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changé son luth contre la lance et le bouclier: elle se promet pourtant de le distinguer à son courage.

Sur ces entrefaites Pézostrate tombe dangereusement malade. Le roi en éprouve un vifchagrin, et il envoie la reine et sa fille chez son ministre pour lui faire une visite. La mère d'Érotocritos ne sait comment recevoir de si nobles visiteuses. Elle conduit la reine et sa fille dans les jardins qui étaient magnifiques. Dans un endroit reculé s'élevait un pavillon, habitation élégante qu'Erotocritos entretenait avec un luxe royal. C'était là qu'il écrivait, qu'il lisait, qu'il couchait même. Sa mère seule en avait la clé. Ce jour-là, oubliant sa promesse, elle ouvre ce pavillon pour le montrer aux princesses. Tandis qu'Arétusa admire la richesse et l'élégance de cette demeure, elle aperçoit une clé suspendue à la muraille par une chaîne d'or; elle la prend, ouvre une porte et se trouve dans le cabinet d'Erotocritos. Dans le premier tiroir d'un meuble qu'elle ouvre, elle aperçoit les chansons qui ont fait ses délices et ses peines. Elle feint d'être indisposée, renvoie tout son monde, déclare qu'elle veut se coucher. Elle appelle Phrosyne, les portes fermées, elle la rassure, et lui montrant les chansons: «Celui que je cherchais à connaître, enfin le voilà découvert. "

Phrosyne, qui prévoit à quels malheurs Arétusa s'expose, pleure et tente de dissiper la confiance et la joie de la princesse. Mais celle-ci, continuant ses recherches, trouve son portrait peint des mains d'Erotocritos. Est-il possible de conserver encore quelque doute? Elle emporte avec elle et cache avec soin ce qu'elle a trouvé.

Phrosyne redouble ses conseils et ses instances; elle supplie la princesse de renoncer à ce fatal amour. Elle mourra plutôt que de voir la fille d'un roi finir si mal. Arétusa confesse son erreur, mais comment résister à

la passion qui la domine? On ne connaît les périls de la mer que lorsque la tempête bat le navire de ses flots. L'amour et le respect filial se livrent dans son âme un combat dont l'amour sort toujours victorieux.

Phrosyne ne sait que résoudre. Si elle avertit le roi, il tuera sa fille; s'il vient à découvrir sa passion, c'est à Phrosyne qu'il aura le droit de s'en prendre. Enfin elle espère que le temps affaiblira cette ardeur, qu'Arétusa se rendra plus sage. Combien l'amour en vieillissant ne perd-il pas de son charme et de sa puissance?

Loin de son pays, Érotocritos ne sent pas diminuer son amour: Il n'a vu nulle jeune fille plus belle qu'Arétusa.

Sur ces entrefaites, un courrier lui annonce la maladie de son père. Il se hâte d'accourir dans Athènes. Il trouve son père hors de danger. Sa joie est grande, ainsi que celle d'Arétusa. Bien décidée à ne pas manifester son amour, elle se pare, et se rend près du roi, elle espère qu'Érotocritos viendra lui rendre ses hommages.

Érotocritos cependant s'est aperçu qu'il lui manque et ses chansons et le portrait d'Arétusa; il apprend de sa mère ce qui s'est passé. Il craint qu'Arétusa n'ait tout révelé au roi. Il pense donc qu'il vaut mieux pour lui ne point aller au palais et attendre. Polydore est envoyé près d'Héraclès afin d'observer où en sont les choses, et d'apprendre à son ami s'il doit espérer ou craindre.

Héraclès le revoit avec plaisir, il l'interroge avec bonté, il lui donne sa main à baiser; il le questionne sur Érotocritos. Arétusa était là. Polydore dit au roi que son ami est malade, et en même temps il observe le visage de la princesse : elle a pâli.

Polydore trompe son ami par un rapport mensonger. Sans doute le roi ignore tout, la princesse ne lui a rien révélé; mais elle a dans l'âme une vive colère qu'elle

s'efforce de cacher. Polydore l'a même entendue murmurer: « Quoi! le voleur même est venu? » Érotocritos continue donc à se tenir loin du palais. Polydore lui conseille de fuir pour se soustraire à la colère d'Arétusa. Cependant le roi envoie avec bonté savoir de ses nouvelles, et Arétusa inquiète, tourmentée, fait offrir à la mère d'Erotocritos quatre magnifiques oranges pour le malade. Cette attention fait sur Erotocritos une vive impression et le guérit. Toute la nuit, il réfléchit à ce présent, son courage et sa confiance renaissent.

Il ne veut plus croire son ami. Arétusa ne saurait être courroucée contre lui. Une femme s'offense-t-elle des hommages qu'on lui adresse? Il ira au palais s'assurer lui-même si ses affaires vont bien ou mal.

Le voilà guéri de sa fièvre simulée. Il paraît au palais, il salue le roi. Il se tourne un peu du côté d'Arétusa. Celle-ci pâle et rouge tour à tour, remplie de joie et de chagrin, le voyait avec ravissement si beau, si noble, et en même temps elle se désolait en pensant combien il serait difficile d'arranger un mariage avec l'agrément de son père et de sa mère. Devant Érotocritos, elle baisse les yeux avec une pudique honte. Il a tout deviné. Il revient au palais, il y revient souvent, pour s'assurer mieux des sentiments d'Arétusa, et toujours quelque crainte se mêle à son espoir.

L'un et l'autre se trahissent par de tendres regards. Le jeune homme prend plus d'assurance. Tel un voyageur arrêté par un fleuve qu'il faut traverser, se hasarde timidement, sondant le terrain avec un bâton, cherchant un gué, et, quand il l'a trouvé, il s'avance avec hardiesse, et ensuite il passe et repasse le fleuve sans crainte.

Ils ont compris leurs secrètes pensées, et nul n'a surpris leur entente. Polydore et Phrosyne seuls en sont instruits, ils suivent avec effroi le progrès de cet amour.

66

Ce n'est qu'avec humilité et modestie qu'Erotocritos regarde Arétusa. Il mesure la distance qui le sépare d'elle. « Esclave, se dit-il, je ne dois m'approcher de ma maîtresse que comme un esclave. Il me suffit qu'elle me voie avec quelque plaisir. C'est là tout ce que je dois attendre. Ce doit être là ma nourriture et ma vie. " Les vrais amants éprouvent une grande joie à se regarder. Ce bonheur exclut tout le reste. Absorbés dans cette jouissance des yeux, Érotocritos et Arétusa s'y complaisaient, comme s'ils avaient eu l'expérience de l'amour. C'est que la nature n'a pas besoin de maître; elle donne à l'enfant à peine né l'instinct de chercher le sein de sa mère. Si elle ne lui donne pas tout de suite de son lait, l'enfant met son doigt dans sa bouche et le suce. Bien qu'inexpérimentés, mais suivant l'inspiration de la nature, Arétusa et Érotocritos font tout ce qu'il faut faire: Ils cachent leur amour, dissimulant leurs sentiments, et comme s'ils n'étaient pas à leur coup d'essai, ils savent dans une telle guerre, ce que demande un tel combat.

LIVRE DEUXIÈME.

L'époque du tournoi approche. Érotocritos s'apprête à y prendre part. En vain Polydore essaie de l'en détourner; il redoute que l'éclat de sa vaillance ne fasse deviner au roi qu'il est le meurtrier de ses gardes. Ces craintes cèdent dans l'âme d'Érotocritos au désir de faire briller sa valeur sous les yeux d'Arétusa, et de posséder la couronne que ses mains ont brodée.

Le jour de la lutte est arrivé, les hérauts ont annoncé la fête. Polydore n'ayant pu vaincre la résolution de son ami a pris tous les soins nécessaires pour armer Érotocritos avec le plus de magnificence possible. Le

roi, la reine, Arétusa assistent à la fête. Phrosyne a le cœur plein de tristes pensées.

Les héros s'avancent, c'est d'abord le prince de Mitylène, Démophanès, après lui, le fils du roi de Nauplie, Andromaque, Philarète, prince de Modon, le roi de Négrepont, Hercule; le jeune prince de Macédoine, Nicocrate, celui de Coron, Dracomaque, celui d'Esclavonie, Tripolème, celui de Naxos, Nicostrate; le prince de Caramanie; le fils du roi de Byzance, le roi de Patras, enfin Érotocritos viennent s'inscrire à la suite. Les trompettes annoncent l'entrée de chacun d'eux, le poëte décrit leurs coursiers, leurs armures, les ornements de leurs casques, les devises que chacun d'eux porte.

Monté sur un cheval tout noir, mais dont les pieds sont blancs comme l'argent, Érotocritos efface tous ses rivaux par la splendeur de ses armes, la beauté de sa taille, l'élégance de son maintien; il porte sur son casque un emblême de son amour : c'est un cœur qui brûle dans une flamme, et la devise explique qu'il n'a pu soustraire son âme au feu qui la dévore.

Quand il a donné son nom au roi, Arétusa a eu de la peine à retenir son cœur qui volait vers son amant. Luimême a tremblé devant elle. Tout le monde admire sa jeunesse, mais Arétusa, plus que personne. Singulière puissance de l'amour! la magnificence des autres concurrents, leur noblesse, leur courage, tout s'efface aux yeux d'Arétusa devant le mérite d'Erotocritos.

Tout-à-coup, un bruit attire l'attention de la foule. On croyait la liste des concurrents fermée, et voilà qu'il s'en présente un nouveau; il est tout vêtu de noir, son cheval est noir, ses compagnons ont aussi des vêtements noirs. C'est le prince de Crête: il porte le deuil de sa femme qu'il a tuée (1). Il a cédé aux instances de ses amis en venant à ce tournoi.

(1) C'est l'histoire de Procris et Céphale attribuée à ce prince.

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