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LE

CONGRÈS FLAMAND DE BRUGES.

Les assemblées périodiques connues chez nous sous le nom de « Congrès flamands » (nous dirons plus loin pourquoi cette appellation, qui n'est peut-être pas la plus exacte, doit être, longtemps encore, consacrée pour tous ceux qui écrivent en français en Belgique) ont acquis une importance qui les rend dignes de l'attention du public, non-seulement dans notre pays, mais encore chez tous nos voisins.

Le Congrès qui vient de se tenir, à Bruges, offre ce double intérêt qu'il a témoigné de la ténacité de nos populations flamandes à poursuivre l'idée du « mouvement flamand » et qu'il a donné la mesure des résultats importants déjà obtenus par ce mouvement. C'est, en effet, le septième congrès depuis 1849; et ceux qui, comme nous, ont pu le comparer au Congrès de Gand tenu cette année-là, et suivre, depuis, les actes des assemblées du même genre, dans différentes villes de la Hollande et de la Belgique, jusqu'en 1862, ont dû être frappés de l'espace parcouru en treize années par l'idée qui leur a donné naissance. Le Congrès de Bruges a de plus offert cet intérêt particulier qu'il a mis en présence, pour la première fois, sur un terrain quasi officiel, et « le mouvement flamand » et la politique de ceux qui lui font opposition. Tout cela réuni justifie l'entreprise que nous faisons de rendre un compte.

détaillé du Congrès flamand de Bruges; détaillé non au point de vue de tous les discours qu'on y a prononcés, et de tous les personnages qui y ont figuré, mais au point de vue des objets discutés et des résultats obtenus. Nous nous efforcerons de mettre à ce compte rendu toute l'exactitude que peut garantir un observateur bien placé, un annotateur attentif, et nous dirions impartial, si nos protestations, à ce dernier égard, ne devaient rester entièrement inutiles auprès de ceux justement que nous voudrions éclairer par ce travail. Il doit nécessairement contrarier leurs préjugés ou leurs intérêts. Or, il y a fort longtemps déjà que nous n'ignorons plus combien les partis trouvent d'ordinaire plus facile de démolir l'honnêteté de ceux qui les contrarient, que d'accorder à leurs raisons une importance seulement discutable.

Le Congrès flamand de Bruges avait été convoqué au 8 septembre 1862 par circulaire d'une commission provisoire formée de plusieurs hommes de lettres flamands dont M. Vrambout, gouverneur de la Flandre occidentale avait accepté la présidence honoraire. Cette circulaire rappelait qu'en 1860, peu après les fêtes de Bruges, pour l'inauguration, dans le voisinage, à Damme, de la statue du poëte Jacques Van Maerlant, le Dante flamand, le sixième Congrès flamand siégeant cette année-là à Bois-le-Duc, avait désigné Bruges comme siége du Congrès qui devait suivre. C'est ici le lieu de dire l'origine de l'institution et l'organisation de ces assemblées périodiques.

Lorsque après le traité de paix de 1839, la séparation politique de la Belgique et de la Hollande eut été définitivement consacrée, beaucoup d'écrivains flamands, de Gand et d'Anvers principalement, songèrent à relever leur langue de l'état d'infériorité où elle avait été reléguée chez nons, à la suite de notre révolution de 1830. Il ne servirait plus à rien de le dissimuler aujourd'hui : cette révolution avait eu un principe wallon. Elle s'était merveilleusement servie d'idées et même d'hommes venus de France, pour rallier contre les tentatives évidemment autocratiques du roi Guillaume ler, les Flamands que ces tentatives effrayaient aussi bien que les Wallons.

Le clergé catholique de toutes les provinces belges, sans distinction, avait été entraîné dans le mouvement pour résister, à cette occasion, aux tentatives de prosélytisme protestant,

aussi évidentes chez le roi Guillaume que ses tentatives autocratiques. Tout cela ensemble avait fini par constituer un mouvement vraiment national, qu'il serait aussi absurde de nier que les avantages généraux qu'en a retirés la Belgique. Mais le branle donné primitivement à cette révolution de 1830 n'en était pas moins d'origine wallonne; et une certaine réaction contre la langue flamande ou hollandaise l'avait nécessaiment accompagné. Cette nécessité avait été momentanément reconnue et volontairement subie par beaucoup de Flamands eux-mêmes; témoin le peu de résistance faite par la classe moyenne à l'introduction du français dans l'administration de leurs provinces. Le clergé flamand y avait donné les mains aussi, par des motifs que nous avons quelquefois entendu alléguer, mais qui sont de portée si étroite qu'il serait peu équitable de les admettre sans autre preuve Le fait de cette disposition du clergé flamand est donc seul constaté ici. Quant à tous les autres Flamands, auxquels l'oppression de leur langue rendait la révolution de 1830 moins sympathique, il faut leur savoir gré d'avoir ajourné du moins l'expression de leurs griefs jusqu'après la clôture définitive de cette révolulution consacrée par la grande majorité des Belges.

C'est donc en 1840 seulement que commença ce qu'on a appelé depuis « le mouvement flamand. » Il débuta par un pétitionnement aux Chambres législatives auquel les écrivains flamands proprement dits prirent la part principale. Anvers et Gand avaient vu naître et se développer déjà une école flamande qui cultivait toutes les branches de la littérature. Les archéologues, les historiens, les poëtes, les romanciers ne manquaient pas, dont les noms retentissaient déjà, ou bien ont retenti depuis, même à l'oreille des étrangers. Willems, Théodore Van Ryswyck, Ledeganck, Van Kerkhoven, Van Duyse, pour ne parler que des morts, s'étaient déjà fait connaître. Il ne nous appartient pas de choisir parmi les vivants une autre nomenclature qui serait bien plus considérable. Le pétionnement émut peu de monde, en dehors de l'espèce de cénacle d'où il était parti. Toutefois, quelques esprits attentifs s'en préoccupaient dès lors, même parmi ceux qui n'avaient pas plus de titre ni d'intérêt à s'y arrêter que la masse des indifférents. Nous nous rappelons qu'en 1843, en publiant la relation

d'un voyage que nous venions de faire dans les départements français de notre frontière, encore peuplés d'anciens Flamands, nous ne pûmes nous empêcher d'insister sur l'injustice que subissaient des populations gouvernées dans une autre langue que la leur. Le retour fait par nous, à cette occasion, sur le sort de nos propres compatriotes placés dans la même position expliquait tout à la fois la sympathie que les cœurs droits devaient montrer pour la cause des Flamands en Belgique, et la force que cette cause y pouvait conquérir; car les opprimés y étaient en bien plus grand nombre que les oppresseurs.

Cette force d'ailleurs avait déjà conscience d'elle-même. Il ne lui manquait plus que de bien faire choix des leviers qui lui convenaient le mieux. Ce choix n'était pas difficile dans l'état de notre pays et des institutions qu'il était parvenu à s'approprier, pour la défense efficace de toutes les causes justes qui sauraient allier la résolution et la persévérance, de tout temps vertus caractéristiques des Belges. La liberté de s'assembler, la liberté de discuter devinrent donc ces leviers; de là, l'institution des congrès flamands. Leur organisation découla de la nature même des choses: la persévérance étant, comme nous l'avons dit, une condition du succès dans les causes difficiles quoique justes, il fallut pourvoir à l'emploi incessant du moyen jusqu'à l'obtention définitive du résultat. C'est à ces idées que s'arrêtèrent les patriotes qui convoquèrent à Gand, en 1849, le premier Congrès flamand. On y appela tous ceux qui portaient quelque intérêt à la renaissance des lettres flamandes, désormais constatée. Que cet intérêt vînt d'un sentiment purement littéraire, d'une idée politique, d'un pur mouvement de justice ou d'équité, on ne distingua pas. Nous nous rappelons nous être rencontrés au Congrès de Gand avec des Hollandais, parmi lesquels un ministre protestant, M. Des Amories-Vanderhoeve; avec des Belges wallons, parmi lesquels M. Delcourt, président du tribunal de Bruxelles (nous ne parlons toujours que des morts); avec des prêtres catholiques flamands; avec d'anciens orangistes de la même race. Le premier gage de succès qui nous sembla acquis à ce genre d'assemblées, c'est que la funeste distinction de libéraux et de catholiques, qui avait déjà cours alors dans toutes les autres assemblées du pays, n'avait pas pénétré dans le Congrès flamand de Gand.

On s'y occupa, trois jours, de discussions fort paisibles sur divers sujets se rapportant à la diversité des langues parmi les nations; aux règles que cette diversité devait faire admettre dans les rapports des hommes entre eux; aux caractères particuliers de la langue flamande; à l'intérêt commun de tous ceux qui la parlaient; aux moyens d'établir une solidarité au moins littéraire entre tous ceux-là. Ces questions et quelques autres qui s'y rattachaient furent traitées avec zèle et ferveur par divers orateurs. Mais nous devons constater ici que le public gantois y fit peu d'attention. Aucune démonstration n'accompagna la tenue du Congrès. C'était un début assez froid en lui-même. Mais une fois engagé, le Flamand ne recule plus. Le Congrès en se séparant décida qu'à deux ans de là, il se réunirait de nouveau à Utrecht, si nos souvenirs sont fidèles; et que semblables assemblées se tiendraient périodiquement, alternativement dans une ville belge et dans une ville hollandaise, à désigner chaque fois par l'assemblée prenant fin.

Dans les congrès qui suivirent celui de Gand, les applications de la tâche que se proposaient les premiers auteurs du mouvement flamand grandirent et se multiplièrent. Aux Belges et aux Hollandais, qui s'étaient réunis les premiers pour l'œuvre, vinrent se joindre des députés de plusieurs provinces du Hanovre et du littoral de la mer du Nord jusqu'à l'Elbe, où la masse des populations parlent la même langue que les Flamands et les Hollandais. Les Allemands leurs voisins désignent cette langue sous le nom tant soit peu méprisant de platdeutsch. Ces nouveaux députés vinrent faire reconnaître et constater authentiquement que le dialecte qu'ils parlaient était bien celui des peuples de la Hollande et de la Flandre. L'idée qui germait désormais de comprendre dans un mouvement littéraire commun toutes ces populations au langage identique prit de la consistance. Les travaux des congrès successifs qui furent tenus après 1849 jusqu'en 1860, eurent principalement pour objet des questions relatives à l'uniformité d'orthographe, de syntaxe et de prononciation à établir, autant que possible, pour la langue littéraire commune qu'il s'agissait de régler, au-dessus des divers dialectes populaires laissés à leur liberté.

Quelques-unes de ces questions furent résolues; d'autres, en plus grand nombre, réservées. Mais une résolution importante

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