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l'instrument commun dont les Crétois se servent, qu'ils en jouent avec talent; il est bien rare, dit-il, qu'il y ait un village sans un ou deux joueurs de cet instrument. Ce sont les caractères que nous remarquons également dans notre poëme, c'est du luth λayouté qu'Érotocritos s'accompagne en chantant ses sérénades devant le palais du roi.

Comparé à celui d'autres ouvrages écrits en romaïque antérieurs ou postérieurs au temps où il a paru, le style de Vincent Cornaro peut passer pour être des meilleurs. Si sa langue est déformée, comme l'était alors celle de toute la Grèce, il faut reconnaître qu'elle a gardé le caractère national avec une étonnante persistance. Elle n'est pas trop encombrée de mots italiens, on n'y rencontre aucune de ces expressions bizarres dont l'introduction était due à la domination des Turcs on peut dire que ce poëme serait, avec quelques corrections, un texte de langue romaïque. Les poëtes qui tiennent encore à l'usage de cet idiome populaire, et qui voient avec regret disparaître devant les progrès d'un hellénisme classique, les traces d'une poésie spontanée et ingénue, estiment beaucoup ce poëme : ils n'ont pas tort.

C'était par excès d'amour pour le grec rajeuni et purifié, grâce aux efforts de Coray, que J. Rizos-Neroulos portait un jugement sévère sur l'Erotocritos. Il disait :

Le roman poétique d'Érotocritos l'idylle intitulée la Bergère, le poëme du Sacrifice d'Abraham, la tragédie d'Ériphile, une traduction d'Homère et quelques autres poëmes rimés, de la même époque, pèchent par la trivialité de leur style, par une servile imitation de la littérature italienne, et par leur fastidieuse prolixité. Ces premiers essais d'une poésie nouvelle manquent totalement de physionomie, de nationalité, de couleur locale, on n'y trouve aucune trace de l'étude des anciens, aucune notion des règles. Quelques étincelles de

verve poétique, font tout le mérite de ces compositions informes, tombées dans un juste oubli. » Ces paroles sont de 1828 (1). Celui qui les prononçait, craignait que la Grèce n'eût pas assez d'horreur pour le temps de son esclavage et pour les œuvres nées dans ces tristes circonstances. Le danger n'est plus le même aujourd'hui. La Grèce, qui n'a plus de crainte pour son indé– pendance, regarde avec intérêt les poëmes qui ont servi à conserver sa langue et l'espoir de la liberté future. On peut donc en appeler de ce jugement de Rizos-Neroulos, et, pour le poëme d'Érotocritos, il me semble qu'on peut le casser.

(1) Jacovaki Rizos-Neroulos, cours de littérature moderne donné à Genève, 1828.

ANECDOTA HELLENIKA (1).

Tant que les Hellènes ont eu besoin d'intéresser l'Europe à leur sort, ce sont les noms de leurs plus glorieux ancètres qu'ils n'ont cessé d'invoquer. C'est à Platon, à Sophocle, à Périclès, à Phidias, à Homère, qu'ils ont voulu faire plaider la cause de leur indépendance.

Ils ne pouvaient pas choisir de plus illustres et de plus éloquents avocats. Alors ils ne regardaient qu'avec un mépris mêlé d'horreur les temps malheureux où ils avaient péri sous les Turcs. Tout ce qui venait de cette époque leur paraissait odieux et ils en repoussaient jusqu'au souvenir.

Aujourd'hui qu'ils sont assez forts pour vivre tout seuls; qu'ils ont fait des révolutions et soutenu fièrement les menaces de la Sublime-Porte, ils cessent de remuer selon l'expression d'un allemand, la poussière de Marathon, et l'histoire de leur moyen âge commence à les occuper. C'est à ce retour d'attention sur les années qui ont précédé ou suivi immédiatement la chute de Constantinople que les ouvrages de M. Sathas, doivent leur naissance.

C'est en 1865 que M. Constantin Sathas a commencé à se faire connaître. Il étudiait alors la mé– decine à Athènes, lorsqu'il entreprit de publier la chronique de Galaxidion, ou l'histoire d'Amphissa,

(1) 2 vol. in-12 par M. Constantin Sathas. Athènes, 1867.

de Naupacte de Galaxidion, de Loidorchion et des lieux environnants, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Ce travail, précédé d'une longue et savante introduction, puisée aux sources de toutes les archives d'Italie, reçut à son apparition les éloges de M. Charles Hopf. Ce savant consacra les études de M. Sathas en les citant plusieurs fois avec éloge (1), tandis que, à ce qu'il paraît, l'Académie des Inscriptions et BellesLettres de Paris, celles de Bruxelles, de Madrid et de Berlin donnaient aussi au jeune écrivain des témoignages d'une approbation flatteuse.

Le gouvernement grec ne resta pas lui-même indiffé rent à ces travaux, il se montra au contraire fort disposé à les encourager. Le ministre de l'instruction publique était alors M. Constantin Lombardos; il se trouvait qu'il était passionné pour les études sur le moyen âge, il s'appliquadonc à faire obtenir à M. Sathas les moyens de poursuivre ses recherches.

C'est ainsi que celui-ci reçut une somme de quatre cents drachmes pour faire un voyage dans les îles et sur la terre ferme.

Levoyageur revint après deux mois d'absence, il rapportait à Athènes des manuscrits, des livres anciens dont la publication fut décidée: sept mille drachmes furent allouées à cet effet. Des fonds votés, ne sont pas toujours des fonds disponibles; les changements de ministères, l'opposition de quelques mal-intentionnés arrêtèrent la publication projetée, si bien qu'en 1867 seulement, M. Christopoulos, continuant l'œuvre de son prédécesseur, put mettre M. Constantin Sathas en mesure de publier deux volumes de pièces inédites. Deux poëmes, l'un sur Mercurios Buas, l'autre sur guerre de Crète, au milieu du XVIIe siècle, le récit

la

1) Histoire de la Grèce au moyen âge publiée dans l'Allgemeine Encyklopadie von Ersch und Gruber.

d'une révolte populaire à Zante en 1628, une chronique écrite par un certain Matesès, de 1684 à 1699, voilà ce que renferment ces deux volumes d'Ἑλληνικὰ ̓Ανέκ Sora. Ce ne sont pas sans doute des ouvrages de bien grande conséquence. Ils ne laissent pas néanmoins d'avoir un très-vif intérêt pour l'histoire de la Grèce depuis la chute de Constantinople, et surtout pour l'histoire de la langue et de ses divers changements.

Mercurios Buas, le héros du premier de ces deux poëmes, descendait de l'ancienne famille des Buas qui se glorifiait de venir de Pyrrhus, roi d'Épire; la principale preuve qu'elle en donnait était, dans ses armoiries, qui n'étaient rien autre chose que l'écusson de cet ancien roi, sur un champ de gueules quatre serpents de sinople tenus par une main. Les Buas y montraient aussi la croix d'or accostée de deux étoiles d'argent, souvenir de l'empereur Constantin quand il passa à Durazzo venant de Rome, pour aller fonder Constantinople.

Ce sont les fables dont les maisons illustres aiment à embellir leur berceau. Il est un peu plus certain que les Buas habitèrent l'ancienne Epire de Pyrrhus, et que leur histoire telle que nous la fait connaître M. Sathas offre plus d'un point de ressemblance avec celle de ce prince aventureux, qui ne pouvait vivre qu'en faisant de continuelles entreprises. Ils appartenaient à cette nation que nous appelons aujourd'hui les Abbanais, que les Turcs désignent sous le nom d'Arnautes et qui se donnent à eux-mêmes celui de Sckypetars. Etaientils d'origine grecque? c'est un point encore en discussion. Asseman, Milétios, Chremmydas et surtout Fallmerayer veulent en faire des Slaves; Hahn, Nicoclès, Kamardas et Koupitoris leur donnent pour ancêtres les Pélasges. C'est aussi l'opinion de M. Sathas, et, dans

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