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SUR L'HISTOIRE DE LA VIE DE

JÉSUS-CHRIST.

PAR LE PÈRE DE LIGNY.

L'HISTOIRE de la vie de Jésus-Christ est un des derniers ouvrages que nous devons à cette société célèbré dont presque tous les membres étaient des hommes de lettres distingués; le P. de Ligny, né à Amiens en 1710, survécut à la destruction de son ordre, et prolongea jusqu'en 1783 une carrière commencée au temps des malheurs de Louis XIV, et finie à l'époque des désastres de Louis XVI. Si vous rencontriez dans le monde un ecclésiastique agé, plein de savoir, d'esprit, d'aménité, ayant le ton de la bonne compagnie et les manières d'un homme bien élevé, vous étiez disposé à croire que cet ancien prêtre était un Jésuite. L'abbé Lenfant avait aussi appartenu à cet ordre, qui a tant donné de martyrs à l'église. Il avait été l'ami du P. de Ligny, et c'est lui qui le détermina à publier son Histoire de la Vie de Jésus-Christ.

Cette histoire n'est qu'un commentaire de

l'Evangile, et c'est ce qui fait son mérite à nos yeux. Le P. de Ligny cite le texte du nouveau testament, et paraphrase chaque verset de deux manières; l'une, en expliquant moralement et historiquement ce qu'on vient de lire, l'autre en répondant aux objections que l'on a pu faire contre le passage cité. Le premier commentaire court dans la page avec le texte, comme dans la Bible du P. de Carrières: le second est rejeté en note au bas de la page. Ainsi l'auteur offrant, de suite et par ordre, les divers chapitres des évangiles: faisant observer leurs rapports ou conciliant leurs apparentes contradictions, développe la vie entière du Rédempteur du monde.

ne réu.

L'ouvrage du P. de Ligny était devenu rare, et la société typographique a rendu un véritable service à la religion en réimprimant ce livre utile. On connaît dans les lettres françaises plusieurs vies de Jésus-Christ; mais aucune nit comme celle du Père de Ligny les deux avantages d'être à-la-fois une explication de l'écriture et un réfutation des sophismes du jour. La Vie de Jésus-Christ, par Saint-Réal manque d'onction et de simplicité : il est plus aisé d'imiter

Salluste et le cardinal de Retz,* que d'atteindre au ton de l'Evangile. Le P. de Montreuil, dans sa vie de Jésus-Christ, retouchée par le P. Brignon, a conservé au contraire bien du charme du Nouveau Testament. Son style, un peu vieilli, contribue peut-être à ce charme : l'ancienne langue française, et surtout celle qu'on parlait sous Louis XIII, était très-propre à rendre l'énergie et la naïveté de l'Ecriture. Il serait bien à désirer qu'on eût fait une bonne traduction à cette époque. Sacy est venu trop tard. Les deux plus belles versions de la Bible sont les versions espagnole et anglaise. La der nière, qui a souvent la force de l'hébreu, est du règne de Jacques Ier. la langue dans laquelle elle est écrite, est devenue pour les trois royaumes

*La conjuration du comte de Fiesque, par le cardinal de Retz, semble avoir servi de modèle à la conjuration de Venise, par Saint Réal: il y a entre ces deux ouvrages la différence qui existe toujours entre l'original et la copie; entre celui qui écrit de verve et de génie, et celui qui, à force de travail, parvient à imiter cette verve et ce génie avec plus ou moins de ressemblance et de bouheur,

† M. de Châteaubriand ne connaît pas la belle version Allemande de Luther. Note de l'Editeur.

une espèce de langue sacrée, comme le texte samaritain pour les Juifs: la vénération que

T

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les Anglais ont pour l'Ecriture en paraît augmentée, et l'ancienneté de l'idiôme semble encore ajouter à l'antiquité du livre. Au reste, il ne faut pas se dissimuler que toutes les his toires de Jésus qui ne sont pas, comme celle dú P. de Ligny, un simple commentaire du Nouveau Testament, sont en général, de mauvais et même de dangereux ouvrages. Cette manière de défigurer l'évangile nous est venue des protestans, et nous n'avons pas observé qu'elle en conduit un grand nombre au Socinianisme. Jésus-Christ n'est point un homme; on ne doit point écrire sa vie comme celle d'un simple législateur. Vous aurez beau raconter ses oeuvres de la manière la plus touchante, vous ne peindrez jamais que son humanité, sa divinité vous échappera. Les vertus de l'homme ont quelque chose de corporel, si nous osons parler ainsi, que l'écrivain peut saisir; mais il y a dans les vertus du Christ un intellectuel, une spiritualité qui se dérobe à la matérialité de nos expressions. C'est cette vérité dont parle Pascal, si fine et si déliée, que

nos instrumens grossiers ne peuvent la toucher sans en écacher la pointe.* La divinité du Christ n'est donc et ne peut être que dans l'évangile où elle brille parmi les sacremens ineffables institués par le Sauveur, et au milieu des miracles qu'il a faits. Les apôtres seuls ont pu la rendre, parce qu'ils écrivaient sous l'inspiration de l'Esprit-Saint. Ils avaient été témoins des merveilles opérées par le fils de l'homme; ils avaient vécu avec lui: quelque chose de sa divinité est demeuré empreint dans leur parole sacrée, comme les traits de ce céleste Messie restèrent, diton, imprimés dans le voile mystérieux qui servit essuyer ses sueurs. Sous le simple rapport du

à

goût et des lettres, il y a d'ailleurs quelque danger à transformer ainsi l'évangile en une Histoire de Jesus-Christ. En donnant aux faits je ne sais quoi d'humain et de rigoureusement historique; en appelant sans cesse à une prétendue raison, qui n'est souvent qu'une déplorable folie, en ne voulant prêcher que la morale entièrement dépouillée du dogme, les protestans ont vu périr chez eux la haute éloquence. Ce ne sont en

* Pensées de Pascal.

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