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bestialité effrénée avec sa tante Laura. Cette crise d'érotisme aigu le laisse morne et désemparé ; l'ébranlement nerveux de tous ces spasmes dégénère en névrose, il éprouve les symptômes avantcoureurs de l'épilepsie; il a des hallucinations; un jour, à la suite d'une scène de sadisme religieux, il croit voir un Christ, menaçant, lui apparaître. D'ailleurs ce qui reste en lui de noble et d'élevé se révolte; il n'a pas la superbe indifférence de Laura pour tout ce qui dépasse la sensation physique. Il veut se libérer, se guérir. Mais comment ?

Nous connaissons la panacée de M. Baroja il faut partir, s'en aller sur les routes, au hasard, s'exposer aux intempéries et aux dangers de toutes sortes, vivre la vie naturelle, n'avoir d'autres pensées que celle des besoins immédiats, d'autres soucis que ceux du gîte, souffrir même, souffrir surtout, voilà le secret de l'amendement, le chemin de la perfection. Et D. Fernando s'en va, vêtu de ses plus pauvres habits, sur les pistes poudreuses de la Castille, tâchant d'oublier qu'il est autre chose qu'un vagabond, y réussissant rarement. mais transportant partout avec lui une sensibilité maladive que les aspects changeants de la nature font vibrer sans cesse et une irritabilité chatouilleuse que surexcitent les mœurs barbares de ses concitoyens. Arrivé à Ségovie, il rebrousse chemin, s'abouche avec un charretier qui le ramène à Illescas et de là s'achemine à pied vers Tolède. Là, au moins, il trouverait une atmosphère d'art et de religiosité propice au recueillement, des souvenirs glorieux capables d'exalter l'imagination, un décor unique pour la rêverie. Là, dans un bain de spiritualité il se laverait des souillures du vice, là s'accomplirait l'œuvre de sa rédemption. Ce n'est pas au hasard, en effet, que M. Pérez Galdós y a situé l'action de son roman Angel Guerra qui, beaucoup mieux que Camino de perfección mérite la qualification de Pasión mistica; ce n'est pas en vain que M. Blasco Ibáñez en a fait, dans La Catedral, la forteresse du catholicisme espagnol. Si quelqu'un doit être touché de la grâce et cueillir la rose mystique, c'est à Tolède qu'il lui faut aller. Hélas! Fernando n'y trouve rien de cela:

De aquellas conversaciones comprendía Ossorio claramente que Toledo no era ya la ciudad mística soñada por él, sino un pueblo secularizado, sin ambiente de misticismo alguno.

Los caciques, dedicados al chanchullo; los comerciantes, al robo; los curas, la mayoría de ellos con sus barraganas, pasando la vida desde la iglesia al café, jugando al monte, lamentándose continuamente de su poco sueldo; la inmoralidad reinando; la fe, ausente, y para apaciguar á Dios, unos cuantos canónigos, cantando á voz en grito, mientras hacian la digestión de la comida abundante, servida por alguna buena hembra.

Il n'y trouve même pas cette impression d'énergie et de passion, cette exaltation dans la solitude, ce cri dans le désert qui séduisait le Delrio de M. Barrès dans Du sang, de la volupté et de la mort. Cette ville où sévissent les mendiants les plus implacables d'Espagne, administrée par un archevêque baudelairesque et par un gouverneur voltairien, lui semble vide d'émotion. Et pourtant son âme n'est pas insensible aux pompes et aux cérémonies du culte : l'odeur de l'encens, la voix profonde des grandes orgues le pénètrent et le troublent. Des larmes montent à ses yeux il prie, mais, une fois dans la rue, le charme est rompu; les absurdités du dogme refoulent ces élans.

Heureusement Tolède a le Greco et chacun sait que le Greco est l'idole du jour en Espagne et même ailleurs. Fernando reporte sur lui sa piété inemployée; il passe de longs instants à l'église de Santo Tomé dans la contemplation de El enterramiento del conde de Orgaz. Cette vue le ravit en extase. Il achète les exercices de saint Ignace de Loyola et se livre à des méditations qui ne l'empêchent pas de troubler celles d'une jeune nonne d'un couvent voisin. Celle-ci même n'échappe aux embûches du démon que grâce à la vigilance de sa supérieure. Cependant une grace intermittente opère en lui: il remporte une première victoire sur soi-même en renonçant à déflorer une jouvencelle qui se disposait à tomber dans ses bras avec toute la précipitation et le laisser-aller dont sont coutumières les héroïnes de M. Baroja. Et cette bonne action lui en rappelle une mauvaise. Dans

la bourgade lointaine où s'était écoulée sa jeunesse, à Yécora, une jeune fille avait succombé moins à son amour qu'à sa fureur sexuelle. Cette aventure, presque oubliée, prend maintenant à ses yeux une signification nouvelle il faut réparer au plus vite la faute de jadis. A Yécora où il s'est transporté, nouvelle désillusion: Ascensión, sa victime, est mariée et le reçoit sans bienveillance. Les souvenirs douloureux qu'éveillent en son âme l'aspect des lieux, particulièrement le collège des Escolapios où il a passé des années abominables, lui font prendre en horreur ce milieu aussi figé que celui de Tolède, mais dépouillé de tout charme légendaire :

La vida en Yécora es sombría, tétrica, repulsiva; no se siente la alegria de vivir; en cambio pesan sobre las almas las sordideces de la vida.

No se nota en parte alguna la preocupación por la comodidad, ni la preocupación por el adorno.

La gente no sonrie.

El hombre se empareja con la mujer con la obscuridad en el alma, medroso, como si el sexo fuera una vergüenza ó un crimen, y la mujer, indiferente, sin deseo de agradar, recibe al hombre sobre su cuerpo y engendra hijos sin amor y sin placer, pensando quizás en las penas del infierno con que le ha amenazado el sacerdote, legando al germen que nace su mismo bárbaro sentimiento del pecado.

Aussi se hâte-t-il de quitter Yécora pour un hameau perdu, Marisparza, où il commence à faire peau neuve, oubliant les décevantes futilités qui constituaient sa vie à Madrid et à Tolède, et puisant, au contact de la terre, une vigueur nouvelle. Mais ce désert de Marisparza ne tarde pas à lui devenir odieux: il s'en évade, prosaïquement, par le train et descend à la première station qui lui semble hospitalière. Là, il s'enfonce délibérément dans la vie végétative, recouvre la santé du corps quitte à éprouver la nostalgie de ses idées tristes, des tribulations de son esprit. Pour sortir de cette impasse, il ne lui reste plus qu'une ressource; vous la connaissez : c'est de gagner au plus vite les bords de la Méditerra

née où l'attend sa cousine Dolores qui aura tôt fait de le guérir de sa névrose et de le régénérer. Que, du moins, son expérience serve à d'autres qu'à lui, que le fils que vient de lui donner Dolores ne s'embarrasse pas de vaines préoccupations d'art et de religion, qu'il suive ses instincts: loin de lui les pédagogues et les éteigneurs de la vraie personnalité; que toutes les perspectives lui soient ouvertes, que tous les desseins lui soient permis..... « Y mientras Fernando pensaba, la madre de Dolores cosia en la faja que habían de poner al niño una hoja doblada del Evangelio. »

Ce trait final est empreint d'un pessimisme d'autant plus poignant qu'il va à l'encontre de toute la doctrine philosophique de M. Baroja. Celle-ci, comme nous le verrons plus tard, se réduit à cet aphorisme détruire c'est créer, la mort est source de vie. Il faut agir d'abord, agir toujours sans se préoccuper des résultats de l'action. Comme on sent bien, dès lors, toute l'amère dérision de ce feuillet de l'Évangile, symbole du triomphe de la tradition, de l'inutilité du mouvement et qui semble nous dire : « A quoi bon aller de l'avant? A quoi servent de vaines innovations? Les extrêmes se touchent; la civilisation la plus raffinée confine à la plus grossière barbarie. Tout recommence indéfiniment. » Et comment concilier cette quasi reconnaissance de l'hérédité et du déterminisme avec l'individualisme forcené du romancier? Il y a quelque chose de douloureux à voir ce professeur d'énergie se heurter à cette force d'inertie qui le paralyse. C'est que Silvestre Paradox n'est pas mort, c'est qu'il vient de traverser une de ses crises de scepticisme pendant lesquelles ce qu'il redoute par-dessus tout c'est qu'on le prenne trop au sérieux et qu'on le mette en parallèle avec ces cuistres capables pour ne pas dire coupables - d'être convaincus de quelque chose et de vouloir en convaincre les autres. Et puis, le destructeur n'est pas tout chez lui, il y a aussi le poète ému profondément par la mélancolie des choses qui s'en vont, même si c'est lui qui les tue. Enfin, il ne serait pas logique d'attendre de son esprit variable, incertain, inquiet, une solution dogmatique et étroite. Comment les fluc

tuations qui ballottent son héros tout le long du roman se seraient-elles apaisées en un courant unique? Qui sait même si cette incapacité de suivre le développement logique d'un caractère n'aura pas contribué, en excluant tout dénouement rigoureux, à la création d'une œuvre originale? Plus foncièrement mystique ou plus franchement athée, D. Fernando retombait dans les chemins battus. Dans le premier cas, il se mettait « En route » avec M. Huysmans et suivait les pas de Durtal pour arriver à une conversion; sinon, il marchait sur les traces de M. l'abbé Froment de Zola et c'était la répudiation formelle de toute croyance et de toute pratique religieuse. Des situations. aussi nettes doivent sembler bien vulgaires à M. Pío Baroja : aussi en chercherait-on en vain de semblables chez lui.

Qu'est-ce au juste que D. Fernando? Est-ce un malade et relève-t-il uniquement du médecin ? Est-ce un désenchanté, un désabusé, un spleenétique à la recherche d'un idéal? C'est parfois l'un et l'autre, c'est souvent l'un après l'autre et il arrive même que ce n'est ni l'un ni l'autre. Et quel est le traitement à appliquer à ce cas étrange? Le titre et le sous-titre nous indiquent suffisamment que la thérapeutique ordinaire est impuissante ici. Ils nous font penser à une régénération par la souffrance; il faut dompter par les mortifications la matière ignoble qui nous enchaîne ici-bas, il faut rétablir la prééminence de l'esprit sur la chair. Et D. Fernando fait un timide essai d'ascétisme : il consent à prendre les apparences d'un chemineau et d'un mendiant. La première aumône qu'il reçoit, loin de l'humilier, le remplit d'une douce émotion. Cette émotion, nous la partagerions cordialement si nous ne savions qu'avant de partir, il a cousu de l'or et des billets de banque dans la doublure de ses vêtements. Voilà qui va gâter tout notre plaisir et dissiper d'avance toutes nos illusions. Où est l'austérité, où sont les macérations que nous promettait l'intention confuse de l'ouvrage ? Qui parle de résignation et de patience évangélique quand nous voyons luire le canon du revolver que notre irascible pélerin met au service de

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