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toutes les difficultés qu'on pourrait trouver ici, ou quelques-unes au moins seront-elles résolues? J'en doute. D'ailleurs, l'âme en elle-même, je veux dire indépendamment du rôle qu'on lui fait jouer, a bien aussi quelques points obscurs, qu'il serait bon d'éclaircir d'abord, pour savoir si ce rôle est au moins possible.

Qu'est-ce que l'âme? C'est, dira-t-on, un être simple, indivisible, sans parties; et sur ce point nous sommes tous d'accord. On veut de plus, et ceci peut-être est sujet à contestation, qu'elle n'ait aucune étendue; parce que, si elle en avait une, elle serait au moins divisible comme étendue, c'est-à-dire en idée, ou par la pensée, sans l'être pour cela en réalité. C'est ainsi que l'atome, bien qu'on le conçoive comme absolument indivisible, ou sans parties réelles séparables les unes des autres, n'est point simple, s'il a quelque étendue, puisque alors, ayant des parties distinctes aux yeux de la conception ou de l'imagination, il est divisible en idée. On dit encore que l'âme ne saurait être localisée dans l'espace, c'est-à-dire qu'elle ne peut être dans aucun lieu déterminé. Or, d'un côté, on ne comprend guère comment un être réel, ou substantiel, peut exister, sans être nulle part; et, d'un autre côté, il paraît évident que, si l'âme n'est dans aucun lieu, elle ne sera pas plus dans un corps organisé que dans tout autre, pas plus en lui que hors de lui.

Si donc l'âme, ainsi définie ou décrite, est incompréhensible; si cette définition ne donne pas la moindre idée de sa nature fondamentale, ou de son essence absolue; si elle n'en fait connaftre qu'un simple caractère, qui n'implique pas nécessairement une substance, plutôt qu'un attribut; si nous n'en connaissons que certaines facultés intellectuelles, dont ne fait point partie le pouvoir organisateur qu'on lui suppose; si tout ce que prouve l'expérience, enfin, se réduit à ce qu'elle peut produire, comme substance pensante alors, certains mouvements dans le corps, à savoir les mouvements volontaires sur quel fondement s'appuiera-t-on, pour soutenir qu'elle les produit tous, qu'elle seule peut les produire, qu'elle est la seule cause efficiente de tout ce qui s'y passe, l'unique agent qui opère, qui fait tout en lui, après l'avoir organisé?

Si nous avions à nous occuper ici de l'âme pensante, qui ne joue qu'un rôle très-secondaire, jamais indispensable dans la

vie organique, nous pourrions dire aussi, comme nous dirons en effet, par occasion, que l'idée qu'on s'en forme ordinairement soulève, à son tour, une autre difficulté encore.

L'intelligence, absolue en Dieu, comme tous ses autres attributs, paraît n'être que relative et purement accidentelle dans l'homme. De là surgit une question fort embarrassante, au moins pour moi, peut-être insoluble en effet, et que je laisserai à d'autres le soin d'approfondir: je me bornerai, pour ma part. à la bien poser, si toutefois cela même n'est pas impossible.

L'âme étant une substance réellement distincte du corps en général, il faut, de toute nécessité, et l'on en conviendra, qu'elle ait, comme celui-ci, une propriété fondamentale, essentielle, invariable, absolue, commune à toutes les âmes, même à celles des plantes, puisque toutes participent de la même nature de substance. Quelle que soit cette propriété, connue ou non connue, rien n'empêche de lui donner le nom d'immatérialité ou de spiritualité; comme nous donnons celui de matérialité ou d'impénétrabilité, à la propriété fondamentale que tous les corps ont en commun, à la propriété essentielle et absolue de la matière dont ils sont formés. Jusqu'ici, point de difficulté, cette analogie entre les deux substances, malgré la diversité de leur nature, est, si je ne me trompe, parfaitement juste.

En voici une autre qui ne l'est pas moins, peut-être. Toutes les propriétés des corps, à l'exception de celle qui leur est commune, sont variables, susceptibles de plus et de moins, et c'est par elles seules qu'ils diffèrent les uns des autres; chacun d'eux a les siennes et à tel ou tel degré ce sont elles qui, dans chaque corps, aussi longtemps qu'il les possède, constituent son essence relative. Mais il est évident qu'elles ne sont toutes qu'accidentelles relativement à son essence absolue, à sa propriété fondamentale. Or il en est de même des facultés de l'âme, sans lesquelles elle cesserait d'exister, non absolument, car elles ne forment ensemble que son essence relative, mais comme substance pensante. C'est aussi par ces facultés que les êtres intelligents diffèrent entre eux sous ce rapport; elles varient beaucoup, non-seulement d'un individu à l'autre, mais encore, chez le même individu, d'une époque, d'un jour à l'autre chacune, séparément, peut se fortifier ou s'affaiblir,

augmenter ou diminuer; toutes, plus ou moins, sont changeantes et, par suite, périssables, ainsi que l'expérience le prouve assez elles ne sont donc, toutes, qu'accidentelles, par rapport à la substance de l'âme, ou à sa propriété fondamentale, qui seule est essentielle dans le sens absolu. Il semble aussi résulter de là que ces facultés adventices ne sont pas plus inhérentes à cette substance, du moins originairement, que les propriétés accidentelles des corps ne sont inhérentes à la matière, à l'atome, qui, je l'ai dit, n'en possède aucune.

En ce qui concerne l'origine, le principe de toutes ces propriétés relatives, tant intellectuelles que matérielles, il n'y a plus, entre les deux substances envisagées sous ce point de vue, aucune espèce d'analogie. La pluralité des atomes nous permet de concevoir, jusqu'à certain point, ou d'imaginer comment, par leur mélange en différentes proportions, par leur arrangement, leur disposition ou situation relative, leurs combinaisons diverses, ils peuvent engendrer tous les corps de la nature et l'expérience nous apprend que chaque corps, suivant sa constitution, ou l'espèce à laquelle il appartient, possède certaines propriétés particulières, qui le distinguent des autres, même des substances plus élémentaires et des atomes dont il est composé. Or, évidemment, il ne saurait y avoir rien de semblable ou d'analogue dans l'âme, puisqu'elle est une, qu'elle est simple, par conséquent invariable, non susceptible de modification, et par cela même impérissable. Il est vrai qu'on peut en dire autant de l'atome; mais celui-ci, tout en restant constamment, invariablement ce qu'il est en soi, peut se mouvoir et se joindre à d'autres atomes, pour former les corps, et leur donner ainsi toutes leurs propriétés.

La question est donc de savoir d'où naissent ou comment adviennent les facultés intellectuelles que l'homme possède à tel ou tel degré et dont il jouit durant sa vie; facultés qui n'apparaissent qu'après sa naissance et d'abord faiblement, qui parfois l'abandonnent en partie avant qu'il ait cessé de vivre, et qui ont entièrement disparu, jusqu'à la dernière, tandis que le cœur bat ou fonctionne encore.

Je crois savoir assez bien ce que répondraient les matérialistes, ou quelles sont les conséquences qu'ils tireraient des observations précédentes et notamment de la dernière. Mais

ce n'est pas à eux, c'est aux spiritualistes que je m'adresse; c'est d'eux seuls que j'attends une réponse péremptoire à cette grande question.

Celle de savoir comment, dans le système des animistes, l'organisme est encore en jeu quand l'âme a perdu toutes ses facultés, sera facilement résolue par eux, d'après une hypothèse qui ne manque pas de vraisemblance: elle consiste en ce que l'âme posséderait une propriété, inconnue d'elle-même, ou exercerait, à son insu, certaine fonction, à laquelle il faudrait attribuer tous les faits qui se rapportent à la vie organique; fonction qu'elle pourrait remplir, propriété qui existerait, avant, pendant et encore après l'existence des facultés. intellectuelles; en sorte que la disparition de celles-ci, fût-ce même longtemps avant la mort, n'empêcherait pas l'âme d'agir encore sur l'organisme, en vertu de cette propriété. Celle-ci ne serait autre que l'instinct et en effet, tous les actes qui la supposent ne peuvent être qu'instinctifs, si l'âme les accomplit sans le vouloir et sans le savoir.

v་.

Les animistes, ou certains d'entre eux, pensent aussi que l'âme peut, par la même propriété, c'est-à-dire instinctivement, organiser la matière. Cette dernière hypothèse, qui n'est pas une conséquence nécessaire de la précédente, paraît moins admissible, mais n'est pas non plus absolument impossible. On pourrait même la soutenir, ou tout au moins la faire mieux comprendre, par une analogie tirée de l'ordre physique. En effet, nous savons que la matière, indépendamment de sa propriété fondamentale, en possède une autre, l'attraction, qui, sans lui être essentielle comme l'impénétrabilité, n'est pas moins générale, puisqu'elle affecte indistinctement toutes ses parties, soit séparées, soit unies dans les corps, et qu'elle est. antérieure à ces derniers; car c'est par elle qu'ils existent : d'où l'on pourrait inférer qu'elle est originairement inhérente à la matière. Or il peut en être de même de l'instinct par rapport à l'âme et à sa propriété essentielle : non moins général que celle-ci, et peut-être inhérent à l'âme, il serait, à plus forte raison, antérieur à toute substance organisée. Ainsi, tandis que la matière forme, par attraction, tous les corps inorganiques, en leur donnant, avec l'existence corporelle, les propriétés que nous leur reconnaissons; l'âme, de son côté,

formerait, par instinct, tous les corps organisés (sans toutefois leur donner aucune des propriétés qu'on leur attribue généralement et dont ils n'ont pas besoin, n'ayant aucune fonction à remplir, puisque l'âme supplée à tout, qu'elle fait tout).

Il est à craindre, pour les animistes, qu'à cette théorie, fort ingénieuse mais peu satisfaisante, pour le sens commun du moins, les matérialistes, en partant du même principe, n'en opposent une autre, plus simple, plus facile à saisir et surtout plus conforme à l'expérience.

Si, diront-ils, l'instinct suffit pour organiser un corps, donnez cet instinct à la matière, à l'atome; vous obtiendrez exactement le même résultat, et tout sera dit: vous n'aurez pas besoin de faire intervenir l'âme dans les opérations de la vie organique, encore moins dans l'organisation elle-même, et l'âme restera ce qu'elle est aux yeux de presque tous les hommes, uniquement une substance pensante, en relation avec l'organisme, quelle que soit d'ailleurs, dans l'idée de chacun, la nature fondamentale de cette substance. Remarquez que l'attraction, ou la propriété par laquelle toutes les parties de la matière tendent naturellement à se rapprocher, et s'unissent quand les circonstances le permettent, est déjà comme une espèce d'instinct, à un premier degré, et même à un second degré encore, si nous y comprenons l'affinité chimique. Si donc nous supposons cette propriété de la matière susceptible d'un troisième degré, qui constituerait l'instinct proprement dit (lequel d'ailleurs différerait autant de l'affinité chimique, que celle-ci diffère de la simple attraction gravitante); ces trois degrés d'instinet, qu'on pourrait nommer: attraction, ou instinct d'agrégation; affinité, ou instinct de composition; et plasticité, ou instinct d'organisation, nous mettront à même de tout expliquer fort simplement, sans crainte d'être démentis par l'expérience.

Je ne m'étendrai pas davantage sur cette manière de voir, ou plutôt sur cette réponse prêtée aux matérialistes, qui, du reste, n'y ont peut-être jamais songé. Je dirai seulement que j'admets bien, d'une certaine façon, ces trois propriétés ou tendances de la matière, n'importe sous quels noms; mais que cela ne suffit pas pour me faire concevoir l'organisme, et qu'il me faut quelque chose de plus (que l'âme ne pourrait pas remplacer),

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