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c'est la beauté des sentimens qui fait la beauté du style. Quand l'âme est élevée, les paroles tombent d'en haut, et l'expression noble suit toujours la noble pensée. Horace et le Stagiryte n'apprennent pas tout l'art : il y a des délicatesses et des mystères de langage qui ne peuvent être révélés à l'écrivain que par la probité de son cœur, et que n'enseignent point les préceptes de la rhétorique.

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DISCOURS

DE M. DE CHATEAUBRIAND*

Pour sa Réception à l'Institut Impérial de France. LORSQUE Milton publia le Paradis Perdu, aucune voix ne s'éleva dans les trois royaumes de la Grande-Bretagne, pour louer un ouvrage qui malgré de nombreux défauts n'en est pas moins un des plus beaux chefs-d'œuvre de l'esprit humain. L'Homère anglais mourut oublié, et ses contemporains laissèrent à l'avenir le soin d'immortaliser le chantre d'Eden.

Est-ce là une des grandes injustices litté

cesseur.

* M. de Châteaubriand fut élu membre de l'Institut de France, l'an 1811, à la place de M. Chénier, poète assez connu par la part qu'il a pris à la révolution française. Selon les usages, le récipiendaire devait faire l'éloge de son prédéLes amis de M. Chénier, sachaut combien la mémoire de M. Chénier avait à redouter de l'éloquence de M. de Châteaubriand, insistèrent sur ce que le récipiendaire communiquât d'avance son discours à l'Institut: on le trouva peu honorable pour le défunt, et M. de Châteaubriand ne fut pas reçu: mais tout Paris copia son discours qui est resté inédit. Note de l'Editeur.

raires dont presque tous les siècles offrent des exemples? Non. A peine échappés aux guerres civiles, les Anglais ne purent se résoudre à célé⚫ brer la mémoire d'un homme qui se fit remarquer par l'ardeur de ses opinions dans un temps de calamités. "Que réserverons-nous, direntils, à la tombe de celui qui se dévoue au salut de l'état, si nous prodiguons les honneurs aux cendres du citoyen qui peut, tout au plus, demander une généreuse indulgence? La pos térité rendra justice aux ouvrages de Milton; mais nous, nous devons une leçon à nos fils; nous devons leur apprendre par notre silence, que les talens sont un présent funeste quand ils s'allient aux passions, et qu'il vaut mieux se condamner à l'obscurité que se rendre célèbre par les malheurs de sa patrie."

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Imiterai-je, Messieurs, ce mémorable exemple, ou vous parlerai-je de la personne et des ouvrages de M. Chénier? Pour concilier vos usages et vos opinions, je crois devoir prendre un juste milieu entre un silence absolu et un examen approfondi. Mais quelles que soient mes paroles, aucun fiel n'empoisonnera ce dis

Cours: si vous retrouvez en moi la franchise de Duclos, mon compatriote, j'espère vous prouver aussi que j'ai la même loyauté.

Il eût été curieux, sans doute, de voir ce qu'un homme dans ma position, avec mes opi-. nions et mes principes pourrait dire de l'homme dont j'occupe aujourd'hui la place; il serait intéressant d'examiner l'influence des révolutions dans les lettres, de montrer comment les systèmes peuvent égarer le talent, et jetter dans des routes trompeuses, qui semblent le conduire à la renommée, et n'aboutisssent qu'à l'oubli. Si Milton, malgré les égaremens politiques, a laissé des ouvrages que la postérité admire, c'est que Milton, sans être revenu de ses erreurs, se retira d'une société qui se retirait de lui, pour chercher dans la religion l'adoucissement de ses maux et la source de sa gloire. Privé de la lumière du ciel, il se créa une nouvelle terre, un nouveau soleil, et sortit, pour ainsi dire, du monde, où il n'avait vu que des malheurs et des crimes. Il plaça dans les berceaux d'Eden, cette innocence primitive, cette félicité sainte qui régnèrent sous les tentes de Jacob et de Rachel, et il mit aux

enfers les tourmens, les passions, les remords de ces hommes dont il avait partagé les fureurs.

Malheureusement les ouvrages de M. Ché

nier, quoiqu'on y remarque le germe d'un talent distingué, ne brillent ni par cette simplicité, ni par cette majesté sublime. L'auteur se distinguait par un esprit entièrement classique; nul ne connaissait mieux les principes de la littérature ancienne et moderne; théâtre, éloquence, histoire, critique, satyre, il a tout embrassé; mais ses écrits portent l'empreinte des jours désastrueux qui les ont vu naître. Trop souvent dictés par l'esprit de parti, ils ont été applaudis par les factions.

Séparerai-je dans les ouvrages de mon prédécesseur, ce qui a déjà passé, comme nos dis cordes, d'avec ce qui restera peut-être comme notre gloire? Ici se trouvent mêlés et confondus les intérêts de la société et les intérêts de la litté rature; je ne puis assez oublier les uns pour m'occuper uniquement des autres. Alors, Messieurs, je me suis trouvé obligé de me taire ou d'agiter des questions politiques.

Il y a des personnes qui voudraient faire

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