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s'étalent sur les vitraux des églises, sur les pierres de nos cathédrales, s'inscrivent enfin comme authentiques et confirmées dans les savants recueils d'Albert-le-Grand et de Vincent de Beauvais.

Nous lisons à ce propos un passage curieux dans les lettres de saint Bernard : c'est celui où il reproche aux églises et aux cloîtres les trop brillantes parures dont ils s'embellissent au grand dommage de l'attention dans la prière ou dans les lectures. « Que signifient, dit-il avec l'accent d'un Juvénal chrétien, cette ridicule monstruosité, cette élégance merveilleusement difforme, ces difformités élégantes étalées aux yeux des frères pour les troubler sans doute dans leurs prières ou les distraire dans leurs lectures? Que nous veulent ces singes immondes, ces lions furieux, ces monstrueux centaures ou semi-hommes, ces tigres à la peau mouchetée, ces soldats qui combattent, ces chasseurs qui souflent dans leurs cors? Ici, ce sont des corps multiples à une tête unique; là, plusieurs têtes sur un seul corps. C'est un quadrupede ayant une queue de serpent, ou un poisson portant une tête de quadrupède. Voici un animal dont une moitié représente un cheval et l'autre moitié une chèvre; en voilà un autre ayant des cornes et se terminant en un corps de cheval. Enfin, c'est partout une telle variété de formes, qu'il y a plus de plaisir à lire sur le marbre que dans les parchemins, et que l'on passe plus volontiers les journées à admirer tant de beaux chefs-d'œuvre qu'à étudier et à méditer la loi divine. "

Ce luxe, cette abondance de merveilles taillées par le ciseau des sculpteurs, ou finement exprimées par le pinceau des enlumineurs, n'était qu'une traduction affaiblie des nombreux Volucraires et Bestiaires dont la fantaisie du moyen âge avait déjà multiplié partout les prodiges, souvent insensés, mais toujours ramenés à un but d'éducation populaire.

Cette habitude de moraliser (l'expression est du moyen âge) l'histoire naturelle remonte aux temps les plus anciens du christianisme, et même les dépasse. Les premiers fidèles en trouvèrent l'exemple dans la Bible et dans l'Evangile. Ces deux livres, dont chaque parole renfermait une vérité, fondèrent l'interprétation allégorique, qui ne fit que se développer davantage avec les subtilités de la scolastique. Jésus-Christ se sert du mot de renard pour flétrir la malice de ses ennemis. Samuel Bochart, dans un ouvrage intitulé Hierozoïcon, a rassemblé tous les passages où sont désignés les animaux dont l'Esprit saint s'est servi pour rendre plus sensibles des vérités de morale. Nous y voyons qu'avec des bêtes telles que le boeuf, le chameau, l'âne, le lion, le tigre, le renard, le lièvre, la colombe, la tourterelle, l'hirondelle, l'aigle, le pélican, les auteurs des divines Écritures n'hésitent pas à recourir à des êtres merveilleux, dont l'existence n'a pas été contestée avant qu'une méthode rigoureuse et scientifique eût fait éva nouir ces prodiges. Tels étaient le Tragelaphus, le Gryphe, l'Ixus, le Myrmécoléon, le Phénix, les Faunes, les Satyres, les Sirènes, les Lamies, les Onocentaures, la Licorne. Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, qui n'étaient pas les inventeurs de ces fables, les ont consacrées. Ces animaux douteux, dubia animalia, comme les appelle Samuel Bochart, n'ont pas laissé d'embarrasser un peu les interprêtes modernes de la Bible; mais, pendant toute la durée des âges qui se sont écoulés entre l'apparition du christianisme et la Renaissance, ils ont été reconnus comme des êtres réels. On les a vus, on en a décrit la forme avec une assurance qui défiait le doute.

Saint Jérôme rapporte que Saint Antoine fit au désert la rencontre d'un hippocentaure. Je marque ce témoignage avec d'autant plus d'attention que cette apparition, qu'on peut lire dans les lettres familières

de ce grand saint (1), se retrouve dans notre Physiologus grec. Le même Antoine vit aussi, quelques instants après, une espèce de petit homme au nez crochu, au front cornu; son corps se terminait par des pieds de chèvre. Il l'interrogea; cet être bizarre répondit : "Je suis un de ces hommes que la gentilité, abusée par tant d'erreurs, a appelés faunes et satyres. Je m'acquitte ici d'une commission que m'a donnée la troupe à laquelle j'appartiens. Nous vous prions d'implorer pour nous votre Dieu, qui est aussi le nôtre; nous savons qu'il est venu pour le salut du monde, et le bruit s'en est répandu dans l'univers entier." Saint Jérôme se demande si l'hippocentaure n'était pas une de ces illusions dont le diable se plaît à tromper parfois les yeux des hommes; mais, pour le satyre, il n'y a pas l'ombre d'un doute dans son esprit. Au temps de Constantin, dit-il, on amena dans Alexandrie un de ces faunes. Une multitude immense de peuple le vit. Il mourut, et l'on transporta dans du sel, pour le préserver de la corruption, car on était en été, son cadavre jusqu'à Antioche, où se trouvait alors l'empereur.

Il ne restait qu'à donner un sens moral à ces phénomènes de la nature. Rien n'était plus conforme au penchant de l'esprit humain et aux habitudes de l'enseignement chrétien.

Les apologues anciens, répandus sous le nom d'Esope, ont la même origine. Au début des sociétés, les hommes, plus naïfs et plus rapprochés de la nature, n'ont jamais manqué d'observer les animaux. Ils ont pénétré jusqu'au fond de leur caractère, si l'on peut ainsi dire; ils ont surpris leurs défauts, leurs ruses, leurs habitudes. Rien ne leur a échappé de leurs bonnes et de leurs mauvaises qualités. Les analogies les plus fines, que

(1) Épitre I, liv. III. Edit. Canisii.

nous n'apercevons plus, ont été saisies par les premiers chasseurs entre la conduite des animaux et celle des hommes, suivant ce principe reconnu par La Fontaine, que nous sommes l'abrégé de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les créatures raisonnables.

Il en est résulté toute une langue riche en métaphores et en comparaisons. Des rapports qui nous semblent bizarres aujourd'hui ont été exprimés par des mots pittoresques ou des légendes singulières. Ainsi, dans les Védas, dans les Ithiasas, dans le Dharma Sâstra, cités par M. Hippeau, on trouve mentionnés l'éléphant, le loup, le tigre, le lion, la cigogne, la corneille, avec des traits de moralisation qui sont dans les Bestiaires. Ainsi, chez ces peuples, les diverses espèces de voleurs sont transformées en loups, en ours, en singes, en boucs, en vautours, selon des ressemblances que l'imagination populaire a saisies; les voleurs de soie, par exemple, changés en perdrix grise ou rouge, réveillent dans l'esprit de ces peuples des idées d'une concordance exacte, où se retrouvent tout à la fois les notions d'histoire naturelle acceptées par tout le monde et les analogies entre le plumage de l'oiseau et la couleur de l'objet dérobé par les voleurs.

Dans l'Eglise grecque, aussi bien que dans l'Eglise latine, les docteurs qui fondaient le dogme chrétien ne pouvaient négliger les preuves de la puissance de Dieu écrites en caractères si manifestes dans la nature. Cœli enarrant gloriam Dei, avait dit le Psalmiste; saint Jérôme dit à son tour: Bestia Christum loquuntur. Saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, n'ont pas été les seuls à composer en grec des dissertations consacrées à l'exposition de l'œuvre des six jours. Cette démonstration éloquente et facile de l'existence de Dieu avait été tentée longtemps avant eux. Ces divers ouvrages n'ont pas survécu tous; de quelques-uns il ne reste que

de rares fragments, et, pour le plus grand nombre, il n'en demeure plus que le souvenir. Papias, évêque d'Hierapolis en Phrygie, saint Justin, saint Théophile d'Antioche, avaient mêlé les allégories morales à la science du monde telle que leur âge la comprenait. Origène, Candide, Appion, Maxime, ont mérité qu'Eusèbe et saint Jérôme aient transmis, pour des compositions de ce genre, leurs noms à la postérité. Saint Pantène, philosophe stoïcien converti au christianisme, avait traité, dans un ouvrage spécial, de la création du monde. Des ouvrages du même genre, attribués à saint Denis ou dus à saint Cyrille, n'avaient devancé que de quelques années celui de saint Basile, archevêque de Césarée. La littérature latine n'était pas moins riche en ces sortes d'ouvrages. Tertullien, Lactance, Arnobe, saint Augustin, saint Ambroise, ont eu leurs Hexaémérons.

On peut bien croire que ces sujets, diversement traités pendant une suite assez longue d'années, devinrent des lieux communs désignés aux orateurs. Vraisemblablement alors, il dut venir à l'esprit de quelque docteur de ramasser en un manuel commode les traits principaux de cet enseignement. L'ouvrage de saint Épiphane me paraît être un de ces recueils dont l'habitude ne s'est jamais perdue dans l'éducation des prédicateurs chrétiens. Ce qui me fait incliner à cette opinion, c'est le ton moins relevé de ce traité. Ce n'est plus la mise en œuvre éloquente de connaissances laborieusement acquises, c'est l'abrégé succinct, le résumé populaire des notions d'histoire naturelle qu'on regardait comme les plus utiles à l'instruction des premiers chrétiens. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'un ouvrage du même genre, désigné par le même titre de Physiologus, fut composé en latin. Il existait encore, au temps du pape Gélase; on l'attribuait à saint Ambroise : c'était à tort;

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