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Les conseils de son oncle n'ont rien pu sur lui. Un crime seul peut débarrasser Alexis de cet opiniâtre révolté. Trahi, vaincu, désespéré, Léon, échappé à la prison par le dévouement d'une jeune fille, s'est retiré dans un monastère. Il essaie d'oublier ses malheurs, sans pouvoir bannir la colère de son âme. Sa mère vient le retrouver dans l'asile où il se cache. Elle-même, avec les amis les plus chers de Léon, elle est aux mains d'Alexis. Le tyran l'envoie vers son fils avec ces terribles paroles: «Demain, le duc de Crète prépare un festin pour Léon Kallergis; s'il y vient, il aura son pardon, il recouvrera mon amitié; s'il refuse, vous mourrez tous pour lui. » Vaincu par la piété filiale et par l'amitié, Léon consent à suivre sa mère. Tout à l'heure, elle le pressait de marcher avec elle; maintenant son cœur s'épouvante, mais Léon la rassure.

Au milieu du festin, où s'étale l'insolente magnificence de Venise, Léon se prend à rougir; le remords entre dans son cœur; hier, il poussait les Crétois à la mort, et maintenant le voilà assis avec les tyrans de sa patrie. Alexis s'est chargé de mettre un terme à ses remords. Dix hommes armés et masqués apparaissent tout-à-coup dans la salle. L'un d'eux s'avance vers Léon, qui déjà a mis l'épée à la main; le combat s'engage entre eux; dans la lutte, le masque qui couvrait le visage de l'un des combattants tombe, et Léon reconnaît son oncle Alexis. Sa mort était depuis longtemps résolue; elle devenait nécessaire : il ira dans les flots expier son amour pour l'indépendance de son pays.

On comprend quel accueil dut être fait à ce drame, représenté en 1868. En pleine insurrection de la Crète, c'était attiser le feu avec l'épée, c'était verser l'huile sur la flamme. Des conspirateurs qui s'assemblent pour comploter l'affranchissement de leur pays, leurs plain

tes, leurs serments, leurs espérances, ces noms toujours si doux et si éloquents de patrie et de liberté, c'en était assez pour provoquer des applaudissements sans fin. C'est là en effet tout le drame de M. Basiliadis. Léon Kallergis, l'intrépide héros, dont le cœur repousse toutes les séductions de Venise, c'était l'intérêt de la pièce. Il a toutes les vertus. Sa jeunesse, sa générosité, son courage, sa mort, rendent plus odieux encore le Kallergis dont l'ambition et la cruauté ne peuvent s'assouvir ni des richesses de Venise, ni du sang de ses concitoyens. Cet Hellène criminel qui égorge la liberté hellénique est le contraste odieux que l'auteur poursuivait. Les remords dont ses nuits sont troublées, les funestes visions qu'il ne peut éloigner de ses yeux, les tourments de la honte, le poids de haine dont il est chargé telles sont les images vengeresses que l'auteur a voulu mettre devant les yeux de ses compatriotes, pour les détourner du crime de trahir la Grèce, s'ils en pouvaient jamais avoir l'idée.

Il ne convenait pas que Léon Kallergis eût dans l'âme d'autres passions que celle de la liberté. Un drame ne peut guère pourtant se passer d'amour. Aussi M. Basiliadis en a-t-il rempli le cœur de Florentia, la fille du duc de Venise. Elle adore Léon Kallergis, elle le sauve de la prison, elle meurt de sa mort en baisant son portrait. Cette jeune Florentia, pàle silhouette dans l'intrigue, rappelle un peu la fille du duc d'Albe dans le drame de M. Sardou intitulé Patrie. Ce titre pourrait être celui de M. Basiliadis. Le début est le même. Seulement, chez M. Sardou, toute la haine retombe sur un étranger, sur le duc d'Albe. Chez M. Basiliadis, le représentant de Venise est doux et bénin : c'est un Kallergis, un Crétois, qui terrasse les défenseurs de la liberté crétoise et les égorge lui-même.

Conçu, malgré la préface, avec une liberté tout à

fait romantique, l'ouvrage de M. Basiliadis a plus d'unité et d'harmonie que celui de M. Bernardakis. Il se plie davantage aux lois véritables de l'art et de la scène. Ce n'est point un manifeste littéraire comme Maria Doxapatris, c'est une pièce faite exprès pour être représentée. Le style en est moins soigné que celui de M. Bernardakis, mais, en revanche, il a moins de raideur. Concentré sur les Crétois, l'intérêt est plus vif. L'auteur n'a point eu, comme son prédécesseur, la difficulté à vaincre d'une restauration historique. Les croisés du drame de Maria Doxapatris étaient des héros dont il fallait, par un effort d'érudition, retrouver la physionomie, le langage, les idées. M. Basiliadis se déchargeait sur le décorateur du soin de la mise en scène et de la couleur locale; pour les personnages, il les trouvait autour de lui; il les peignait tels qu'il les voyait personne ne pouvait lui demander rien de plus.

Un second drame, Loucas Notaras, répond mieux aux intentions que M. Basiliadis a exprimées dans sa préface l'idée de Shakespeare n'en a point troublé l'auteur. L'œuvre, au contraire, a été conçue dans le système de la simplicité antique. On pourrait dire même que cette simplicité est un peu nue. Qu'importe? elle est intéressante. Si cette pièce n'a pas toute la variété et l'étendue des pièces anglaises, elle a beaucoup de l'aisance dégagée qu'on admire dans le théâtre des anciens. Elle rappelle ces œuvres, d'un art peu avancé, mais ingénu, où l'intrigue et la complication des ressorts n'ont rien à faire: où les scènes, peu nombreuses, se suivent sans se lier trop étroitement, comme les basreliefs d'un marbre grec. J'avoue que ce drame me plaît beaucoup par la sévérité de l'exécution et le peu d'étalage qu'y fait l'auteur des procédés modernes. Il peu de fracas que de rouerie.

aussi

ya là

Les Hellènes regretteront éternellement la prise de

Constantinople par les Turcs. Tous leurs malheurs sont venus de là; ils ne pourront jamais parler de ce tragique événement sans être émus. Une pièce tirée de cette partie de leurs annales va droit à leur âme et fait naître sans peine l'émotion. C'est un des premiers avantages du sujet. Jamais les belles paroles de Virgile: Sunt lacrymæ rerum, ne pourront mieux être appliquées. La complainte, chez les Grecs, s'est lassée à pleurer ce malheur sans que le pathétique en soit encore épuisé.

Une pièce de théâtre doit se resserrer et s'enfermer dans une action d'une juste étendue, elle ne peut pas embrasser tous les faits que l'imagination voit s'offrir à elle dans un événement de cette nature. Il faut que le poëte se décide à choisir, et il importe qu'il le fasse avec un heureux discernement. M. Basiliadis n'a pas songé à nous représenter l'invasion des Turcs dans la ville impériale; il n'a même pas voulu nous en faire le récit comme dans Racine:

Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle

Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle...

il a ramené tout l'intérêt sur une famille unique, celle des Notaras. Après quelques détails, qui servent pour ainsi dire à marquer la décoration et à faire le fond de la scène, il nous ouvre un palais où Loucas Notaras, le grand-duc, Myrrha, sa femme, Manuel, Pulchérie, Isaac, âgé de quatorze ans, leurs enfants, Jean Cantacuzène, son gendre, vont, à raison de leur grandeur et de leur naissance, sentir peser sur eux tout le poids du malheur et de la servitude.

La ville est prise. Pulchérie attend le retour de son époux; les angoisses de l'anxiété et du désespoir torturent son âme. Sa mère est mourante. On a voulu lui

cacher ce triste malheur, mais les larmes d'Isaac lui ont tout appris. Bientôt Cantacuzène revient du combat; les Turcs sont vainqueurs, l'empereur est mort. Une foule de femmes, de vieillards et d'enfants, entassés dans Sainte-Sophie, viennent de tomber aux mains des musulmans. Mahomet II promène dans sa nouvelle conquête son triomphe et sa joie. Il n'a plus rien à craindre. Le corps de l'empereur, retiré d'entre les morts, est étendu à ses pieds. Le conquérant ordonne que la tête du vaincu soit placée au sommet d'une colonne, et son corps enseveli. Généreux envers son ennemi abattu, le sultan le couvre de son manteau; il laisse la vie sauve aux Grecs de noble naissance, et ne s'indigne pas que Notaras refuse de s'incliner devant lui. Bientôt même il se prend d'affection pour sa fierté; il lui rend dans sa propre demeure une visite courtoise. Il tolère sa franchise et sa liberté; il ne veut répondre que par la confiance à ses plaintes.

Notaras n'accepte point de vivre esclave où il a vécu sur les marches d'un trône : il songe à s'enfuir de cette ville à jamais perdue pour lui. La faveur dont Mahomet II l'honore inquiète Gérard-Pacha, le favori du sultan. Ce Français renégat craint de se voir chasser de l'âme de son maître : il a résolu la perte de Notaras. Il sait où frapper son ennemi. Isaac, ce jeune enfant de quatorze ans, est montré au chef des eunuques comme une proie réservée au vainqueur. Mahomet vient d'en donner l'ordre, l'enfant doit lui être conduit. Gérard avait compté sur la résistance de Notaras. Il excite dans l'âme impétueuse de son maître la colère contre un rebelle qui l'outrage, qui ose dire non, quand le sultan a donné ses ordres. Le bourreau est averti; il suit le chef des eunuques. Manuel, Cantacuzène, Notaras enfin, tombent successivement sous ses coups. Myrrha et Pulchérie arrivent à temps sur la scène pour

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