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lia, dirigere jacula, tenere clypeum, ensem librare, et quocumque necessitas traxerit. » Voilà l'origine de notre mot chemise; il a pris naissance dans les casernes, c'était un de ces castrensia verba qui, dédaignés d'abord par les délicats, devaient survivre à la langue savante et la remplacer tout-à-fait (').

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Certes, Saint Jérôme connaissait la valeur de son érudition et il en sentait le prix. S'il lui arrive d'avoir affaire à quelque moine bavard, médisant, peu instruit, dont les propos malins l'inquiètent et le blessent, il sait bien se prévaloir contre la frivole ignorance de son ennemi, des lumières qu'il a lui-même acquises par de longues et solides études. Il en est un, de ces flâneurs, de ces batteurs de pavé dans les carrefours, dans les places, de ces beaux diseurs de salons parmi les dames, qui critique avec une aigre injustice les livres de Saint Jérôme contre Jovinien; l'auteur blessé prend à partie ce moine insolent, et voici comme il le fustige en faisant sa propre apologie: « hunc dialecticum urbis vestræ et Plautinæ familiæ columen, non legisse quidem κατηγορίας Aristotelis, non περὶ ἑρμηνείας, non τοπικά, non saltem Ciceronis Tónous, sed per imperitorum circulos, muliercularumque vμnóσia syllogismos texere, et quasi sophismata nostra callida argumentatione dissolvere. Stultus ego qui me putaverim hæc absque philosophis scire non posse, qui meliorem styli partem eam legerim, quæ deleret, quam quæ scriberet. Frustra ergo Alexandri verti commentarios? Nequidquam me doctus magister per waywy introduxit ad logicam : et, ut humana contemnam, sine causa Gregorium Naziancenum, et Didymum in scripturis sanctis Catechistas habui : nihil mihi profuit Hebræorum eruditio, et ab adolescentia usque ad hanc ætatem quotidiana in lege, prophetis, evangeliis, apostolisque meditatio. Inventus

(1) Epit. ad Fabiolam de vestitu sacerdotum, liv. III.

est homo absque præceptore perfectus, VEμaτopópos, ἔνθεος, καὶ ἀυτοδίδακτος, qui eloquentia Tullium, argumentis Aristotelem, prudentia Platonem, eruditione Aristarchum, multitudine librorum Chalcenterum, Didymum scientia scripturarum, omnesque sui temporis vincat tractatores. » Ce moine présomptueux, babillard, mal instruit, fort peu versé dans les livres ou sacrés ou profanes, peut être considéré déjà comme le représentant d'une génération nouvelle qui voit se resserrer son cercle d'études et touche à peine aux anciens. Aristote n'est guère plus de mise, l'instruction s'affaiblit et le déchet se fait d'abord sentir dans les études grecques.

Saint Jérôme était homme d'action ardente et passionnée. La flamme de son âme rayonnait autour de lui. Il attirait dans sa sphère tous ceux qui pouvaient l'approcher. Nous n'avons point à dire ici son influence sur les femmes illustres qu'il a immortalisées par son amitié. Elles n'étaient pas seulement attachées à lui par les sentiments d'une spiritualité toute chrétienne, elles entraient dans ses goûts pour les travaux littéraires; elles suivaient ses conférences, elles étudiaient avec lui les écritures; quelques-unes assemblaient pour lui les matériaux de ses leçons publiques; d'autres, plus éloignées de Rome ou de Bethléem, ne pouvaient se dérober à son entraînante autorité. Ainsi l'on voit, en même temps, une femme de Bayeux, Hédibie, et une femme de Cahors, Algasie, rédiger pour les adresser à Saint Jérôme, l'une douze, l'autre onze questions sur des matières philosophiques, religieuses, historiques; elles lui demandent l'explication de certains passages des livres saints; elles veulent savoir de lui quelles sont les conditions de la perfection morale, ou bien quelle conduite l'on doit tenir dans certaines circonstances de la vie (1).

(1) Guizot. Hist. de la civil. en France. t. I. p. 120.

C'est la preuve d'une grande activité d'esprit ; Saint Jérôme la ressentit lui-même avant de la communiquer aux autres. On sait qu'il parcourut toutes les provinces des Gaules et de l'Allemagne pour y faire la recherche des plus précieux manuscrits dans les bibliothèques ; qu'il revint de ce voyage dans Aquilée chargé de livres. Il aurait été surprenant que cette chaleureuse application aux études n'eût pas attiré auprès de lui quelque homme animé de la même passion. Ceci arriva pour Rufin.

C'était un prêtre d'Aquilée. Né dans une petite ville d'Italie, nommée Concorde, vers le milieu du IVe siècle, il s'était transporté dans la cité qu'on appelait la seconde Rome. Il s'y était rendu habile dans les lettres humaines et dans l'éloquence. Ce fut d'abord là son ambition. Plus tard, il pensa aux moyens d'acquérir la science des saints, et il se retira dans un monastère d'Aquilée, où il ne s'occupa plus que de la lecture et de la méditation des écritures saintes. Saint Jérôme, revenant de Rome, passa par Aquilée et se lia étroitement avec Rufin. Tous les deux ils se promirent une amitié indissoluble sans prévoir les grandes querelles qui devaient les diviser un jour. Quand Saint Jérôme eut choisi Bethléem pour le lieu de sa retraite, Rufin qui ne pouvait se passer de lui, s'embarqua pour l'Egypte, il y visita les solitaires, il s'arrêta à Alexandrie pour écouter les leçons de Didyme, et demeura environ trente ans en Orient (1).

Là il s'appliqua à étudier le grec et, quand il fut maître de cette langue, il rendit l'inestimable service aux occidentaux de traduire en latin des ouvrages dont la connaissance leur serait restée interdite. Il donna d'abord les livres des Antiquités judaïques de Josèphe et son histoire de la guerre des Juifs. Il traduisit ensuite dix discours de Saint Grégoire de Naziance et huit de (1) Ceillier, t. 10.

Tillemont, t. 12.

Saint Basile. Sur l'invitation de Saint Chromace d'Aquilée, il fit une version de l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe. Ce travail fut achevé en moins de deux ans. Enfin il entreprit la traduction des livres d'Origène qui devait le brouiller avec son ami Saint Jérôme. Déjà il avait donné une traduction latine de l'apologie d'Origène attribuée au martyr Saint Pamphile. En abordant le livre des Principes, il dit dans sa préface: « Je sais que plusieurs de nos frères ont désiré qu'Origène fût traduit en latin par quelques savants hommes; et en effet notre confrère (il entend Saint Jérôme), ayant traduit deux homélies sur le cantique, à la prière de l'évêque Damase, y a mis une préface si magnifique, qu'il n'y a personne à qui il ne donne envie de lire Origène, et il promet de traduire plusieurs autres de ses ouvrages. Je veux donc faire connaître cet homme, que Jérôme appelle le second docteur de l'église après les apôtres et dont il a traduit plus de soixante-dix homélies. Je suivrai aussi sa méthode, en supprimant ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'il a dit ailleurs touchant la foi catholique. Nous n'avons point à dire comment Saint Jérôme fit, par une traduction nouvelle, où rien n'était omis de ce qu'avait d'abord écrit Origène, sentir le venin dont les livres de ce docteur étaient infectés; la querelle qui s'éleva entre lui et son ami ne nous regarde pas non plus; nous ne voulons que faire voir dans Rufin un prêtre de l'Occident instruit dans le grec, nous voulons montrer aussi de quelle nécessité il était dès lors de traduire en latin les livres sortis des mains des Grecs.

VI.

On retrouverait sans peine des traces d'un hellénisme direct dans les œuvres de Saint Ambroise. Le haut rang de sa famille lui avait assuré une éducation solide et

vraiment littéraire. Il est probable qu'il avait abordé, comme tous les écoliers de son temps, l'étude de la langue grecque. Né dans la Gaule, élevé à Trèves, transporté plus tard dans Rome, il avait eu à la fois les meilleurs maîtres et les livres en grande abondance. Dans ses fonctions d'administrateur, comme préfet de Milan, il n'avait point fait des lettres son occupation principale; elles n'étaient tout au plus pour lui qu'une distraction et son ardente piété dut encore, les maintenir dans un cercle plus étroit. Une fois devenu évêque, il sentit la nécessité de donner un nouveau cours à ses lectures. Il dut penser à combler les lacunes de son éducation théologique. Nous savons qu'il y mit tous ses soins. Dès l'aube du jour, ses dévotions faites et le saint sacrifice célébré, il s'asseyait à sa table, dévorant des yeux un volume de l'Ecriture sainte, auquel il joignait quelque commentaire d'Origène, de Saint Hippolyte, ou quelque sermon de Basile, de Césarée, recueilli par les sténographes d'Orient ('). » Saint Augustin raconte (2) qu'il lui arriva plus d'une fois d'entrer chez Saint Ambroise et de le contempler lisant à son bureau, sans l'interrompre (3).

Il est impossible de douter que ces lectures de Saint Ambroise ne se fissent en grec. C'était la destinée de la langue grecque de contribuer à toute initiation. Elle avait enseigné aux Romains la voie qui conduisait aux poètes et aux philosophes. Elle avait offert au génie mal débrouillé de Rome le secours de ses plus précieux ouvrages. Après l'établissement définitif du christianisme, elle rendait encore à l'Occident le même service. Elle lui ouvrait les trésors de la science nouvelle. Nul ne pouvait avancer dans les

(1) S. Ambr. Vit. à Paulo scripta, p. X, et ep. XLVII. 1.

(2) Conf. VI. 3,

(3) De Broglie. t. II. p. 10.

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