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et de Solon par sa mère. Xénophon était un des premiers capitaines de son siècle; et depuis ce temps les lettres furent tellement honorées et devinrent si bien la marque des gens de qualité, que le nom d'idiot, qui ne signifie en grec qu'un particulier, se prit pour un ignorant et un homme mal élevé. Les cours des rois d'Egypte, de Syrie et de Macédoine, successeurs d'Alexandre, étaient remplis de poètes, de grammairiens et de philosophes. Aussi est-il fort raisonnable, en quelque pays que ce soit, que ceux-ci s'appliquent aux sciences, qui ont le plus d'esprit et de politesse; que leur fortune délivre du soin des nécessités de la vie, ou qui, étant appelés aux plus grandes affaires, ont plus d'occasion d'être utiles à tous les autres, et plus de besoin d'étendre leur esprit et leurs connaissances.

"Ce qu'il y a de singulier, c'est que Fleury, né dans un rang obscur, regarde les lettres comme devant être l'apanage des conditions élevées, et que M. de Châteaubriand, dont le nom appartient à la plus antique noblesse, semble vouloir les rejetter dans les classes inférieures de la société. Serait-ce en lui le reste d'un préjugé d'enfance, dont les meilleurs esprits conservent toujours

quelques traces? Se rappellerait-il le temps où des hobereaux, vivant dans leurs donjons, méprisaient un gentilhomme, qui, au lieu de chasser, cultivait les lettres?

"Ce ridicule, que nos poètes comiques ont fait ressortir, n'a jamais été général. L'amour des lettres a toujours distingué les chefs de l'état. C'est même aux noms les plus illustres que renonte l'origine de notre littérature. Les premiers troubadours étaient de preux chevaliers et des princes; c'étaient Guillaume duc d'Aquitaine, Thibaut, comte de Champagne; Louis, duc d'Orléans; René, comte de Provence, et Gaston de Foix, souverain du Béarn. Toute la maison de Valois se fit remarquer par le goût des lettres et des beaux-arts. Il fut également l'apanage de la maison de Foix; et la sœur de Lautrec, qui était de cette famille, la célèbre comtesse de Châteaubriand, a peut-être porté dans celle de son mari cet amour des lettres qui y est devenu héréditaire. Fléchier fait l'éloge de Mme. de Montausier, qui, "née de l'ancienne maison de Châteaubriand, et devenue veuve, contenant sous les lois d'une austère vertu et d'une exacte modestie, une grande beauté et une florissante

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jeunesse, sacrifia tout le repos de sa vie à l'éducation de ses enfans." Ce fut elle qui forma ce Montausier qui mérita de partager avec Bossuet l'honneur d'élever un roi. Etait-ce à l'auteur du Génie du Christianisme, à dédaigner cette noble partie de son héritage?

"Qui de nous, en lisant de Thou, Sully, le cardinal de Retz, la Rochefoucauld, Malherbe, Fénélon, Montesquieu, Malesherbes et le vieux Montaigne, s'est jamais avisé de se rappeler que l'origine de leurs maisons se perdait dans la nuit des temps? Nous leur tenons compte de ce qu'ils vivent après eux et non de ce que leurs ancêtres ont vécu avant eux. J'ose assurer que la postérité pourra très bien ignorer qu'il a existé un Châteaubriand dans le conseil du sage Charles V et l'autre dans l'armée de Henri IV; mais elle n'oubliera pas l'auteur du Génie du Christianisme.

"J'espère que M. de Châteaubriand me pardonnera d'avoir rompu contre lui une lance en l'honneur des lettres, et qu'il m'excusera si, malgré les us de la chevalerie, je ne relève pas visière de mon casque."

la

A cette lettre M. de Châteaubriand répondit par le morceau suivant sur les Gens de Lettres.

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DES GENS DE LETTRES.

LA Défense du Génie du Christianisme * est jusqu'à présent la seule réponse que j'aye faite à toutes les critiques dont on a bien voulu m'ho⚫ norer. J'ai le bonheur ou le malheur de rencontrer mon nom assez souvent dans des ouvrages polémiques, des pamphlets, des satires. Quand la critique est juste, je me corrige; quand le mot est plaisant, je ris; quand il est grossier, je l'oublie. Un nouvel ennemi vient de descendre dans la lice. C'est un chevalier béarnais. Chose assez singulière, ce chevalier m'accuse de préjugés gothiques et de mépris pour les lettres! J'avoue que je n'entends pas parler de sang-froid de chevalerie, et quand il est question de tournois, de défis, de castilles, de pas d'armes, je me mettrais volontiers comme le seigneur don Quichotte à courir les champs pour réparer les torts. Je me rends donc à l'appel

* L'Editeur espère que le lecteur ne sera pas fâché de trouver cette Défense à la fin de ce recueil.

de mon adversaire. Cependant je pourrais refuser de faire avec lui le coup de lance, puisqu'il n'a pas déclaré son nom, ni haussé la visière de son casque après le premier assaut; mais comme il a observé religieusement les autres lois de la jouté, en évitant avec soin de frapper à la téle et au cœur, je le tiens pour loyal chevalier, et je relève le gant.

Cependant quel est le sujet de notre querelle ? Allons-nous nous battre, comme c'est assez l'asage entre les preux, sans savoir pourquoi? Je veux bien soutenir que la dame de mon cœur est incomparablement plus belle que celle de mon adversaire. Mais si par hasard nous servions tous deux la même dame ? C'est en effet notre Je suis au fond du même avis, ou plutôt de même amour que le chevalier béarnais; et comme lui, je déclare atteint de félonie quiconque manque de respect pour les muses.

aventure.

Changeons de langage, et venons au fait. J'ose dire que le critique qui m'attaque avec tant de goût, de savoir et de politesse, mais peut-être avec un peu d'humeur, n'a pas bien compris ma pensée.

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