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sentent tous de son érudition hellénique, nous ne nous arrêtons pas sur ses commentaires de Porphyre, d'Aristote; nous avons surabondamment prouvé que, depuis Cicéron, il ne s'était pas rencontré un homme si complétement versé dans la connaissance des livres grecs, si capable de les traduire et de les entendre. Ses livres n'ont pas été la moins précieuse de toutes les écoles pour le moyen âge. A partir du XI° siècle, la Scolastique n'aura pas d'autre autorité. Si l'on peut croire que le Boèce cité dans Saint Thomas et dans Aventinus n'est pas le même que le Boèce patricien romain et contemporain de Cassiodore (1), il n'en est pas moins vrai que celui dont nous parlons ici a été le maître dialecticien grâce auquel le moyen âge a connu d'abord Aristote dans ses traités de logique. L'Aristoteles logicus, qui a fait délirer toute l'école, n'est arrivé à nos docteurs que par lui, ainsi que le perihermenias dont la signification et l'origine grecques échappaient certainement à nos écoliers du parvis Notre-Dame et de la montagne Sainte-Geneviève.

Le moyen âge, il faut le reconnaître, n'a pas été ingrat à l'égard de Boèce. Il s'est fait dans ces temps-là, un concert de louanges sur son nom. Bien longtemps avant que Jean de Meung, à la requête de Philippe-leBel, eut donné une version française du traité de la Consolation, un auteur inconnu avait fait une longue paraphrase rimée du livre de Boèce. Ce poème en langue provençale, dont l'abbé Leboeuf a retrouvé deux cent cinquante-sept vers dans un manuscrit du X° siècle, provenant de l'antique abbaye de Fleury, conserve dans le passage suivant un souvenir de la langue grecque.

(1) Recherches sur les traductions d'Aristote par Amable Jourdain, nou. velle édition. 1843.

On y décrit le costume de la philosophie (c'est la traduction de Boèce lui-même).

El vestement, en l'or qui es repres,
Desoz avia escript un pei II grezesc;

Zo signifiga la vita qui inter❜es.

Sobre la schapla escript avia un tei ✪ grezesc :

Zo signifiga de cel la dreita lei.

Antr' ellas doas depent sun l'eschalo;

D'aur' no sun ges, mas nuallor no sun.....

Mas cil qui poden montar al al cor (')...

Aimon vante la science de Boèce dans les lettres profanes, et, pour lui donner le mérite d'avoir été catholique, il lui attribue des traités de théologie qu'il n'a point composés (*).

Sigisbert, de Gembloux, le compare et même le préfère à tous les philosophes séculiers et ecclésiastiques. Les profanes peuvent le louer de ses traductions et de ses commentaires, les ecclésiastiques lui doivent leurs éloges pour les traités de théologie: Boethius, vir consularis, conferendus vel præferendus philosophis et secularibus et ecclesiasticis, quia nos ambiguos esse fecit, an inter seculares, an inter ecclesiasticos scriptores fuerit illustrior (3).

(1) L. judicis LXVI. Le vêtement dans le bord qui est replié dessous avait écrit un II grec; cela signifie la vie qui entière est. Sur la chape écrit avait un grec; cela signifie du ciel la droite loi. Entre elles deux dépeints sont les échelons: d'or ne sont point, mais moins valant ne sont. .... Mais ceux qui peuvent monter au, au cœur.....

(2) Qui videlicet Boethius quam disertus fuerit in litteris secularibus, quamque fuerit catholicus ex ejus comprobatur codicibus. Testatur hoc Arithmetica, nec non dialectica, ipsa etiam omnium animis gratissima musica ab eo translata, et Latinorum jamdudum desiderantium auribus delectabiliter infusa. Porro ejusdem de Sanctæ Trinitatis consubstantialitate Liber liquido ostendit quam eximius suo, si licuisset, tempore Sanctæ Ecclesiæ colonus exstitisset. De scriptoribus ecclesiasticis ap. Bibl. ecclesiast. J. Alb. Fabricii. Hamburgi, 1719, liv. IV, c. 37. Voir Jourdain, Recherches sur les traductions d'Aristote, p. 55 et 56.

(3) Recueil des Historiens des Gaules et de la France, par D. Bouquet, t. III. p. 45.

Dante qui a recueilli et consacré toutes les légendes du moyen âge, n'hésite pas à mettre Boèce dans les sphères lumineuses de son Paradis, avec Albert-leGrand, Saint Thomas d'Aquin, Denis l'aréopagite, Salomon, Pierre Lombard, Orose, Isidore, Beda, Sigier. L'âme sainte, c'est ainsi qu'il désigne Boèce, goûte la paix et vit dans la lumière en récompense de son martyre, tandis que le corps repose à Pavie dans l'église dite le Ciel d'Or. C'est Saint Thomas qui parle :

Per videre ogni ben dentro vi gode
L'anima santa, che'l mondo fallace
Fa manifesto a chi di lei ben ode;

Lo corpo, ond'ella fu cacciata, giace
Giuso in Cieldauro, ed essa da martiro
E da esilio, venne a questa pace (1).

Ainsi le moyen âge se montrait reconnaissant envers la mémoire de Boèce de la peine qu'il avait prise de lui ouvrir les trésors de la science grecque. Il savait bien lui-même quel service il rendait à son temps. On eût dit qu'il prévoyait les obscures ténèbres dont ces écrits grecs allaient être enveloppés. Quoiqu'il rendît justice aux latins qui avaient consacré leurs travaux à l'étude des mêmes sciences, il ne trouvait en eux ni le grand savoir, ni la juste méthode, ni l'ordre lumineux; et il venait en aide à l'insuffisance des docteurs de l'Occident. Il avait donc conçu le projet de faire passer dans la langue latine toutes les productions de la sagesse des grecs, attentif à rendre fidèlement le sens de l'original, plutôt que la grâce du style. Voici ce qu'il dit dans son commentaire du livre de l'Interprétation: «Mihi autem, si potentior divinitatis annuerit favor, hæc fixa sententia est, ut quanquam fuerint præclara ingenia, quorum labor ac studium multa de his quæ nunc quoque tractamus, latinæ linguæ contulerit, non tamen quemdam quodam modo ordinem filumque disponendo,

(') Parad., X, v. 125.

disciplinarum gradus ediderunt; ego omne Aristotelis opus quodcumque in manus venerit, in romanum stylum vertens... Hæc si vita otiumque supererit, cum multa hujus operis utilitate nec non etiam laude contenderim, qua in re faveant oportet, quos nulla coquit invidia» (1).

Il ne s'est trompé ni dans le service qu'il prétendait rendre, ni dans la gloire qu'il en attendait. Son livre de la Consolation n'est pas un témoignage moins manifeste de son érudition grecque. On peut voir dans les notes de M. L. Judicis quels nombreux passages il emprunte à Homère, à Platon, en sorte que dans son œuvre la plus originale, dans celle que le moyen âge a surtout lue et admirée, il faisait pénétrer par son style latin, dans les intelligences un reflet de la beauté grecque, le charme de la poésie, et la sublimité des plus belles conceptions de l'Académie. Sa vie fut douce jusqu'au dernier soupir, consacrée tout entière aux lectures grecques. Il a bien mérité de passer pour être en Occident le plus grand et le plus glorieux initiateur des esprits; et, s'il est vrai qu'il s'attira les rigueurs de Théodoric pour avoir souhaité le rétablissement de la liberté romaine, et comploté avec le sénat pour s'entendre avec l'empereur Justin, sa mort confirmait son hellénisme. Il fut décapité vers la fin de l'année 525. « Si au début de sa carrière, il avait pu espérer quelque bien du gouvernement des Goths et accepter la faveur du grand roi qui les commandait, il était tristement revenu de cette illusion, et lorsqu'il les vit de plus près, les Goths ne furent plus pour lui que des barbares sans foi et des voleurs publics » (*). Il n'attendait rien que des malheurs du règne d'Athalaric gou

(') Anicii Manlii Severini Boethii Opera omnia, Basileæ, 1570. in-fol. t. 1. p. 318.

(2) M. Judicis. p. XXXIX.

verné par sa mère Amalasonte, ou par son oncle Théodat un barbare frotté d'hellénisme plus pédant que savant, fourbe et bassement cruel, haï des Romains pour son avarice, méprisé des Goths pour sa lâcheté." La mort de Boèce et celle de Symmaque son beau-père, jetaient un triste voile sur cette royauté des Goths à laquelle la restauration des lettres semble d'abord donner un glorieux éclat.

XIX.

Après les travaux de Boèce on n'ose plus parler de l'hellénisme de Sidoine Apollinaire ou de celui de Fortunat. Il n'est pas douteux que ces deux hommes, le premier surtout, ne connussent le grec, mais ils inclinent visiblement à n'en faire qu'une parure frivole de leur talent. Sidoine Apollinaire fait grand étalage de mots grecs qu'il introduit dans son texte latin; les diverses matières qu'il traite supposent un emploi fréquent de livres venus de la Grèce; cependant au milieu des Huns, des Hérules, des Goths et des Alains, il a bien à faire s'il veut maintenir sa latinité. Fortunat, qui est en rapport avec toutes sortes de princes barbares, ne peut guère exiger d'eux qu'ils aillent dans leurs études au-delà du latin. N'était-ce pas beaucoup, pour un Frank comme Charibert d'avoir appris le latin. Fortunat pouvait-il imaginer un plus bel éloge que celui-ci :

Cum sis progenitus clara de gente Sygamber,
Floret in eloquio lingua latina tuo.

Qualis es in propria docto sermone loquela
Qui nos Romanos vincis in eloquio (') !

(1) Venantii Fortunati opera. lib. VI. c. IV.

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