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et de ses divers Traités de Politique. Mais la Providence qui dispose de nous, a marqué d'autres devoirs à M. de Bonald; elle a demandé à son cœur le sacrifice de son génie. Cet homme rare et modeste consacre aujourd'hui ses momens à une famille malheureuse, et les soucis paternels lui font oublier les soins de la gloire. On fera de lui l'éloge que l'écriture fait des patriarches. Homines divites in virtute, pulchritudinis studium habentes: pacificantes in domibus suis.

Le génie de M. de Bonald nous semble encore plus profond qu'il n'est haut; il creuse plus qu'il ne s'élève. Son esprit nous paraît à-la-fois solide et fin son imagination n'est pas toujours comme les imaginations éminemment poétiques, portée par un sentiment vif ou une grande image; mais aussi elle est spirituelle, ingénieuse; ce qui fait qu'elle a plus de calme que de mouvement, plus de lumière que de chaleur. Quant aux sentimens de M. de Bonald, ils respirent partout cet honneur français, cette probité qui font le caractère dominant des écrivains du siècle de Louis XIV. On sent que ces écrivains ont découvert la vérité, moins encore par la

force de leur esprit que par la droiture de leur

cœur.

On a si rarement de pareils ouvrages à examiner qu'on nous pardonnera la longueur de cet extrait. Quand les clartés qui brillent encore sur notre horizon littéraire, se cachent ou s'éteignent par degrés, on arrête complaisamment ses regards sur une nouvelle lumière qui s'élève. Tous ces hommes vieillis glorieusement dans les lettres; ces écrivains depuis long-temps connus, auxquels nous succéderons, mais que nous ne remplacerons pas, ont vu des jours plus heureux. Ils ont vécu avec Buffon, Montesquieu et Voltaire: Voltaire avait connu Boileau; Boileau avait vu mourir le vieux Corneille; et Corneille enfant, avait peut-être entendu les derniers accens de Malherbe.

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Cette

belle chaîne du génie français s'est brisée. La révolution a creusé un abîme qui a séparé à jamais l'avenir et le passé. Une génération moyenne ne s'est point formée entre les écrivains qui finissent et les écrivains qui commencent. Un seul homme pourtant tient encore le

fil de l'ancienne tradition, et s'élève dans cet intervalle désert. On reconnaîtra sans peine celui que l'amitié n'ose nommer, mais que l'auteur célèbre, oracle du goût et de la critique, a déjà désigné pour son successeur. Toutefois si les écrivains de l'âge nouveau, dispersés par la tempête, n'ont pu s'instruire auprès des anciennes autorités; s'ils ont été obligés de tirer tout d'eux-mêmes; la solitude et l'adversité ne sont-elles pas aussi de grandes écoles? Compagnons des mêmes infortunes, amis avant d'être auteurs, puissent-ils ne voir jamais renaître parmi eux ces honteuses jalousies qui ont trop souvent déshonoré un art noble et consolateur ! Ils ont encore besoin d'union et de courage: les lettres seront long-temps orageuses. Elles ont produit la révolution, et elles seront le dernier asile des haines révolutionnaires. Un demisiècle suffira à peine pour calmer tant de vanités compromises, tant d'amour propres blessés. Qui peut donc espérer de voir des jours plus sereins pour les muses? La vie est trop courte ; elle ressemble à ces carrières où

l'on célébrait les jeux funèbres chez les anciens, et au bout desquelles apparaissait un tombeau :

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Εσηκεφύγον ἄνον ὅσον, etc.

"De ce côté," dit Nestor à Antiloque,

s'élève de terre le tronc dépouillé d'un chêne ; deux pierres le soutiennent dans un chemin étroit;

c'est une tombe antique, et la borne marquée à votre course."

SUR LE POÈME DE M. MICHAUD:

Le Printemps d'un Proscrit.

M. de Voltaire a dit :

Ou chantez vos plaisirs, ou laissez vos chansons.

Ne pourrait-on pas dire avec autant de vérité: Qu chantez vos malheurs, ou laissez vos chansons ? Condamné à mort pendant les jours de la terreur, obligé de fuir une seconde fois après le 18 Fructidor, l'auteur du poëme du Printemps est reçu, par des cœurs hospitaliers, dans les montagnes du Jura, et trouve dans les tableaux de la nature à la fois de quoi consoler et nourrir ses regrets.

Lorsque la main de la providence nous éloigne du commerce des hommes, nos yeux moins distraits se fixent sur le spectacle de la création, et nous y découvrons des merveilles que nous n'aurions jamais soupçonnées. Du fond de la solitude on contemple les tempêtes du monde comme un homme jetté sur une île déserte se plaît, par une secrète mélancolie, à voir les flots

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