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d'Hebron », notre narrateur parle de « désert ». Pour le poète, il y a peut-être eu confusion d'idées avec le trajet que dut suivre ensuite le jeune esclave. Le Talmud (tr. Sota, f. 15a) y fait allusion en interprétant le susdit verset.

Str. III. Selon la légende rabbinique, le mot vague « homme » employé dans le récit biblique désigne l'ange Gabriel. Cette explication est basée sur la jonction des mots « l'homme Gabriel » dans le livre de Daniel (1X, 21). Cet ange a toujours guidé Joseph, dit le Zohar à la section Wayischlah, cité par le Yalkut sur le même vs., comme l'a aussi le commentaire de Raschi.

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Str. VIII. La qualification du puits où Joseph fut jeté par ses frères. «< vide sans eau », a suggéré aux commentateurs un complément : c'est qu'il y avait des serpents et des scorpions. Cette idée, déjà adoptée par le Talmud (traité Sabbat, f. 72a; tr. Haghiga, f. 3a), puis par la paraphrase chaldéenne dite Targum icruschalmi, a été reprise par le Bereschith Rabba et, d'après ce dernier, par Raschi.

Str. IX. On remarquera que les Ismaélites de la Bible sont des Maures pour le poète espagnol.

Str. X. A l'intervention de Juda dans la vente de Joseph, le Talmud (tr. Sanhedrin, f. 6b) trouve une allusion basée sur la singularité de l'apostrophe de Juda : 232 2, « quel profit y a-t-il ? »

Str. XIII. L'invocation que le poète attribue à Joseph est basée sur la légende, disant que les descendants de Rachel qui passeront devant sa tombe à Efrath, près de Bethlehem, seraient protégés par elle. Ce récit du Midrasch Bereschith Rabba sur la Genèse XXVI, 18-19, est rapporté par Raschi bien plus loin, sur XLVIII 7.

Str. XIV. Le retour de Ruben au puits où son frère avait été jeté et sa surprise en constatant l'absence, sont expliqués dans le Talmud (tr. Berakhoth, f. 7b).

Str. XVI. L'égorgement ou sacrifice de l'agneau devait expier le projet d'homicide, dit le Talmud (tr. Erakhin, f. 16a), parce que le projet n'a pas été réalisé.

Moïse SCHWAB.

COMPTES RENDUS

Enrique Larreta. La gloria de Don Ramiro. Una vida en tiempos de Felipe Segundo. Madrid, Victoriano Suárez, 1908, in-8, 446 pp.

Au moment de la grande vogue du roman historique, dans ce mouvement de curiosité rétrospective qui pousse les écrivains de l'Europe Occidentale à remuer, comme on dit, la poussière des archives à la recherche de la couleur locale et de l'exactitude du décor et des caractères, l'Espagne, riche en souvenirs glorieux, fut singulièrement pauvre en œuvres significatives. C'est en vain que les deux plus grands noms, peut-être, du XIXe siècle, en prose et en poésie, Larra et Espronceda projettent quelque reflet de leur gloire sur des essais malheureux. Ni El Doncel de D. Enrique el doliente ni Sancho de Saldaña, ni d'autres ouvrages plus estimables, quoique issus de plumes moins illustres, n'ont survécu à la mode passagère. Le culte du passé ou plus exactement d'un certain passé fut célébré, de préférence, sur d'autres autels. Le théâtre et la poésie lyrique firent, avec plus de retentissement, vibrer les échos endormis des siècles écoulés. De ce côté les Espagnols n'ont rien à envier à personne et ils peuvent se consoler de n'avoir pas cu leur Walter Scott, leur Manzoni, leur Victor Hugo ni même leur Almeida Garrett ou leur Herculano. Ils prennent d'ailleurs leur revanche de nos jours. Le plus grand de leurs romanciers actuels a consacré une bonne part de son activité à écrire, à peine modifiée par la fiction, la vivante chronique des périodes les plus troublées de l'histoire de l'Espagne moderne. Ce n'est pas ici le lieu de parler plus longuement des Episodios nacionales de M. Pérez Galdós: leur notoriété nous dispense, à leur endroit, d'une appréciation intempestive. Mais voici qu'un renfort inattendu est arrivé d'Amérique : une ancienne colonie vient apporter un tribut précieux au patrimoine commun des lettres hispaniques. Pour la première fois un hispano-américain, un Argentin s'est imposé, par une œuvre littéraire, à l'attention du monde civilisé. M. Larreta a la chance de voir La gloria de Don Ramiro franchir les frontières des pays de langue castillane. Ayant

trouvé chez nous un traducteur élégant et connu, son livre peut désormais courir le monde précédé d'une rumeur flatteuse et suivi d'un succès mérité.

Le sous-titre: Una vida en tiempos de Felipe Segundo explique à l'avance, s'il ne l'excuse tout à fait, l'amplitude et si l'on ose dire la dispersion du sujet. Ce n'est pas un épisode, ce n'est pas une phase de la vie du héros, c'est sa vie tout entière que nous allons suivre d'un bout à l'autre du volume. Mais M. Larreta a trouvé, dans une heureuse inspiration, le lien nécessaire pour réunir, en un seul faisceau, les éléments épars d'une action aussi prolongée. Un mystère plane sur le roman et en soutient l'intérêt. Connu d'abord de nous seuls et de quelques rares personnages, il est dévoilé successivement aux autres et enfin au protagoniste lui-même, éveillant, chaque fois, dans l'àme des uns et des autres, des passions nouvelles, créant des situations inėdites, faisant faire à l'action un pas de plus vers le dénouement. Ce mystère n'est pas, comme dans Lohengrin, le mystère du nom, mais celui de la race. D. Ramiro, élevé dans des idées de noblesse intransigeante, dans le farouche orgueil que donne la pureté de sang, par un grand-père, D. Iñigo, intraitable sur cette question, est, sans le savoir, le fils d'un de ces Morisques abhorrės qui sont, aux yeux de l'un et de l'autre, le déshonneur de l'Espagne. La honte que sa mère, Doña Guiomar, dans une minute d'égarement a ainsi jetée sur sa famille, est restée secrète grâce à la grandeur d'âme d'un vieux gentilhomme ami de D. Iñigo qui, fiancé à la jeune fille avant sa faute, n'a pas repris sa parole et a endossé cette humiliante paternité. Mais la malignité publique a soupçonné quelque chose: elle entoure D. Ramiro d'une atmosphère de méfiance et de mépris à peine dissimulé qui le déconcerte et l'irrite. Sa mère, demeurée veuve, expie son péché dans les pratiques cruelles de la mortification et de la pénitence. Connaissant, par expérience, les embûches du démon, elle voudrait que son fils n'y fut pas exposé et rève de voir se fermer sur lui les portes d'un cloitre protecteur. D. Ramiro ne peut échapper à la double influence de sa mère et du milieu où il vit, car nous sommes à Avila, la ville mystique, encore toute vibrante des miracles de sainte Thérèse; mais son tempérament impétueux le pousse vers le métier des armes et c'est ainsi qu'il est sans cesse tiraille entre ces deux aspirations seules dignes du vieux chrétien qu'il croit être. Cependant les bruits malveillants qui couraient sur sa naissance prennent corps : le père de sa fiancée Béatrice arrache à D. Iñigo mourant le secret formidable et rompt le mariage. D. Ramiro n'en soupçonne pas la raison et, dans un accès de folle jalousie, tue Béatrice et le rival heureux qui lui a succédé. Il s'enfuit à Tolède, puis à Cordoue, après avoir dissipé, jusqu'au dernier maravedi, son maigre patrimoine. Là, un hasard un peu romanesque lui fait retrouver son véritable père; il apprend de sa bouche l'infamante et cruelle vérité : désespéré, il s'embarque pour l'Amérique, devient chef de bri

1. Remy de Gourmont. Paris, Mercure de France, 1910.

gands et commet toutes sortes d'abominations. Mais, comme il en sera plus tard du D. Eusebio de La devoción de la Cruz, n'ayant jamais abandonné la pratique des sacrements, il est juste qu'il ne soit pas irrémédiablement perdu. Rose de Lima reçoit de Dieu l'insigne faveur d'être l'instrument de sa clémence et de ramener au bercail cette brebis égarée. Il finit sa vie dans l'exercice de la charité et de la pénitence, meurt en odeur de sainteté, et sur son cadavre décharné mais transfiguré par l'empreinte d'une ineffable béatitude, Rose de Lima vient effeuiller des fleurs.

D'autres intrigues se greffent sur celle que nous avons indiquée sommairement. Par exemple, les amours mystérieuses et lamentables de D. Ramiro avec une Morisque que d'ailleurs il n'hésitera pas à sacrifier impitoyablement à son fanatisme de catholique et d'Espagnol.

Ces péripéties sont habilement combinées pour faire passer sous nos yeux, dans les moindres détails, tout ce qui constituait la vie, en Espagne, à la fin du xvIe siècle. M. Larreta ne nous fait grâce, disons plutôt, étant donné la dextérité avec laquelle il les amène — ne nous prive d'aucun des grands événements historiques du règne de Philippe II, d'aucune des curiosités sociales ou privées qu'on peut glaner dans les chroniques ou dans les monographies. Son roman est un véritable tableau synoptique où chacun retrouve, avec plaisir, ce qu'il savait et apprend, avec plus de plaisir encore, ce qu'il ne savait pas. Et l'on ne peut qu'admirer l'art subtil avec lequel il a donné une raison d'être à une foule de figures et d'objets que d'autres eussent entassés pêlemêle pour créer l'ambiance et donner un fond au tableau.

C'est pourquoi ce tableau est à la fois d'une exactitude presque scrupuleuse et d'une beauté singulière. Il décèle, au premier coup d'oeil, la conscience de l'érudit et la main de l'artiste, qualités rarement conciliées et pourtant indispensables à qui veut aborder le genre, difficile entre tous, du roman historique. Éplucher une par une les données de l'histoire que l'auteur a mises à contribution, dénicher les anachronismes ou les erreurs de détail serait une besogne à la fois vaine et ridicule. Vaine parce qu'elle aboutirait sans doute à des critiques insignifiantes, ridicule parce que, de toutes façons, son œuvre est vraie d'une vérité plus haute et plus convainquante que la stricte exactitude. Peu importe, après tout, que l'Espagne du XVIe siècle n'ait pas été réellement telle qu'il nous la dépeint si sa conception, vraie ou fausse, correspond à celle du lecteur compétent, et s'il l'impose au lecteur non spécialiste avec assez d'habileté pour lui persuader qu'elle ne pouvait être autrement. De fait, aucun des éléments matériels ou moraux qui entraient dans la vie de la nation, aucune des splendeurs illusoires et caduques dont elle cherchait à s'illusionner, aucune des misères cachées et des faiblesses profondes qui annonçaient déjà sa décadence, n'échappent à la perspicacité et à la sincérité de M. Larreta. Il nous fait voir clairement pourquoi nulle hégémonie ne fut plus fragile, nulle prééminence ne fut plus factice que celle d'un peuple qui se repaît d'apparence

et se grise de la mousse des illusions. Quelle tristesse d'apercevoir, sur la façade somptueuse et imposante, les lézardes secrètes qui menacent l'édifice! Quelle mélancolie de pénétrer dans ces vieilles demeures seigneuriales où l'orgueil des armoiries sculptées au fronton des portails fait ressortir plus cruellement les murs délabrés, les meubles branlants, les boiseries vermoulues, les cours puantes, les tapisseries fanées d'où, au moindre choc, s'échappent des nuées de mites et de cafards! Comme on se rend bien compte que l'épopée est terminée et que désormais la cape du grand seigneur servira trop souvent d'asile indulgent aux bas troués et au linge douteux du picaro! Et l'on sent partout, invisible et menaçante, la main de l'Église, et la sombre figure de Philippe II n'apparaît un instant que pour mieux imprimer dans l'esprit du lecteur une vision tragique de hautaine sévérité et d'inflexible rigueur.

L'épisode de Aixa qui nous mène dans le monde raffiné et voluptueux des Morisques forme, avec ces noirceurs, le contraste le plus éclatant. Ici, nous sommes en pleines Mille et une nuits et volontiers nous nous laisserions prendre avec D. Ramiro aux délices de cette vie sensuelle et poétique. Peut-être même nous y laisserions-nous aller avec plus d'abandon et paierions-nous d'un peu moins d'ingratitude celle dont l'éclat rivalise avec celui de la lune à son quatorzième jour. Mais c'est que nous avons le cœur moins bien trempé que lui : nous avons lu l'histoire d'Abindarraez, nous avons admiré la fidélité au serment, dogme inébranlable et ressort primordial de la Comedia classique, et nous n'avons pas distingué mécréants que nous sommes entre la parole donnée à un chrétien et celle que l'on donne à un infidèle. Violer la seconde est aussi méritoire que garder rigoureusement la première et voilà pourquoi si le héros de M. Larreta est odieux, il est profondément vrai. Il l'est aussi par ses perpétuelles contradictions et par les impulsions féroces qui le mènent des confins du mysticisme à la violence et à l'assassinat. Qu'on lise les autobiographies de l'époque, notamment celles de Miguel de Castro ou celle d'Alonso de Contreras et l'on verra que rien n'est exagéré ni invraisemblable dans le caractère de D. Ramiro.

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M. Larreta a eu la coquetterie de faire parler aux personnages le langage du temps. Il y a, en général, fort bien réussi et le contraste est assez piquant entre les formes archaïques du dialogue et la langue ultra-moderne du récit où les neologismes et les gallicismes ne sont pas rares. Ces derniers sont, dans une certaine mesure, imputables à la nationalité de l'auteur, mais ils sont compensés et au delà par des qualités autrement estimables et qui ont peut-être la même origine : une culture plus large, une impartialité plus grande, une façon de traiter le sujet plus impersonnelle, plus objective, une clarté toute française. Mais tout cela n'est rien à côté des qualités qui relèvent de ses dons naturels, de la vision à la fois juste et poétique qu'il a des choses du passé. Il nous étonne souvent, surtout dans le domaine du sentiment et de la passion,

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