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tesse qui ne s'est jamais effacée. Tous les liens qui attachent à la vie étant brisés à la fois, il ne resta plus que Dieu pour espérance, et les déserts pour refuge. Comme au temps du déluge, les hommes se sauvèrent sur le sommet des montagnes, emportant avec eux les débris des arts et de la civilisation. Les solitudes se remplirent d'anachorètes qui, vêtus de feuilles de palmier, se dévouaient à des pénitences sans fin, pour fléchir la colère céleste. De toutes parts s'élevèrent des couvens, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde, et des âmes qui aimaient mieux ignorer certains sentimens d'existence, que de s'exposer à les voir cruellement trahis. Une prodigieuse mélancolie dut être le fruit de cette vie monastique; car la mélancolie s'engendre du vague des passions, lorsque ces passions sans objet, se consument d'elles-mêmes dans un cœur solitaire.

Ce sentiment s'accrut encore par les règles qu'on adopta dans la plupart des communautés. Là, des religieux bêchaient leurs tombeaux, à la lueur de la lune, dans les cimetières de leurs cloîtres; ici, ils n'avaient pour lit

qu'un cercueil: plusieurs erraient, comme des ombres, sur les débris de Memphis et de Babylone, accompagnés par des lions qu'ils avaient apprivoisés au son de la harpe de David. Les uns se condamnaient à un perpétuel silence; les autres répétaient, dans un éternel cantique, ou les soupirs de Job, ou les plaintes de Jérémie, ou les pénitences du roi prophète. Enfin les monastères étaient bâtis dans les sites les plus sauvages: on les trouvait dispersés sur les cimes du Liban, au milieu des sables de l'Egypte, dans l'épaisseur des forêts des Gaules, et sur les grèves des mers Britanniques. Oh! comme ils devaient être tristes, les tintemens de la cloche religieuse qui, dans le calme des nuits, appelaient les vestales aux veilles et aux prières, et se mêlaient, sous les voûtes du temple, aux derniers sons des cantiques et aux faibles bruissemens des flots lointains! Combien elles étaient profondes les méditations du solitaire qui, à travers les barreaux de sa fenêtre, rêvait à l'aspect de la mer, peut-être agitée par l'orage! la tempête sur les flots! le calme dans sa retraite des hommes brisés sur des écueils au pied de l'asile de la paix!

l'infini de l'autre côté du mur d'une cellule, de même qu'il n'y a que la pierre du tombeau entre l'éternité et la vie!-Toutes ces diverses puissances du malheur, de la religion, des souvenirs, des mœurs, des scènes de la nature, se réunirent, pour faire, du génie chrétien, le génie même de la mélancolie.

Il me paraît donc inutile d'avoir recours aux barbares du nord, pour expliquer ce caractère de tristesse que Madame de Staël trouve particulièrement dans la littérature anglaise et germanique, et qui pourtant n'est pas moins remarquable chez les maîtres de l'école française. Ni l'Angleterre, ni l'Allemagne, n'a produit Pascal et Bossuet, ces deux grands modèles de la mélancolie en sentimens et en pensées. Mais Ossian, mon cher ami, n'est-il pas la grande fontaine du Nord, où tous les bardes se sont enivrés de mélancolie, de même que les anciens se peignaient Homère sous la figure d'un grand fleuve, où tous les petits fleuves venaient remplir leurs urnes ? J'avoue que cette idée de Madame de Staël me plaît fort. J'aime à me représenter ces deux aveugles; l'un, sur la cime d'une mon

tagne d'Ecosse, la tête chauve, la barbe humide, laharpe à la main, et dictant ses lois, du milieu des brouillards, à tout le peuple poétique de la Germanie: l'autre assis sur le sommet du Pinde, environné des muses qui tiennent sa lyre, élevant sont front couronné sous le beau ciel de la Grèce et gouvernant, avec un sceptre orné de laurier, la patrie du Tasse et de Racine.

"Vous abandonnez donc ma cause!" allez vous vous écrier ici. Sans doute, mon cher ami mais il faut que je vous en dise la raison secrète : c'est qu'Ossian lui-même est Chrétien. Ossian Chrétien! Convenez que je suis heureux d'avoir converti ce barde, et qu'en le faisant entrer dans les rangs de la religion, j'enlève un des premiers héros à l'âge de la mélancolie.

Il n'y a plus que les étrangers qui soient encore dupes d'Ossian. Toute l'Angleterre est convaincue que les poëmes qui portent ce nom, sont l'ouvrage de M. Macpherson lui-même. J'ai été long-temps trompé par cet ingénieux mensonge enthousiaste d'Ossian, comme un jeune homme que j'étais alors, il m'a fallu passer plusieurs années à Londres parmi les gens de lettres

pour être entièrement désabusé. Mais enfin je p'ai pu résister à la conviction, et les palais de Fingal se sont évanouis pour moi, comme beaucoup d'autres songes. Vous connaissez toute l'ancienne querelle du docteur Johnson et du traducteur supposé du barde Caledonien. M. Macpherson, poussé à bout, ne put jamais montrer le manuscrit de Fingal, dont il avait fait une histoire ridicule, prétendant qu'il l'avait trouvé dans un vieux coffre, chez un paysan: que ce manuscrit était en papier et en caractères ru niques. Or Johnson démontra que ni le papier, ni l'alphabet runique n'étaient en usage en Ecosse à l'époque fixée par M. Macpherson. Quant au texte qu'on voit maintenant imprimé avec quel. ques poëmes de Smith, où à celui qu'on peut imprimer encore,* on sait que les poëmes d'Ossian ont été traduits de l'Anglais dans la langue calédonienne; car plusieurs montagnards écossais sont devenus complices de la fraude de leur

* Quelques journaux Anglais ont dit, et des journaux Français ont répété que le texte véritable d'Ossian allait enfin paraître; mais ce ne peut être que la version écossaise faite sur le texte même de Macpherson.

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