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qu'il avait hâte d'étouffer une querelle qui dégénérait en scandale, mais pour Rome et tout ce qui venait d'elle, il n'avait nulle affection de cœur. Cela se voit bien à un mot très-vif et très-sincère qui lui échappe à l'occasion des Evêques de Macédoine admis au concile. Ces prélats, jusqu'au dernier partage de l'empire, s'étaient considérés comme attachés pour la religion, aussi bien que pour la politique, à l'Occident, Théodose les invita néanmoins à prendre séance avec tous les évêques de sa province. Ils arrivaient « pleins de cette compassion un peu dédaigneuse que l'Occident, dans la ferme simplicité de la foi, éprouvait pour les querelles subtiles de l'Orient, et ils exprimèrent ce sentiment sans prendre assez garde de blesser leurs frères ». Ils nous apportaient, dit Grégoire, le souffle âpre de l'Occident, quo@VTEG ημîv έσTÉριóv Tε xai tpaxú (). Cet âpre souffle de l'Occident renversa en effet le vieillard, qui, pour échapper à l'envie, se retira dans la solitude et finit là sa vie active.

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Ces antipathies de doctrine et d'humeur si nettement déclarées ne pouvaient être favorables en Occident à l'étude du grec. Il s'y joignait encore la crainte trèslégitime d'entretenir, par l'hellénisme, les traditions du culte païen. Tout changement se fait par la longueur du temps. Quelque rapide que puisse paraître la diffusion du christianisme, il ne détrôna pas facilement la religion rivale. On a raconté l'histoire de ses progrès et celle de la décadence du paganisme (2). On y voit la longue résistance du culte ancien balancer longtemps les efforts des chrétiens. De très-grandes familles dans Rome persistaient dans leurs croyances; les Prétextat, les Symmaque en étaient les plus solides appuis. Si l'on voyait parfois quelques membres s'en détacher pour entrer dans l'église, ce n'était ni sans lutte, ni sans

(') S. Grég, de Naz. Carm. de vita sua v. 1802. De Broglie. 435. (2) Beugnot. Hist. de la dest. du pagan. en Occident.

un mouvement de scandale. Il ne tombait pas un temple d'idoles sans qu'il y eût protestation du côté des païens. On sait les longs débats auxquels a donné lieu l'abolition de l'autel de la Victoire. La légende s'est emparée de ces combats, elle les a transformés et sanctifiés presque toujours par la conversion des plus acharnés contradicteurs voués à la défense des vieilles religions. Telle est la discussion rapportée par les Bollandistes au 15 janvier (1), entre Alexandre, un saint évêque, qui avait ruiné un temple, et Rabula, un païen, qui lui en fait reproche. La scène est en Syrie, la dispute dure un jour et une nuit, et finit par la défaite de Rabula.

Ceux mêmes qui avaient passé dans le camp de Jésus-Christ, ne renonçaient pas toujours immédiatement à des pratiques païennes. Au IVe siècle, et plus tard, il y avait des chrétiens qui consultaient les devins, tandis que les partisans éclairés du polythéisme avaient depuis longtemps renoncé à ces folies (2). Saint Augustin fut détourné de cette habitude par les représentations d'un païen.

Beaucoup de sectateurs de Jésus juraient encore par les faux dieux, fériaient le cinquième jour dédié à Jupiter, prenaient part aux jeux, aux fêtes, aux festins sacrés des païens. Il n'était pas rare qu'on entendît des hymnes païens résonner dans les fêtes chrétiennes. On dansait devant les basiliques. Dans les églises mêmes, la tenue des chrétiens n'était pas toujours ce que réclamaient la sainteté de leurs mystères et la gravité de

(1) T. 1, p. 1019.

(2) Valentinien poursuivait la magie, mais il se piquait de respecter le culte public des païens, les pratiques augurales qui en faisaient partie. « Je ne confonds point, écrivait-il au Sénat, l'art des aruspices avec le crime des auteurs de maléfices, et je n'impute nullement à crime, ni cet art en lui-même, ni aucune des pratiques religieuses permises par nos prédécesseurs. J'en atteste les lois que j'ai données dès le début de mon empire, et par lesquelles j'ai accordé à chacun la faculté de suivre le culte dont son esprit est imbu. Ce n'est point l'art augural que j'interdis, mais l'usage nuisible qu'on en peut faire.» Cod. Théod. IX, t. 16, 1, 9. De Broglie. t. I, p. 249.

leur profession. Saint Augustin et Saint Ambroise se plaignent des éclats de rire qui troublent parfois les cérémonies, des disputes, des rixes qui éclatent pendant le sacrifice. Il y en avait d'assez mal avisés pour interpeller l'officiant, pour le presser d'en finir, pour le forcer de chanter suivant leur goût (1). Ces désordres affligeaient les évêques et scandalisaient les faibles. Saint Ambroise déclare que tel homme qui vient à l'église chrétien s'en retourne païen (2).

Les païens ne perdaient pas confiance; ils ne se croyaient pas vaincus à jamais. Ils comptaient sur un retour de faveur pour leurs opinions, ils en prédisaient la restauration : « Rediet quod erat antea,» disaientils (3). A la fin du quatrième siècle, le culte de Junon celui de Saturne et de Diane subsistaient en plusieurs lieux de l'Italie. Osiris avait de nombreux adorateurs, et il fallait détruire le Sérapeion, admirable monument de la magnificence des rois d'Egypte, pour être sûr que les païens ne se targueraient pas de l'éternité inviolable de leurs dieux. Des empereurs païens, comme Julien, auraient pu relever les autels proscrits; Attale remplaça sur les monnaies le Labarum de Constantin par l'image de la Victoire (4).

Dans les grandes calamités publiques on se retournait vers les dieux, qui avaient, disait-on, donné si longtemps la victoire à leurs adorateurs. Zosime nous dit, à propos d'Alaric marchant sur Rome, que la nécessité de sacrifier au Capitole et dans les autres temples était surtout proclamée par les Sénateurs païens : Totę ἑλληνίζουσι τῆς συγκλήτου, helléniser est devenu le synonyme d'être païen.

Presque tous les maîtres de la jeunesse, tous ceux

(1) Beugnot. 103, t. II.

(2) Ibid. 105.

(3) Ibid. 106.

(4) Beugnot. t. I, p. 64.

qui avaient quelque talent de parole, sophistes, rhéteurs, philosophes, étaient attachés aux vieilles religions. Ils avaient beaucoup d'autorité en Asie, ils en avaient un peu moins peut-être dans Rome, mais ils y étaient estimés, et leur enseignement entretenait l'attachement au culte du passé. Libanius disait, Rome possède des rhéteurs semblables aux plus célèbres (1). Ils n'étaient certainement pas chrétiens. Ce sont eux qui sont demeurés attachés les derniers à la religion des dieux de l'Olympe. Leur éloquence ne pouvait se passer de tout un attirail de figures, de souvenirs, d'images, d'invocations, qu'ils trouvaient dans le paganisme. Quel étrange discours prononça dans le Sénat Romain (377) un rhéteur grec venu de Constantinople, Thémistius? Pour louer Gratien, il composa avec le souvenir du banquet de Platon, un discours amoureux sur la beauté du prince, Ερωτικός (λόγος) ἢ Tερi xáλλous Baotλixos. Alcibiade, Socrate, Charmide, les souvenirs les plus hardis, les phrases les plus fades remplissent ce discours, et la péroraison n'est pas moins singulière que le panégyrique lui-même : « Te voici sous mes yeux, Rome, illustre cité, véritable mer de beauté... Je vois le séjour de ces lois saintes et révérées par le moyen desquelles Numa a uni cette ville au ciel. Grâce à vous, fortunés mortels, les dieux n'ont pas encore déserté la terre... Le temps est venu, illustres rejetons de Romulus, où, déposant la toge, vous devez revêtir la robe blanche, pure comme le siècle et comme l'empire qui commencent, célébrer des choeurs, remplir les places publiques de l'odeur des sacrifices, et couvrir de vos hommages l'objet de mes amours.... Et toi, ô père des dieux et des hommes, Jupiter, fondateur et gardien de Rome; Minerve, dont Jupiter est à la fois le père et la mère; Quirinus, divin tuteur de l'empire (1) Ep. 983, p. 460.

romain, faites que mes amours chérissent Rome, et que Rome, en retour les chérisse (1). "

Qu'on juge d'après cela l'enseignement des professeurs qui tenaient école à Rome, à Milan, à Bordeaux, à Trèves, à Toulouse, à Narbonne! Sous prétexte d'enseigner les belles-lettres, d'expliquer Homère, Hésiode, Aristote ou Platon, ne devaient-ils pas s'attacher à répandre dans les jeunes esprits les idées favorables à l'ancien culte. Tous leurs disciples n'étaient pas en état de résister à cette influence ou de s'y soustraire plus tard, comme Saint Augustin, qui fut le disciple de Thémistius (2), comme Saint Basile et Saint Jean-Chrysostome, qui reçurent les leçons de Libanius (3). N'y avait-il pas quelque danger à donner un de ces sophistes pour précepteur à des enfants destinés à monter sur le trône? Si Théodose-le-Grand confiait l'éducation de son fils Arcadius au Sophiste Thémistius, qui n'était pas chrétien, ne devait-on pas soupçonner cette éducation philosophique d'entretenir dans les âmes des dispositions trop hostiles aux dogmes nouveaux, et l'exemple de Julien, s'appliquant à détruire la religion du Christ, n'était-il pas bien fait pour éloigner de ces études? Quand, en Occident, on voyait Julien écrire en grec ses ouvrages les plus agressifs contre la mémoire de Constantin et les institutions chrétiennes, il y avait de quoi faire abhorrer le génie grec et la langue qui lui servait d'interprète.

De là, ces alternatives de faveur ou de persécution dont les écoles sont l'objet, tant à Rome qu'à Constantinople. Suivant la vivacité ou la tiédeur de leur foi, les empereurs protégent ou bannissent les rhéteurs. Valentinien Ier chasse de Rome tous les sophistes; il croit faire beaucoup d'en débarrasser la ville où siége (1) De Broglie. t. 1, p. 292. (2) Schoell. t. VI, p. 141. (3) Schoell. ibid. p. 162.

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