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porté ses armes et sa puissance de l'endroit où le soleil se lève jusqu'à celui où il plonge dans l'onde sa tête étincelante.

Voilà ce qu'était devenue, vers la fin du quatrième siècle ou vers le commencement du cinquième après Jésus-Christ, la figure du grand philosophe grec. Elle conserve encore quelque chose de la gravité que l'histoire est disposée à lui accorder. Cependant on ne peut nier que le précepteur d'Alexandre ne joue un rôle plus modeste et plus petit qu'il ne convient à sa réputation et à la valeur de son génie. C'est se faire une bien pauvre idée de sa science que de lui envoyer du fond de l'Inde des renseignements si menteurs, des contes si fabuleux sur des merveilles impossibles et contraires à la nature. Néanmoins la conception du PseudoCallisthène s'accommodait si bien à la faiblesse des esprits, que ses récits dépourvus de sens, mais embellis d'un faux lustre d'extravagance, ont eu le plus grand succès. Traduits du grec en latin, ils ont suscité dans la littérature française des épopées célèbres, et contribué à répandre parmi le peuple de nouvelles erreurs sur le génie d'Aristote, erreurs dont les savants mêmes ne se sont pas toujours préservés.

Avant d'aborder cette autre partie de mon étude, je dois m'arrêter quelque temps sur des compositions en grec vulgaire, qui ne sont qu'un remaniement du Pseudo-Callisthène. J'en ai trois sous les yeux : deux sont en prose; la troisième est en vers rimés; les unes et les autres sont anonymes. On attribue pourtant à Démétrios Zénos la traduction rimée. La première édition s'annonce sous ce titre : Διήγησις ̓Αλεξάνδρου τοῦ Μακεδόνος, περιέχουσα τὸν βίον αὐτοῦ, τοὺς πολέμους, τὰς ἀνδραγαθίας, τὰ κατορθώματα, τοὺς τόπους ὁποῦ περιώδευσε, ὁμοῦ δὲ καὶ τὸν θάνατον αὐτοῦ, καὶ ἀλλα πλεῖστα πάνυ περίεργα καὶ ὡραῖα. Νεωστὶ τυπωθεῖσα καὶ ἐπιμελῶς διορθωθεῖσα. Venise,

1780. La seconde, imprimée à Venise en 1866, n'est que la reproduction de la première, avec une disposition nouvelle des sections ou chapitres, et des corrections faites au texte de 1780.

Dans ces deux éditions, nous retrouvons la version du Pseudo-Callisthène écrite en langue romaïque, pour un peuple qui a perdu les traditions du langage littéral. C'est une sorte de contrefaçon vulgaire d'un roman qui rappelle la rédaction des Quatre fils Aymon et même des poëmes sur Alexandre, dont la bibliothèque bleue de la veuve Oudot a fourni si longtemps nos campagnes et nos provinces. On peut donc s'attendre à voir dans ces récits se transformer encore le caractère d'Aristote et l'idée de ses rapports avec le fils de Philippe.

Et d'abord, il n'est plus question d'aucun des maîtres d'Alexandre dont l'histoire, même fabuleuse de Callisthène, nous avait conservé les noms. Aristote est seul chargé du soin de cette éducation; pourtant, il aura comme collaborateur, pour l'étude de l'astronomie, ce singulier personnage, Nectanébo, roi détrôné d'Egypte, magicien artificieux, que le Pseudo-Callisthène nous a fait connaître. Aristote enseigne les lettres. En peu d'années son disciple apprend la grammaire, la rhétorique, la philosophie, et fait dans ces sciences de rapides progrès. L'idée d'une éducation particulière et royale s'efface dans ce pauvre récit. L'auteur n'imagine plus qu'une école ordinaire où sont réunis, sans distinction et sans choix, des enfants de tous les rangs. Ces condisciples d'Alexandre admirent sa facilité à s'instruire, portent envie à ses progrès et tâchent de les égaler. Quand le goût fut venu au jeune prince d'apprendre l'astronomie, Aristote dut partager la journée avec Nectanébo. La matinée lui appartenait, le soir fut pour l'Egyptien : ̓Απὸ δὲ ταχύ ἔως τὸ γεῦμα ἐπήγαινεν εἰς τὸν πονηρὸν Νεκταναβόν.

L'épreuve qu'Aristote a fait subir à l'esprit d'Alexandre, pour s'assurer de la solidité de son jugement et de la bonté de son cœur, est singulièrement travestie dans le roman populaire; il en est de même des combats ou déjà s'annonçait la vaillance du futur conquérant du monde. Nous n'en voyons plus ici qu'un misérable tableau. Un jour, est-il dit, Aristote réunit tous les enfants de son école ayant le même âge; il les partage en deux groupes, arme chacun de ceux qui le composent d'un bâton. D'un côté Alexandre commande, de l'autre c'est Ptolémée. Aristote donne le signal. Le combat s'engage; le fils de Philippe s'élance au milieu des rangs ennemis, et, en moins de rien, il a remporté sur eux sa première victoire. Le Stagirite y voit le présage de beaucoup d'autres; il en augure la future grandeur de son élève. Il n'est pas moins satisfait de la réponse d'Alexandre, qui n'a pas ici la même prudence que dans le Pseudo-Callisthène, mais promet plus naïvement au philosophe un avenir plein de magnificence et de grandeur, si jamais son disciple arrive au trône : Διδάσκαλε, ἀνίσως γένῃ αὐτὸ ὁποῦ λέγεις, καὶ γίνω αὐτοκράτωρ τοῦ κόσμου ὅλου, ἐσένα θέλω σὲ κάμει μέγαν ἄνθρωπον, νὰ ἦσαι πάντα μετ' ἐμένα. Καὶ ὁ ̓Αριστοτέλης τοῦ εἶπε. Χαῖρε λοιπὸν ̓Αλέξανδρε Αὐτοκράτωρ, ὅτι εἰς ἐσένα θέλει ἔλθει τὸ βασίλειον νὰ ἐξουσιάσῃς ὅλον τὸν κόσμον ('). La conception et la langue ont marché du même pas, et sont l'une et l'autre descendues, on le voit, assez bas.

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Aristote ne paraît plus dans la narration que sur les bords du fleuve Kassandra, en Macédoine. Il vient avec Olympias rendre hommage au guerrier victorieux, dont il reçoit de magnifiques présents.

Une particularité de cette version, c'est qu'au lieu d'une lettre à Aristote, comme dans le Pseudo-Callis

(1) P. 16.

thène, l'auteur, pour marquer les rapports qui n'ont cessé d'exister entre le maître et l'élève, imagine de faire entreprendre à Aristote le voyage de Babylone. Alexandre est dans cette ville, entouré de toute la pompe orientale. Il a une cour de princes et de rois. Il en est venu du levant et du couchant, du nord et du midi, de la terre ferme et des îles de la mer; tous lui ont apporté le tribut de plusieurs années. C'est au milieu de ce somptueux appareil que paraît Aristote. Il est envoyé près du roi par Olympias. A sa vue Alexandre se réjouit, il l'embrasse. « Tu as bien fait de venir à moi, tête précieuse, toi qui brilles ainsi que le soleil au milieu de tous les Grecs. » Redoublant de tendresse, il lui donne les noms que l'affection la plus vive lui suggère; il l'accable de questions; il lui fait les récits de ses courses qui l'ont porté jusqu'au Paradis. Aristote félicite son élève. Il le salue roi du monde. Il lui assure que la joie règne dans l'univers, ainsi que la paix, grâce à ses conquêtes et à son empire. « Ta mère, lui dit-il, est pleine de bonheur au récit de tes vaillants exploits; mais elle voudrait bien te revoir, elle voudrait bien voir Roxandre, ton épouse.

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Alexandre, au souvenir d'Olympias, verse des larmes; il s'afflige du chagrin qu'elle ressent.

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Cependant, le festin commence : Aristote y prend place à côté du roi. Τὴν ἄλλην ἡμέραν ἔδωκεν ὁ ̓Αλέξανδρος συμπόσια πολλὰ εἰς τοὺς βασιλεῖς καὶ αὐθεντάδες, ὁποῦ ἦσαν μαζῆ του, καὶ εἰς ὅλα τὰ φουσάτα του. Ἦλθαν καὶ ἀπὸ τὸν τόπον τῆς ἀνατολῆς καὶ τῆς δύσεως, ἀπὸ τοῦ βορέως τὰ μέρη, καὶ τοῦ νότου, καὶ ἀπὸ τὰ νησία τῆς θαλάσσης, ὅλοι οἱ αὐθεντάδες, φέροντες πολλῶν χρόνων χαράτζιον, μὲ δῶρα πολλά. Ἦλθε καὶ ὁ ̓Αριστοτέλης ὁ διδάσκαλός του ἀπὸ τὴν μητέρα του τὴν Ὀλυμπιάδα. Ὅταν τὸν εἶδεν ὁ ̓Αλέξανδρος, ἐχάρη, ἐφίλησέ τον, καὶ εἶπε · Καλῶς μᾶς ἦλθες πολύτιμον

κεφάλι, ὁποῦ λάμπεις ὡσὰν ὁ Ἥλιος ἀνάμεσα εἰς τοὺς Ἕλλη νας...» (*)

Le philosophe s'étonne que son élève ait pu accomplir des exploits tels qu'il n'y en eut jamais de pareils, qu'il n'y en aura jamais de semblables au monde. Alexandre explique ainsi tous ses succès: «J'ai quatre avantages: un bel accueil, de la franchise, je me conduis par ma propre raison, j'ai le jugement juste et la foi en Dieu, créateur du ciel et de la terre. Τέσσαρα καλά ἦσαν εἰς ἐμένα· πρῶτον, καλὸν χαιρέτημα· δεύτερον, ἀλήθεια· τρίτον, ἀπὸ τὸν λόγον μου νὰ μὴν εὐγαίνω ̇ τέταρτον, ἡ κρίσις μου νὰ ἦναι δικαία, καὶ νὰ πιστεύω τὸν Θεὸν τοῦ οὐρανοῦ καὶ τῆς γῆς, ὁποῦ ἔπλασε τὰ πάντα (3).

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L'auteur profite dé la présence d'Aristote pour faire tenir à son héros des propos pleins de sagesse et empreints d'une philosophie qui rappelle celle de la Cyropédie de Xénophon. C'est la vue d'Aristote qui inspire sans doute, dans la même circonstance, au conquérant du monde quelques actions ou jugements où il ne dépend que de nous de retrouver les heureux effets d'une bonne éducation.

Aristote se sépare enfin de son élève; mais ce n'est pas sans emporter de riches présents; il reçoit le diadème du roi Porus, sa tente, dix mille talents d'or et trente boisseaux de perles. « Μετὰ ταῦτα ἐκάλεσε τὸν διδάσκαλόν του τὸν ̓Αριστοτέλην, καὶ ἐφιλοδώρησέ τον, δίδοντάς του τὸ στέμμα του Πόρου τοῦ βασιλέως, καὶ τὸ ἐπανωφόρι, δέκα χιλιάδες τάλαντα χρυσᾶ, καὶ τριάκοντα μόδια μαργαριτάρι. » Jamais précepteur de prince ne fut si richement récompensé.

La Ριμάδα, οι poëme en vers rimés sur la vie

(1) Ρ. 141.

(*) Ρ. 143.

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