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au milieu d'incidents forcément semblables, quelques traits particuliers qui s'appliquaient d'une manière plus précise. C'est ainsi que Dante qui résume et éclipse toutes ces élucubrations monacales, se servait de cette machine commode pour satisfaire sa colère; c'est ainsi que, de nos jours même, Lamennais dans les Paroles d'un croyant foudroyait le Pape et les Rois.

Il n'est donc pas étonnant que notre texte offre des différences sensibles de rédaction avec les fragments trop courts cités par M. Tischendorf. Je dois me hâter de dire que ces différences sont tout à notre avantage. Il y a plus de correction dans le langage du numéro 390, moins de bizarrerie dans les titres glorieux accordés soit à la sainte Vierge, soit à saint Michel. Le manuscrit de la bibliothèque Bodléienne fait invoquer par la Vierge Marie l'ange Gabriel pour la conduire à travers les séjours de la souffrance, notre version ne tombe pas dans cette erreur. Le moine qui l'a composée savait à merveille que saint Michel avait reçu l'héritage de Mercure Psychagogue; qu'on figurait l'archange avec une baguette comme Mercure Cyllénius; que son office était de recevoir l'âme au sortir du corps des mourants, de la conduire à travers l'espace jusqu'au trône de Dieu à qui il la présentait. Chez les Grecs modernes, saint Michel est encore le conducteur des âmes et celui qui précipite dans les abîmes les broucolacas dont les spectres hideux assiégent et tourmentent les pécheurs.

Quant à l'intention de l'auteur elle est manifeste. Plein de dévotion pour la sainte Vierge, il emploie sa plume à la glorifier. On sait que c'est à partir du Ve siècle, après le Concile d'Ephèse, tenu en 431, que les chrétiens ont commencé à représenter la Vierge non plus comme un personnage historique, mais comme un type sacré. Cette idée d'une Vierge-Mère, éclose dans l'Orient et proclamée, chose étrange et curieuse, dans une ville où

l'antiquité païenne avait honoré d'un culte spécial une vierge également sans tache, fit de rapides progrès dans l'Occident. «Le type caractérisant le mieux le christianisme du moyen âge, c'est Marie, la Vierge par excellence. Marie est devenue, à partir du IXe siècle, une véritable quatrième personne de la Trinité, une divinité-femme, comme Jésus-Christ était une divinitéhomme; c'est le modèle de la beauté terrestre, la plus haute expression des créatures sorties de la main de Dieu, la reine des puissances célestes. Partout elle est représentée avec les insignes de la royauté. Encensée par les anges, anges, elle est vêtue de magnifiques vêtements, et le Père Eternel lui pose sur la tête une triple couronne. Tout le Paradis retentit d'un concert de louanges en son honneur, et, appui perpétuel des pécheurs, elle leur sert d'intermédiaire auprès du Très-haut. Aussi partage-t-elle avec celui-ci le culte et les adorations des fidèles; la plupart des cathédrales lui sont consacrées, et tel est l'enthousiasme que son culte inspire, que des écrivains vont jusqu'à mettre sa protection à côté et même au-dessus de celle de Jésus-Christ luimême. "

Presque tous ces traits rassemblés par M. Alfred Maury dans son Essai sur les Légendes pieuses du moyen age (1) se retrouvent dans notre Apocalypse. La Vierge n'a point encore achevé sa carrière mortelle, les anges ne l'ont point emportée dans les Cieux, mais elle est déjà entourée de l'auréole divine. L'archange Saint Michel, les quatre cents anges qui la conduisent sur un char, sont pour elle remplis de la plus pieuse et de la plus tendre vénération. Elle est la splendeur du Père, elle est tò xéλɛʊʊμz du Saint-Esprit, l'habitation du Fils, elle est le fondement des dix cieux, elle est la créature la plus élevée devant le trône de Dieu. Bien

(1) P. 34.

plus encore: quoiqu'elle n'ait point quitté la terre, elle a sa place dans la Sainte Trinité et ceux qui ne croient ni au Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit, qui refusent de croire que Marie soit la mère de Jésus-Christ, sont punis du même supplice.

On voit aussi combien l'on se figurait puissante et irrésistible l'intercession de la sainte Vierge auprès de Dieu. En vain l'archange saint Michel et les anges avaient sept fois le jour et sept fois la nuit répandu leurs prières devant le Très-haut en faveur des coupables; la justice divine était demeurée inexorable. Mais quelques larmes de la sainte Vierge auront cette victorieuse efficacité. Ce triomphe d'une mère n'a rien qui surprenne ceux qui ont lu dans Gautier de Coinsy, moine du XIIe siècle, tant de légendes miraculeuses où la Vierge intervient et marque la force de son intercession, au risque de scandaliser des âmes plus sensibles au dictamen de la raison que dociles aux enseignements de la dévotion. On sait l'historiette de cette femme qui, pratiquant tous les jours la dévotion de saluer les images de la Vierge, vécut toute sa vie en péché mortel et fut pourtant sauvée, car notre Seigneur Jésus-Christ la fit ressusciter exprès. J'ai lu chez un prédicateur du moyen âge l'aventure à peu près semblable d'un moine. Chaque nuit, il quittait le couvent, non pour quelque œuvre pie; mais, en traversant le choeur de la chapelle, il n'avait jamais manqué de faire une dévote révérence à la Vierge. Il s'en trouva bien, car, ayant à passer un ruisseau qui avait débordé la veille, il s'y noya. Déjà les mauvais anges s'étaient emparés de son âme et la conduisaient en enfer; la Vierge intervint, réclama pour son serviteur et l'arracha à la damnation éternelle.

Le zèle de l'auteur à célébrer la Mère de Dieu ne lui fait pas oublier ses propres intérêts, ou du moins ceux

du corps dont il fait partie. On a remarqué sans doute que ces chrétiens qui restent dans leur lit le saint jour du Dimanche, dès que l'aube a paru sont condamnés à des supplices sans fin. Il en est de même des fidèles qui négligent de saluer les prêtres qui entrent dans les églises ou bien en sortent, parce qu'ils sont les messagers de Dieu. On ne pouvait pas assez fortement imprimer dans les esprits le respect dû au clergé.

A propos de l'Apocalypse de saint Paul, un des plus anciens ouvrages en ce genre, M. Constantin Tischendorf fait observer qu'il n'est peut-être pas de langue soit en Orient soit en Occident où l'on ne retrouve une version de cette vision miraculeuse; l'Arabe et le Syriaque ont servi aussi bien que le latin à la propagation de ces œuvres édifiantes. Les langues issues du latin, la langue d'oc et la langue d'oïl, nous offrent des exemples semblables. Dans le manuscrit d'Urfé, folio 134, verso, colonne 5, chapitre 963, je trouve, en provençal, une imitation de l'Apocalypse de l'apôtre ainsi annoncée : Aiso es la revelatio que Dieu fe a sant Paul et a sant Miquel de las penas dels y ferns. Je me serais peut-être abstenu d'en parler ici, si, parmi beaucoup de détails directement traduits de l'Apocalypse de saint Paul éditée par M. Tischendorf, il ne se rencontrait des passages étrangers à ce texte et absolument semblables à quelques-uns de ceux que nous lisons dans la Vision de la sainte Vierge. Ainsi telle est cette ticularité: San Paul vi denan las penas d'ifern, albres de foc on vi los peccadors tormentatz e pendutz. En a quels albres li un pendia per los pes, els autres per las mas, els autres per las lengas, els autres per las aurelhas, els autres per los brasses. Et entorn los albres avia VII flamas ardens en diversas colors.

par

Dans le texte provençal comme dans l'apocalypse de Marie, coule un fleuve épouvantable où maintes âmes

sont plongées, las unas tro als ginhols, las autras tro las aurelias, las autras tro las Carias (?), las autras tro als sobresilhs.... ailleurs on retrouve les mêmes coupables ayant autour du cou des serpents de feu enlacés e tenian en lors cols serpens e drago e foc. Les mêmes supplices éternels sont également réservés à ceux que non creyran Jhû Crist qui vengues en la verge sancta Maria.

Ozanam dans son live sur Dante et la Philosophie Catholique au XIIIe siècle, donne une Vision de SaintPaul, poème inédit du XIIIe siècle. Les vers français sont une reproduction exacte de la pièce provençale dont je viens de citer des extraits. Les mêmes détails s'y rencontrent; je crois inutile d'en charger ici mon travail. Peut-être ai-je suffisamment fait comprendre par ces textes rapprochés les uns des autres, que les échos des moines du mont Athos sont parvenus jusqu'en France dans leur forme originale, et que les rapports de l'Occident avec la Grèce n'ont jamais été interrompus, même dans les siècles où l'on affirmait autrefois que langue grecque était inconnue (1).

la

En terminant ses observations sur les trois manuscrits de l'Apocalypse de Marie, M. Constantin Tischendorf ajoute quelques détails sur un manuscrit grec que possède notre grande bibliothèque de Paris, c'est le

(1) Au IXe siècle, Halitgaire, évêque de Cambrai en 817, a dû nous enrichir de plusieurs manuscrits grecs pendant son ambassade à Constantinople; car il cite 24 auteurs ecclésiastiques des deux langues savantes dans une épître dédicatoire Vers l'an 835, l'auteur de la Vie de Saint Angésilde rapporte que cet abbé avait donné à l'abbaye de Fontenelle 31 volumes, parmi lesquels on lit le titre de l'histoire par Josèphe, comme parmi les 49 qu'il avait donnés à une autre abbaye, on remarque l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe, la chronique du même auteur, et le traité d'arithmétique de Cassiodore. L'abbé de Fontenelle faisait alors bâtir exprès une tour pour y garder ses livres avec plus de sûreté : domum vero qua librorum copia conservaretur, quæ græce úpyos dicitur, ante refectorium collocavit, cujus tegulas clavis ferreis configi fecit. Petit-Radel, Recherches sur les bibliothèques, pp. 60 et 62. »

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