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Il s'évade, se réfugie au hasard dans une maison, s'y cache toute une journée, en sort grâce à un déguisement de général carliste qu'il a trouvé pendu à un porte-manteau, attire dans un guetapens Catalina et la supérieure du couvent, les enlève, l'une de gré, l'autre de force, et après une course mouvementée dans un coche vermoulu, arrive à Logroño, ville libérale, où il reçoit l'hospitalité du capitaine Briones, mari de doña Pepita qu'il a sauvée des Carlistes et père de cette Rosita sur laquelle il a fait une si forte impression. Là, il égare sa fiancée Catalina et n'a plus d'yeux que pour Linda, une dompteuse, avec qui il a jadis ébauché une idylle. Pour tenir un pari, il s'empare, accompagné de son seul beau-frère, de la ville de Laguardia occupée par les carlistes et finit par retrouver Catalina qu'il épouse et dont il a un fils. Cependant la vie monotone du foyer lui pèse, il repart pour le champ des opérations et, par sa connaissance du pays, fait gagner une bataille aux libéraux. Mais la fatalité le guette. Au cours d'un voyage avec sa femme il rencontre Carlos de Ohando qui n'a pas pardonné à Catalina sa mésalliance et qui lui adresse une injure cruelle. Zalacaín bondit sous l'outrage et veut obliger par la force l'insolent à demander pardon à genoux. Alors Carlos, se sentant le plus faible, appelle à son aide Cacho, une sorte de reître dont il est accompagné. Et ce dernier, froidement, tue Zalacaín d'un coup de fusil. Ainsi l'histoire se répète à quatre siècles de distance, et Martín Zalacain el Aventurero, comme son lointain aïeul, est victime de la félonie d'un Ohando.

Nous nous sommes arrêtés peut-être plus qu'il ne convenait sur ce roman de cape et d'épée. Son principal mérite étant l'action, une analyse un peu détaillée s'imposait. Celle-ci terminée, il reste bien peu de chose à en dire. Peut-être cette existence agitée sans objet et sans but de capitaine Fracasse est-elle la vie intense que l'auteur regrette ne n'avoir pu mener? Voyons-y plutôt une image de la troisième face de l'âme basque, la face aventureuse après la face mercantile de La familia de Aizgorri et la face traditionnaliste de El maestrazgo de Labraz. La partie his

torique du roman n'est pas sans intérêt et les pointes sèches de Zalacaín sont à voir après les grandes fresques un peu pâteuses de Paz en la guerra de M. Miguel de Unamuno, ou même après les toiles impressionnistes de La guerra carlista de M. de Valle Inclán. Ces scènes épisodiques, ces aperçus fragmentaires donnent souvent une idée moins complète, sans doute, mais plus juste que les exposés les plus systématiques, les relations les plus rigoureuses. On éprouve une sensation plus nette, on garde un souvenir plus précis du coin de paysage entrevu dans une échappée de montagnes que du plus vaste panorama contemplé à loisir. C'est le cas de la bataille de Waterloo racontée par Stendhal, c'est le cas, toutes proportions gardées, de la guerre carliste racontée par M. Baroja. On n'oublie plus la figure brutale de D. Carlos et l'on s'explique les atrocités de cette lutte sans merci, soutenue par des chefs incultes et barbares à la tête d'une soldatesque plus barbare encore. Quant à la légitimité de la cause défendue par celui qui se prétendait l'incarnation des résistances nationales aux influences du dehors, quelles considérations. savantes en démontreraient mieux le ridicule que le cri de : Abaco el extranjero! par lequel il terminait ses proclamations et que, d'après M. Pío Baroja, il prononçait ainsi.

Dans un récit aussi agité, aussi plein d'événements, inutile d'aller chercher une psychologie même rudimentaire. L'auteur est tout heureux, ici, de n'avoir pas à s'en préoccuper et de nous présenter un personnage qui, en suivant ses impulsions, obéit à son caractère et peut, à chaque instant, former de nouveaux desseins sans manquer à la vraisemblance et sans nous en donner la raison. Les femmes surtout, dans Zalacain, sont d'une candeur qui désarme. Je doute que M. Pío Baroja se soit arrêté longtemps à composer leur physionomie n'empêche qu'elles sont, si j'ose dire, de bonne composition et que le héros qui les regardait avec le tranquille dédain d'un primitif, n'a pas cu à se plaindre d'elles.

Malgré l'abondance des faits et malgré une sécheresse d'expo

REVUE HISPANIQUE. XXIII.

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sition qui devrait exclure tout hors-d'œuvre, M. Pío Baroja trouve encore le moyen de nous faire part de quelques-unes de ses théories sociales en les mettant dans la bouche d'un mystérieux étranger, personnage obligé dans tous ses romans et personnage sympathique s'il est allemand ou anglais. Il trouve même le moyen d'insérer dans ce récit rapide et décharné, des contes dont quelques-uns sont archi-connus et dont aucun n'a quelque chose à y faire. Enfin il termine cette œuvre toute en arêtes vives, toute de réalisme violent par un tableau romanticosymbolique qui détonne furieusement, mais qui nous rappelle le Baroja sentimental de Vidas sombrías.

«Una tarde de verano, muchos años después de la guerra, se vió entrar en el mismo día en el cementerio de Zaro á tres viejecitas vestidas de luto.

Una de ellas era Linda; se acercó al sepulcro de Zalacaín y dejó sobre él una rosa negra ; la otra era la señorita de Briones y puso una rosa roja. Catalina que iba todos los días al cementerio vió las dos rosas en la lápida de su marido y las respetó y depositó junto á ellos una rosa blanca. »

Pas plus que les ouvrages composant la précédente trilogie, ceux de La vida fantástica n'ont paru sous cette rubrique. L'idée d'attribuer à des séries de romans une dénomination globale et significative était assez à la mode, il y a quelque temps. Zola et d'Annunzio et bien d'autres encore ont pu l'inspirer à M. Pío Baroja. Elle lui fut peut-être suggérée plus directement par l'affinité étroite qui unit les trois volumes de La lucha por la vida. Restait à l'étendre à ses autres productions. Nous avons vu comment se forma le cycle de Tierras vascas. Pour celui qui nous occupe, deux ouvrages, Aventuras, inventos y mixtificaciones de Sil

1. Entre autres celui de l'étudiant qui, invité à un diner où on ne lui sert que du fretin, arrive, par sa malice, à obtenir les plus beaux poissons, que l'on trouve déjà dans le Fabulario de Sebastián Mey en 1613.

vestre Paradox et Paradox, rey, traitant du même personnage, étaient tout indiqués; il n'y avait plus qu'à imaginer une étiquette assez accommodante pour pouvoir être accolée, sans trop d'impropriété, au seul roman qui restât disponible: Camino de perfección. C'est pourquoi il convient de prendre dans un sens très large cette épithète de fantástica. En nous éloignant de celui qui nous est familier depuis Hoffmann et Edgard Poë et en lui donnant l'interprétation la plus fantastique, nous l'accepterons plus volontiers. Aussi bien n'est-ce pas fantastique mais fantaisiste qu'il faut lire et sommes-nous invités à considérer les romans de ce groupe comme des romans d'imagination. Mais ce point de vue même est-il bien ferme et bien délimité? Ce que nous savons de l'esprit ondoyant et divers de M. Baroja ne nous permet guère de l'espérer. La part d'imagination est visible, c'est certain, mais la part d'observation l'est plus encore. Et cette observation s'est attachée aux objets les plus divers, parfois même les plus scabreux. Si l'on entend par fantastique ce qui est hors nature, rien de plus fantastique que les vices dépeints aux chapitres XV et XVI de Silvestre Paradox. Cependant cette curiosité, inquiète et volage, tout en cédant trop souvent encore à son instinctif besoin de mobilité, s'est concentrée sur un sujet digne d'attention et d'analyse.

Ce sujet n'est autre que M. Baroja lui-même. Ou je me trompe fort ou les aventures et les mésaventures du mauvais garnement qui fit le désespoir de ses oncles et tantes de Pampelune, et qui plus tard devait illustrer le nom de Paradox par de mirifiques et décevantes inventions, était bien fait pour éveiller la verve fraternelle d'un jeune révolté de notre connaissance, élevé dans la même ville, et dont le passage suivant du Tablado de Arlequin nous découvre à la fois les connaissances mécaniques et l'âme naïvement chimérique : « Inventar un juguete demuestra tanto ingenio como inventar una máquina. Tan constructor me creo yo, que he hecho, en colaboración con un amigo, un tranvía eléctrico que se mueve á veces, como si hubiera hecho uno de veras. >>

Et quel est cet « amigo » sinon D. Avelino Diz de la Iglesia dont nous ferons connaissance sans tarder? Et quel est ce médecin boulanger ou ce boulanger médecin qui se recommande à nous par sa nature impulsive et par sa ferveur pour le Greco, si ce n'est une nouvelle incarnation facile à identifier? Voilà pour le côté pince sans rire, socarrón, parfois ingénuement cynique de ce Janus.

Mais l'autre face n'est pas moins singulière. Mystique, ascétique même à ses heures, douloureusement troublé par des interrogations qui restent sans réponse, enclin à n'accueillir que les impressions extrêmes, tel nous apparaît D. Fernando dans Camino de perfección, et ce pèlerinage passionné à la recherche d'une direction spirituelle, d'une règle de vie indiscutable et impérieuse, nous rappelle à chaque instant que M. Pío Baroja n'accepte pas sans révolte et sans un secret espoir de revanche et de réhabilitation le titre désolé de fracasado de la vida qu'il s'est donné à lui-même.

C'est dans cette fusion des éléments épars dont l'ensemble constitue la personnalité morale de l'écrivain qu'il faut aller chercher l'unité profonde des trois volumes formant la trilogie de La vida fantástica. Non point qu'il soit absent de ses autres œuvres, on l'y retrouve à chaque instant et tout acteur y jouant un rôle un peu sérieux lui emprunte quelques traits de caractère, mais aucune autre ne nous en fournit d'aussi nombreux, d'aussi expressifs et d'aussi accusés. De là l'intérêt exceptionnel que présente l'étude de ces trois romans.

N'oublions pas que c'est l'apparition des Aventuras, inventos y mixtificaciones de Silvestre Paradox qui attira l'attention du public lettré et de la critique sur M. Pio Baroja. Et il est à supposer que les défauts de l'oeuvre y contribuèrent autant que ses qualités car les uns et les autres sont vigoureux et flagrants. Ce n'est donc pas un livre ordinaire ou médiocre. On peut l'admirer ou le décrier, non le passer sous silence; il peut éveiller des sentiments contradictoires, jamais d'indifférence. Et ces sentiments

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