautes du souverain, firent voir en même tems ce qu'il y avait d'élévation et de force dans son ame, et montrerent au moins supérieur à l'adversité celui qui n'avait pu l'être à la fortune. Mais les dernieres années de sa vieillesse furent encore attristées et obscurcies par des discordes intérieures et des querelles scholastiques que les passions alimentaient; et ces mêmes passions qui s'agitaient autour de lui, égarant encore ses intentions et son zele, comme au tems de la révocation de l'édit de Nantes, il eut le malheur de nourrir par des rigueurs indiscretes un feu qu'il

ne tenait qu'à lui d'éteindre s'il eût donné moins d'importance aux intêrêts particuliers de ceux qui ne cherchaient que le leur propre, sous le prétexte de la cause de Dieu.

La régence ouvrit un nouveau spectacle, et entraîna les esprits dans un autre excès. Fatigués de controverses, les Francais se précipiterent dans la licence, dont une cour scandaleuse donnait le signal et l'exemple. Le jen séduisant du systême alluma une cupidité effrénée, et la mode et l'intérêt firent naître autant de calculateurs avides, qu'on avait vu de disputeurs opiniâtres. Paris, d'un séminaire de controversistes, devint une place d'agioteurs. Des fortunes rapides et monstrueuses se dissiperent dans les fantaisies et les profusions d'un luxe nouveau; et la légéreté d'humeur et de caractere que montrait ce régent qui bouleversait gaîment le royaume, la dépravation audacieuse de son ministre et de tout ce qui l'approchait, accoutumerent les esprits à une sorte d'indifférence immorale qui s'étendait sur tous les objets, en même tems que la soif de l'or altérait tous les principes.

Au milieu de cette espece de vertige et d'ivresse, il restait peu de traces de cette ancienne dignité, de cet enthousiasme d'honneur qui avait exalté la nation dans les beaux jours du regne précédent. Le dernier de ses héros Villars, en gardait seul le caractere. Sa vieillesse, sa renommée, le souvenir de Denain, où il avait vengé et sauvé la France; l'amour des peuples et de l'armée, et la jalousie des courtisans; cette franchise militaire qu'il avait rapportée des camps jusqu'à la cour, le refus constant d'entrer dans les nouvelles spéculations de finance, les places éminentes qu'on venait d'accorder à son nom et à ses services, mais de

maniere à ne lui laisser que la considération sans le pouvoir; le crédit même qu'il n'avait pas, et qui ne sied pas à un homme d'honneur sous un mauvais gouvernement; tout, jusqu'à l'habillement de ce vieux guerrier, où les modes nouvelles n'avaient rien changé, appelait sur lui les regards et lui attirait la vénération; et Villars semblait représenter à lui seul le siecle qu'on avait vu passer.

Dans les arts de l'esprit, quelques pertes nombreuses qu'on eût faites, l'âge présent avait hérité de quelques hommes que l'autre lui avait transmis, et que la mort avait épargnés. Massillon soutenait encore l'éloquence, et Rousseau la poésie; mais au théâtre, personne depuis long-tems ne parlait la langue de Racine. Crébillon avait ramené dans Atrée les déclamations de Séneque, et défiguré dans Electre la belle simplicité de Sophocle, quoiqu'en même tems il eût tenu d'une main ferme et vigoureuse le poignard de Melpomene dans son Rhadamiste, et ramené sur la scene la terreur tragique. Fontenelle, qui, par ses dangereux exemples, comme Lamotte par ses paradoxes éblouissans, avait commencé à corrompre le bon goût, rachetait cependant cette faute, en répandant sur les sciences une lumiere agréable et nouvelle. Chaulieu conservait au moins dans la négligence de ses poésies le naturel aimable et l'urbanité délicate qui réguaient dans le bon tems, et que les connaisseurs goûtent encore aujourd'hui. Les Sully, les la Feuillade, les Bouillon, le Grand-Prieur de Vendôme, la Fare, l'abbé Courtin, tout ce qui composait la société du Temple, maiutenait, au milieu des plaisirs et de la gaité, les principes de la saine littérature, déjà menacés ailleurs par des succès contagieux. Dans cette société d'élite se trouve porté,

presqu'au sortir de l'enfance; une jeune éleve de Porée, qu'une réputation aussi prématurée que son esprit était précoce, faisait déjà rechercher de la bonne compagnie. Déjà le jeune Arouet, si fameux depuis sous le nom de Voltaire, annonçait à la France cet homme plus extraordinaire peut-être par la réunion d'une foule de talens, qu'aucun de nos plus grands écrivains par la perfection d'un seul. Tout le monde était frappé de la vivacité d'esprit qui brillait dans ses premiers essais; mais on n'était pas moins alarmé de la hardiesse satyrique et irrcligieuse qui marquait toutes ses productions, et qui fut le premier présage d'une destinée qu'il a malheureusement trop bien remplie. La société où il vivait, imbue de l'esprit de la régence, excusait dans l'auteur la légereté de la jeunesse et les gens trouvaient cette témérité d'un dangereux exemple. C'est ce qui lui attira des disgraces qui devancerent ses succès, et il n'était connu que par des vers de société, quand il fut emprisonné, à dix-neuf ans, pour des vers qu'il n'avait pas faits (1). Treize mois d'une dé

(1) C'étaient les J'ai vu, très-mauvaise piece d'un nommé Lebrun: on les crut de Voltaire parce qu'ils étaient satyriques, et finissaient par ce vers

J'ai vu ces maux, et je n'ai pas vingt ans.

La platitude du style aurait dû suffire pour prévenir la méprise; mais comme toute satyre contre l'autorité paraît assez bonne à la malignité, l'autorité elle-même ne s'y rend pas d'ordinaire plus difficile. L'auteur de ce Cours fut accusé, il y a vingt-cinq ans, d'une très-misérable piece contre un édit de finances qu'il n'avait pas non plus que la piece. Il remontrait au ministre qui lui en parlait, qu'un homme de lettres qui ne passait pas pour un mauvais écrivain, ne pouvait rien faire de si plat. Oh! l'on déguise son style, dit le ministre. En effet, répondit l'homme de lettres, il y a tant à

même vu,

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