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M. Cusa a reconnu, outre la valeur de ces documents. pour l'histoire générale de la Sicile l'intérêt qu'ils offrent aux érudits et aux philologues pour l'étude de la littérature grecque pendant le moyen âge. C'est un champ tout nouveau qui s'ouvre à peine à l'activité des hommes laborieux. Tandis que certains savants cherchent dans ces contrats, témoins de la vie privée, des renseignements sur la condition des peuples qui jadis habitaient la Sicile, d'autres y suivent le développement, de la langue, et dans sa corruption même, jusque dans les solécismes dus à l'ignorance, ils saisissent le germe de l'idiome vulgaire qui se parle aujourd'hui dans la Grèce. Ainsi le philosophe et le philologue y recueillent des détails dignes de toute leur attention (1).

Dans le riche trésordes Grandes Archives de Palerme, fondées en 1864 par un décret du roi d'Italie, M. Cusa a choisi, pour en faire spécialement l'objet de ses études des diplômes arabes et grecs, Reprenant ainsi un travail qu'avait commencé Lascaris au XVe siècle, alors qu'il enseignait la littérature grecque à Messine, que Montfaucon, trois siècles plus tard (1708) avait illustré, par ses heureuses découvertes, que Tardia, Salvatore Morso et d'autres encore avaient poursuivi avec des chances et des succès divers, M. Cusa nous permet de voir de quel usage était la langue grecque dans la Sicile, comment elle se conservait encore au XIe siècle assez pure dans les écrits de quelques moines, tandis que le plus souvent elle se défigurait dans les mains de ceux mêmes qui auraient dû la préserver des mutilations de l'ignorance.

(1) P. XII. Documenti e raconti d'ogni genere, Carte logore et consuute scritte in greco barbaro, si traggon fuori ogni giorno in esame al filosofo, ed al filologo : e mentre il primo și afferra alle piccole notizie, che in sua mano bastino a spiegar lo svolgimento della vita de' popoli; l'altro vi șa leggere un altro svolgimento, quello della lingua, e nella stessa corruzione, sin nei solecismi, trova il germe del volgare greco odierno.

XXXI.

Jusqu'à l'époque des Croisades, nous n'avons pu signaler que des rapports souvent interrompus entre l'Occident et Constantinople; à partir de ces expéditions célèbres ils deviennent plus suivis, et les deux mondes un instant semblent se confondre. Ce fut surtout à partir du XIIIe siècle que l'Empire grec se vit, pour son malheur, devenir un objet de trop vif intérêt pour les princes croisés. La prise de Constantinople en 1204, la conquête, qui s'en suivit, des îles grecques et de la Morée, sont des faits aussi curieux qu'inattendus. On vit des aventuriers venus de la Flandre, de la Bourgogne et de la Champagne se partager un vaste et riche pays comme un navire désemparé battu par les vagues de la mer καθάπερ ὁλκάδα μεγάλην ἀνέμοις ἀγρίοις καὶ κύμασι θαλαττίοις συνειλημμένην (1).

A peine établis dans leurs nouveaux domaines, ces maîtres s'appliquèrent à faire régner partout les usages de leur pays. Ils ne se piquèrent point d'apprendre la langue des vaincus, ni de se conformer à leurs habitudes, au contraire ils leur imposèrent les leurs. Faire une France nouvelle dans l'ancien Empire grec, telle fut leur volonté, et ils purent croire y avoir réussi. Nous avons raconté ailleurs (2) comment l'empire grec, régi par les Assises du royaume de Jérusalem, devint une terre féodale. Les dignités de Connétable, de Maréchal, de grand-queux, de grand-échanson, de grand

(1) Nicéphore Gregoras, liv. I, c. 2.

(2) Voir nos études sur la littérature grecque moderne, 1 vol. Paris 1866.

panetier remplacèrent les titres Byzantins de protovestiaire, de grand-duc et de grand-domestique (').

Les lois de la chevalerie, ses jeux, ses principes et ses traditions devinrent bientôt familiers à la nation

grecque. Les romans de la France devinrent l'objet de l'imitation des écrivains de la Grèce. Le Vieux Chevalier, les Amours de Lybistros et de Rhodamné, de Bertrand et de Chrysantza, de Flore et de Blanchefleur, de Pierre de Provence et de Margarona, le récit des Malheurs de Bélisaire, celui des Aventures d'Alexandre-le-Grand, les Noces de Thésée et d'Emilie, sont là pour attester cette influence de notre littérature sur l'esprit des Grecs dans la Morée et dans les îles de l'Archipel. Le français se parlait partout dans le Péloponnèse. Raymond Muntaner y retrouvait la pureté parisienne. De jeunes grecs étaient envoyés en France, à Paris, dans un collége constantinopolitain, établi dans cette ville, à l'effet de les instruire aux belles manières et au beau langage des conquérants français. Le pape Honoré III pouvait donc écrire en toute vérité à la reine de France, en parlant de ces pays conquis : « Ibique noviter quasi Nova-Francia est creata (2).

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Il put se flatter aussi un moment que l'Eglise latine avait vaincu et remplacé l'Eglise grecque dans sa propre patrie. Le pape Innocent III ne tarda pas à comprendre de quelle utilité la conquête de Constantinople pouvait être pour le triomphe de la foi romaine, il ne négligea rien pour en tirer profit. Bien convaincu que les malheurs de la Grèce étaient la peine méritée de son hérésie,

() Imperiales magistratus et magisteria, sive palatii officia, ut Græci, vetere Græcorum Augustorum more, constituta vocant, et dignitate nominis latini, innovavit, imperiumque Constantinopolitanum aulæ francicæ instar. etiam informavit et descripsit Paulus Rhamnusius, de bello Constant. T. III, p. 142. Note de M. Jean Romanos dans l'étude dont il a fait précéder le travail de Charles Koph sur Gratianos Zorzès, év Kɛpxúpa 1870, p. 24.

(2) Buchon, Eclaircissements, etc, p. 19.

il conçut l'espérance de soumettre enfin l'Eglise d'Orient à la suprématie de Rome. Il donna ordre aussitôt aux évêques et aux abbés qui faisaient partie de l'expédition d'établir dans toutes les églises de Constantinople des clercs latins soumis à l'autorité du Saint-Siége et dévoués à la règle latine. Les conquérants obéirent aux intentions du pape, ils chassèrent de partout les pasteurs légitimes et ils donnèrent leurs siéges et leurs biens à des Occidentaux. Les moines hospitaliers de Saint-Jean, les chevaliers du Temple, ceux de l'Ordre Teutonique, les Bénédictins, les Frères Mineurs accoururent dans la Grèce et s'y abattirent comme sur une proie que le ciel leur avait destinée. Les chevaliers et les moines étaient possédés d'une égale ardeur de conquête. Introduits en Grèce dès l'an 1216, les Franciscains bâtirent de grands et riches couvents en Crète, en Eubée, à Patras, à Athènes, à Clarentza, à Zacynthe, à Céphalonie et dans beaucoup d'autres endroits. Ce fut une dure et longue persécution qui se déchaîna sur les prêtres grecs. Ceux qui ne voulaient pas se soumettre à l'Eglise latine perdaient leurs évêchés et leurs siéges, ils étaient jetés en prison, durement traités par le légat du pape Innocent, Pélage, à tel point que le Souverain Pontife justifiait les Grecs de repousser les latins comme des chiens, puisqu'ils ne trouvaient en eux que trahison et œuvres de ténèbres (1).

Dans cette première période d'occupation tyrannique et violente, il ne pouvait y avoir que des sentiments de

(1) Lettre VI d'Innocent au marquis Boniface, Hurter, II, p. 357, citée par par Jean Romanos, p 40. (V. plus haut.) Ηνάγκασε καὶ γὰρ (ὁ λεγάτος τοῦ Πάπα Πελάγιος) τοὺς πάντας τῇ τῆς πρεσβυτέρας Ρώμης ὑποκύψαι ὑποταγῇ· ἐντεῦθεν καθείργνυντο μοναχοὶ, ἱερεῖς ἐδεσμοῦντο καὶ ναὸς ἅπας ἐκέκλειστο· καὶ ἦν ἐν ἀυτῷ δυοῖν θάτερον, ἤ ὁμολογῆσαι τὸν Πάπαν πρῶτον ἀρχιερέα καὶ τούτου τὴν μνήμην ἐν ἱεροτελεστίαις ποιεῖν, ἤ θάνατον εἶναι τῷ μὴ διαπραξαμένῳ τοῦτο τὸ ἐπιτίμιον. Γεωρ. Ακροπολίτης, 17.

haine et de défiance entre les deux peuples, les Grecs reprochaient aux Francs leur fanfaronnerie:

Πρίγκιππα, φαίνεσαι καλὰ ὅτι Φράγκος ὑπάρχεις

Διατὶ ἔχεις τὴν ἀλαζονειαν, ὡς τό ἔχουσιν οἱ Φράγκοι (').

Les Francs, de leur côté, reprochaient aux Grecs ou Romains leur mauvaise foi:

Ποτὲ Ρωμαῖον μὴ εμπιστευθῆς δι ̓ ὅσα καὶ σοῦ ὀμνύει.
Ὅταν θέλῃ καὶ βούλεται τοῦ νὰ σὲ ἀπεργώσῃ,
Τότε σὲ κάμνει σύντεκνον ἢ ἀδελφοποιτόν του,

Η κάμνει σε συμπέθερον διὰ νὰ σ ̓ ἐξολοθρευση.

Pourtant avec les années les relations changèrent. Les seigneurs Francs nés sur le terrain de la conquête oublièrent les noms qu'ils avaient apportés d'Europe. Les Charpigny s'appelèrent seigneurs de Vostiza, ceux des Bruyères princes de Charytena, les seigneurs de Neuilly devinrent seigneurs de Passavant, les La Trémoille seigneurs de Chalantriza, les seigneurs de Rosières prirent le nom d'Akova, les Nivelet celui de Gherakium, en Laconie. On sait quelles mœurs nouvelles montrèrent aux Grecs et aux Francs les fils issus des alliances conclues avec les femmes grecques, et comment ils prirent le nom de Gasmüles: Γασμοῦλοι, οὕς ἂν ὁ Ρωμαῖος διγενεῖς εἴποι, εκ Ρωμαϊκῶν γυναικῶν γεννηθέντες τοῖς Ιταλοῖς (3).

Ce changement dans les relations sociales se fit, surtout sentir dans la langue. Nous avons vu les Occidentaux imposer d'abord l'usage du français ou du latin à leurs nouveaux sujets. Ils ne désespérérent pas dès le début de latiniser la Grèce. Ils virent bientôt que leurs efforts étaient inutiles, et, avec les années, ils se plièrent

(1) Buchon, Livre de la Conquête, 2978-79.

(2) Пaxvuép. E'. 30, cité par M. J. Romanos, ibid. p. 53.

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