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Souffrir l'estuet rien n'y vaut l'estriver;

Dieu doinst qu'il puist à bon port ariver (1).

On peut croire néanmoins que sa situation s'étoit améliorée du côté de la fortune avec les fonctions dont il finit par être revêtu. Mais, dans le prologue de sa traduction de Mathéolus, il rappelle ses lectures de plusieurs livres, particulièrement du Roman de la Rose, et regrette de n'avoir pas retenu leurs leçons en se mariant (2). Il y avoit alors vingt ans qu'il étoit en ménage, aspirant au terme de son martyre et parlant de se donner à quelque fleuve ou à quelque rivière d'une façon fort peu mythologique pour un poëte :

Mieux me vausist dedens Ysère

Ou dedens Seyne être noyès.

Le besoin de la rime a sans doute amené là l'Ysère; mais en indiquant la Seine, Le Fèvre nous fait connaître qu'il habitoit Paris; et tout porte à croire que ce fut dans cette ville qu'il écrivit tous ses ouvrages.

Il n'est pas facile, et nous n'entreprenons pas ici de déterminer l'ordre des années dans lesquelles ces ouvrages furent composés, ni le rang chronologique que chacun d'eux y occupe. Presque tous les manuscrits qui en existent sont estimés appartenir au xv siècle. Nous n'en voyons qu'un seul placé dans le xiv.

Ce manuscrit contient précisément la traduction du Livre de Lamentation de Mathéolus. Il appartenoit anciennement à la bibliothèque du président Bouhier; l'abbé Goujet l'a regardé comme étant à peu près du temps de Charles V, roi de France, lequel régna de 1364 à 1380 (3).

Mathéolus, nous l'avons déjà dit, n'existoit plus lorsque Le Fèvre traduisit son livre: Maistre Mahieu dont Diex ait l'âme,

(1) P. Paris, Ms. Franç., V. 12.

(2) Biblioth. nat., Ms, no 54.

(3) Biblioth. Franç., X. 129.

dit-il dans son prologue (1). Le Fèvre se trouvoit même déjà assez éloigné des années où avoit vécu Jacques de Boulogne, pour ignorer le nom de cet évêque. En tenant compte de ses vingt années de mariage, on peut estimer qu'il ne l'entreprit pas avant 1350. Avoit-il reçu l'original de Mathéolus lui-même? Il faudroit le croire, d'après certaines leçons de la traduction manuscrite où se lisent ces vers :

A nous son escrit envoya

A Thérouenne l'envoya (2).

Mais, dans l'ouvrage imprimé on remarque cette variante :

Et son descript que ryme a

A Thérouenne l'envoya

En un beau livre de beau mêtre.

Ce qui paroît de meilleur sens. De Bure a sans doute tiré du dernier de ces trois vers la singulière conséquence que l'exemplaire était très proprement écrit (3).

Il y a bien des particularités destinées à demeurer inconnues ou inappréciables dans la vie des écrivains et dans leurs relations personnelles. Nous chercherions vainement à découvrir celles qui auroient pu conduire Mathéolus à faire l'envoi de son livre à J. Le Fèvre; mais, à coup sûr, ce ne devoit pas être le désir d'être mis en françois, comme on l'a avancé (4). Une telle supposition n'est point vraisemblable, et aucun texte ne l'autorise. Il sembleroit, tout au contraire, que Le Fèvre en avoit fait fortuitement la rencontre. Or, ai trouvé maistre Mahieu, dit-il encore (5). If le lut avec le plaisir d'un poète; et le sentiment de ses peines conjugales lui faisant trouver un autre intérêt à ce livre qui les lui retraçoit dans un homme

(1) Ms. no 54.

(2) Ibid.

(3) Catal. la Vallière, Ire part. II. 256. (4) Ibid.

(5) Ms. no 54.

qu'elles avoient semblablement affecté, il le traduisit pour se consoler.

Nous voyons, du reste, que ses compositions ont toujours répondu à un sentiment de tristesse, en même temps qu'elles tendoient à un but moral. Cette direction de son esprit se manifeste par sa traduction des Proverbes de Caton et celle des Distiques moraux de Théodule. Toutes deux font partie d'un manuscrit exécuté dans la seconde moitié du xve siècle, n° 7,0683 de la Bibliothèque nationale, et y occupent les feuillets 97 à 122 (1).

On retrouve encore celle des Proverbes dans deux autres manuscrits de la même Bibliothèque, sous les no 7,301, décrit, comme le précédent, par M. P. Paris (2); et 8,014 duquel M. Amaury Duval a inséré quelques vers dans un article de l'histoire littéraire de la France, sur Adam de Guienci (3).

Les Proverbes, ou plus généralement les Distiques de Caton, avoient déjà été souvent traduits avant Jehan Le Fèvre. Il en fait lui-même la remarque, et distingue principalement une de ces traductions:

Si say-je bien que piessa et ainçois
Que fusse né, ils sont mis en françoys.

Par maintes fois ay-je veu le Rommans

Qui dit: Seigneurs, ains que je vous commans........
Ce qui est dit, ne vueil-je plus remordre,
Mais les bons vers, répéteray par ordre.
Je suis Fèvre, je say bien le mistère
Que deux pevent forgier d'une matère.
Exemple en est du vieil fer que l'on forge;
Qui de rechief le met dedens la forge

Il revient nuef, au fournier sur l'enclume (4).

(1) Ms. Franç., V. 10-13.

(2) Ms. Franç., VII. 384.

(3) Hist. Litt., XVIII. 828-830. (4) Ms. Franç., V. 11.

Le Fèvre ne veut probablement pas dire que toutes ces versions avoient vieilli; mais il semble le faire entendre de quelques unes. On en connoît quatre antérieures à la sienne, et dont la plus ancienne paroît avoir été composée au commencement du XIIe siècle par Adam de Guienci sur lequel M. Amaury Duval a écrit (1).

Un moine nommé Evrard en fit une autre dans la première moitié du même siècle, et même avant 1145 (2).

Le siècle suivant en vit paroître une troisième dont l'auteur, Jehan du Chastelet (3), florissoit en 1260, et une quatrième que l'on doit à Macé de Troie (4). C'est à celle-ci qu'appartient le vers cité par Jehan Le Fèvre: Seigneurs, ains que je vous commans. L'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne en possédoit un manuscrit exécuté dans le dernier tiers du XIII• siècle.

Le nombre des traducteurs de ces Distiques s'est encore augmenté après Jehan Le Fèvre; on en compte huit autres depuis Grosnet jusqu'à Coffetau (5). Enfin, dans le siècle dernier, un abbé, Salmon, les a aussi traduits en vers françois qui ont été publiés quatre fois, en 1751, 1752, 1798 et en 1802.

On sait que Caton n'a point composé cet ouvrage; mais on ignore quel en est le véritable auteur. Il se trouve souvent suivi, dans les manuscrits (6), des vers de Théodule, autre auteur dont on n'a pas été plus heureux, ce nous semble, à déterminer l'individualité entre plusieurs écrivains du même nom. Nous ne les nommerons pas tous. On donne le titre d'ecloga (7) à un ouvrage de grammaire d'un Théodule de Thessalonique, et à une histoire des premiers hommes et des

(1) Hist. Litt. de la France, XVIII. 826.

(2) Ibid. XIII. 67–70.

(3) Goujet, B. F., V. 7.

(4) P. Paris. Ms. Franc., III. 366, VI. 342.

(5) Goujet, B. F., V. 8.

(6) Montf. bibl. bibl. Ms. I. 53, II. 1085, 1408, 1669.

(7) Montf. bibl. bibl. Ms. I. 6, II. 1552.-Schol., hist. de la Litt. gr. VI.

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patriarches composée par un Théodule d'Athènes (1). On appelle encore ecloga deux compositions d'un Théodule, Italién selon les uns, François selon les autres, dont l'une est une comparaison des miracles de l'Ancien-Testament avec les fables des poètes (2), et l'autre un dialogue sur la vérité de la Religion chrétienne (3). Ces deux dernières églogues n'annoncent pas de grands rapports avec des vers moraux. Cependant, M. P. Paris ne fait pas de différence entre eux et une ecloga dont plusieurs manuscrits de la Bibliothèque nationale contiennent le texte latin (4). De son côté, Montfaucon a inscrit, sous le nom d'un même Théodule (5), des vers (carmina) d'un manuscrit de la bibliothèque de Laurent de Médicis (6); des vers moraux (versus morales) d'un manuscrit de la bibliothèque d'un monastère des Vosges (7); et une églogue (ecloga bucolica) de ce Théodule ou Théodore d'Athènes (a), laquelle appartenoit à un manuscrit de Saint-Benigne-de-Dijon (8). Nous n'avons sous la main aucun de ces ouvrages, et nous appliquerions vainement ici la critique à un examen dont les bases nous manquent. Tenons-nous-en à constater, au milieu de cette confusion, qu'un Théodule a composé en latin des vers moraux; et, admettons que ce sont ces vers dont Jehan Le Fèvre nous a donné la traduction.

(1) Montf. Bibl. bibl. Ms. II. 1287.

(2) Gennadius, de Scr. eccl. cap. 91.-Sigeb. Gemb., de Scr. eccl. cap. 134., Vossius, de Poet. lat., cap. V.; de hist. latin., libr., III, cap. 3.→→ Montf. 1. ccxxxij, 106, ·D. Rivet, hist, litt. de la Fr., VIII, 678. — Panzer, Ann. typ., I. 310, 475, 476, 492, IV. 26.

(3) Panzer, Ann. typ., I. 305.

((4) Ms. Fr., VII. 12.

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(a) Il est vraisemblable que ce Théodule est le même que ce Théodule Italien, également savant dans les langues grecque et latine; et qu'on l'a fait naître à Athènes, parce qu'il y avoit étudié. Ceux qui en out fait un françois n'avoient pas plus de raison de l'enlever à l'Italie qu'on lui donne plus généralement our patrie.

(8) Ibid. II. 1287.

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