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compatriote. C'est ce qui a trompé le docteur Blair.

Au reste, c'est une chose fort commune en Angleterre, que tous ces manuscrits retrouvés. On a yu dernièrement une tragédie de Shakespeare, et ce qui est plus extraordinaire, des ballades du temps de Chaucer, si parfaitement imitées pour le style, le parchemin et les caractères antiques, que tout le monde s'y est mépris. Déjà mille volumes se préparaient pour développer les beautés, et prouver l'authenticité de ces merveilleux ouvrages, lorsqu'on surprit l'éditeur écrivant et composant lui-même ces poëmes saxons. Les admirateurs en furent quittes pour rire et pour jeter leurs commentaires au feu: mais je ne sais si le jeune homme qui s'était exercé dans cet art singulier, ne s'est point brûlé la cervelle de désespoir.

Cependant il est certain qu'il existe d'anciens poëmes qui portent le nom d'Ossian. Ils sont Irlandais ou Erses d'origine. C'est l'ouvrage de quelques moines, du treizième siècle. Fingal est un géant, qui ne fait qu'une enjambée d'Ecosse en Irlande; et les héros vont en terre

sainte, pour expier les meurtres qu'ils ont commis.

Et, pour dire la vérité, il est même incroyable qu'on ait pu se tromper sur l'auteur des poëmes d'Ossian. L'homme du dix-huitième siècle y perce de toutes parts. Je n'en veux pour exemple que l'apostrophe du bardé au soleil. "O soleil, lui dit-il, d'où viens-tu, où vas-tu, ne tomberas tu point un jour", etc. *

Madame de Staël, qui connaît si bien l'histoire de l'entendement humain, verra qu'il y a là dedans tant d'idées complexes, sous les rapports moraux, physiques et métaphysiques, qu'on ne peut presque sans absurdité, les attribuer à un sauvage. En outre, les notions les plus abstraites du temps, de la durée, de l'étendue, se retrouvent à chaque page d'Ossian. J'ai vécu parmi les sauvages de l'Amérique, et j'ai remarqué qu'ils parlent souvent des temps écoulés, mais jamais des temps à naître. Quelques grains de poussière au fond du tombeau, leur restent

* J'écris de mémoire, et je puis me tromper sur quelques mots; mais c'est le sens, et cela suffit.

en témoignage de la vie, dans le néant du passé : mais qui peut leur indiquer l'existence dans le néant de l'avenir? Cette anticipation du futur, qui nous est si familière est néanmoins une des plus fortes abstractions où la pensée de l'homme soit arrivée. Heureux toutefois le sauvage qui ne sait pas, comme nous, que la douleur est suivie de la douleur, et dont l'âme, sans souvenir et sans prévoyance, ne concentre pas en ellemême, par une sorte d'éternité douloureuse, le passé, le présent et l'avenir!

Mais ce qui prouve incontestablement que M. Macpherson est l'auteur des poëmes d'Ossian c'est la perfection, où le beau idéal de la morale, dans ces poëmes. Ceci mérite quelque développement. Le beau idéal est né de la société. Les hommes, très-près de la nature ne le connaissent pas. Ils se contentent, dans leurs chansons, de peindre exactement ce qu'ils voient. Mais comme ils vivent au milieu des déserts, leurs tableaux sont toujours grands et poétiques. Voilà pourquoi vous ne trouvez point de mauvais goût dans leurs compositions. Mais aussi elles

sont monotones, et les sentimens qu'ils expriment ne vont pas jusqu'à l'héroïsme.

Le siècle d'Homère s'éloignait déjà de ces premiers temps. Qu'un sauvage perce un chevreuil de sa flèche, qu'il le dépouille au milieu de toutes les forêts; qu'il étende la victime sur les charbons du tronc d'un chêne, tout est noble dans cette action. Mais, dans la tente d'Achille, il y a déjà des bassins, des broches, des couteaux. Un instrument de plus, et Homère tombait dans la bassesse des descriptions allemandes, ou bien il fallait qu'il cherchât le beau idéal physique, en commençant à cacher. Remarquez bien ceci. L'explication suivante va tout éclaircir.

A mesure que la société multiplia les besoins et les commodités de la vie, les poètes apprirent qu'ils ne devaient plus, comme par le passé, peindre tout aux yeux, mais voiler certaines parties du tableau. Ce premier pas fait, ils virent, encore qu'ils fallait choisir; ensuite que la chose choisie était susceptible d'une forme plus belle ou d'un plus bel effet, dans telle ou telle

position. Toujours cachant et choisissant, retranchant ou ajoutant, ils se trouvèrent peu-àpeu dans des formes qui n'étaient plus naturelles, mais qui étaient plus belles que celles de la nature; et les artistes appelèrent ces formes le beau idéal. On peut donc définir le beau idéal : l'art de choisir et de cacher:

Le beau idéal moral se forma comme le beau idéal physique. On déroba à la vue certains mouvemens de l'âme, car l'âme a ses honteux besoins et ses bassesses comme le corps. Et je né puis m'empêcher de remarquer que l'homme est le seul de tous les êtres vivans qui soit susceptible d'être réprésenté plus parfait que nature, et comme approchant de la divinité. On ne s'a. vise pas de peindre le béau idéal d'un aigle, d'un lion, etc.. Si j'osais m'élever jusqu'au raisonnement, mon cher ami, je vous dirais que j'entrevois ici une grande pensée de l'auteur des êtres, et une preuve de notre immortalité.

La société où la morale atteignit le plus vite tout son développement, dut atteindre le plus tôt au beau idéal des caractères. Or, c'est ce qui distingue éminemment les sociétés for

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