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tutions de ce pays, et les lois politiques fondamentales contenant les principes que les autres doivent appliquer et développer.

D'un autre côté, notre constitution est, sans doute, digne de notre respect, de notre admiration; elle est la plus libérale de l'Europe, on ne le conteste pas; cependant il ne faut pas se laisser entraîner jusqu'au fétichisme; on doit se garder d'y voir le nec plus ultra de la sagesse humaine, la perfection absolue, la suprème immuable expression de la liberté; en un mot, ne nous montrons pas plus constitutionnels que la Constitution; rappelonsnous que les constituants de 1831 ont eux-mêmes prévu que des changements devraient être apportés à leur œuvre. Ils ont compris que cette œuvre n'était et ne pouvait être parfaite, que des dispositions excellentes lorsqu'ils les édictaient, ne seraient plus un jour en rapport avec le développement de l'esprit public. Bref, un moment viendra où la Constitution sera revisée. Transportons-nous par la pensée à cette époque. Les représentants ont, supposonsnous, déclaré cette réforme nécessaire. Vont-ils y procéder immédiatement? Non pas, le peuple doit être consulté. Les chambres sont dissoutes de plein droit, la nation doit se prononcer; elle est appelée à de nouvelles élections, elle donnera un mandat spécial à ses représentants. On peut dire qu'ici les citoyens sont réellement législateurs, et législateurs dans une matière beaucoup plus importante que celles qui se présentent d'ordinaire. Et ce n'est point trop exiger, sans doute, de demander que chacun connaisse la loi sur la révision de laquelle il a à se prononcer, et les principes généraux du droit public qui doivent lui servir de guide.

Parmi les dispositions constitutionnelles destinées à être modifiées, nous remarquons tout d'abord celle de l'art. 47. Cette disposition contient-elle l'application sincère du principe déposé dans l'art. 25, qui déclare que

1 Art. 131 de la Constitution.

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tous les pouvoirs émanent de la nation? Qu'est-ce que la nation? L'ensemble des citoyens. Et cependant un petit nombre de citoyens sont admis à agir au nom de tous. Dans notre pays, il n'est rien de plus redouté que le suffrage universel. La désastreuse expérience qui en a été faite dans un pays voisin nous effraye. C'est le suffrage universel, dit-on, qui a sanctionné l'attentat du 2 décembre; c'est le suffrage universel qui a causé l'avilissement de la France. A ceci nous pourrions répondre bien des choses sur la façon dont le gouvernement français a fait fonctionner le suffrage universel, mais cela nous mènerait trop loin; ne perdons seulement pas de vue qu'une mauvaise application d'un principe vrai, ne prouve rien contre ce principe. Quoi qu'il en soit, il est évident que les constituants de 1831 ont voulu, en principe, confier la souveraineté à tous les citoyens. S'ils ont apporté la restriction de l'art. 47, c'est à regret, et par cette considération qu'un grand nombre de Belges sont, faute d'instruction, dans l'impossibilité d'émettre un vote éclairé.

Si donc vous voulez vous montrer sincèrement constitutionnels, si vous êtes attachés non seulement à la lettre mais aussi à l'esprit de notre pacte fondamental, vous devez faire tous vos efforts pour amener la réalisation du principe qui s'y trouve déposé, pour détruire l'obstacle qui s'oppose à cette réalisation. Il ne suffit pas de dire « Nous sommes prêts à admettre le suffrage universel, lorsqu'il sera devenu praticable; » non, il faut hâter de tout votre pouvoir l'arrivée de ce moment. La cause de l'impraticabilité actuelle du système, c'est l'ignorance des masses; cela n'est point contesté; répandez donc l'instruction dans toutes les classes de la société, l'instruction politique surtout, car c'est celle-là principalement qui rend les hommes aptes à remplir leurs devoirs civiques. Alors on pourra faire disparaître de la Constitution les restrictions apportées à l'exercice des droits électoraux, et le véritable principe libéral, le principe inscrit en tête des dispositions régissant les pouvoirs (art. 25) recevra l'entière et large appli

cation que le Congrès n'a pu, malgré son désir, lui donner en présence de l'ignorance générale.

Si les gouvernements despotiques se soutiennent par la force, les gouvernements démocratiques au contraire n'ont d'appui que dans la sympathie des populations. Les citoyens doivent aimer les institutions libérales d'un amour éclairé et actif, les entourer d'une vigilante protection, être toujours prêts à les défendre contre les tentatives du dehors et contre les dangers intérieurs. Ecoutons ce que dit la brochure dont nous avons déjà parlé : « Il faut que l'opinion veille toujours. Il faut que les individus s'intéressent à la chose publique, indépendamment des excitations temporaires; il faut qu'ils se sentent vivre eux-mêmes de la vie sociale, comme chaque membre reçoit le sang vicieux ou sain qui circule dans le corps; il faut qu'ils soient animés de ce civisme dont le citoyen romain possédait le type magnifique. »

L'enseignement des lois répand cette notion de solidarité. C'est en les connaissant que le citoyen s'attache aux lois de son pays, qu'il s'identifie avec elles, qu'il les aime comme nos pères aimaient d'amour les franchises de leurs cités. »

<< Ceux qui n'ont pas cet esprit appartiennent à la nation comme un voyageur à une hôtellerie. Ils dorment en paix quand ils ont fermé leur porte et mis sous leur oreiller la clef de leur valise. La conclusion d'un fonctionnaire, une détention arbitraire, une immoralité publique, tout cela leur est étranger. L'argent n'a de valeur que dans leur poche. Pour eux, tout devoir public est une corvée, tout impôt une perte. C'est d'eux que l'on entend dire que « voler l'État n'est pas voler. » Mauvais électeurs, mauvais jurés, mauvais soldats, mauvais citoyens; ils n'appartiennent à aucun parti politique, sont railleurs aux institutions et aux réformes, incrédules à l'approche d'un malheur public, et lâches si le malheur vient. » Voilà comment s'exprime M. Tempels. Qui méconnaîtrait la sagesse de ces paroles? On ne peut aimer son pays, du

moins l'aimer d'une manière efficace, si l'on n'en connaît les institutions. On sera peut-être chauvin, mais on ne sera certainement point bon patriote; on pourra se complaire dans une vanité puérile, un amour-propre de clocher, mais on n'éprouvera pas un noble et sérieux sentiment de dé-vouement. Qu'est-ce que chérir sa patrie? C'est aimer cette grande famille dont nous sommes membres, c'est la désirer florissante et heureuse, digne, honnête et respectée. C'est accomplir avec joie les devoirs que nous impose la qualité de membres de cette famille; c'est vouloir pour le peuple les meilleures lois possibles, les plus propres à assurer son bien-être physique et moral, celui-ci surtout C'est travailler autant qu'il est en nous au développement des libertés que nous possédons, au perfectionnement de nos institutions. Choses qui ne peuvent se faire, si nous ne connaissons nos lois politiques dans leur texte et leur esprit, si nous n'avons étudié la science du droit public. Par cette étude, si elle est faite consciencieusement, si nous la commençons dès notre jeunesse, si nous y apportons l'importance qu'elle mérite, nous nous attachons davantage aux institutions nationales. Et alors vienne l'ennemi : le peuple entier, connaissant la valeur du trésor qu'on veut lui ravir, se lèvera pour repousser l'agresseur. Les dangers intérieurs seront également conjurés par la vigilance de la nation. Ceux qui voudraient attenter à ses droits ne pourront plus abuser de son ignorance. Le peuple ne se laissera plus tromper par les grands mots d'ordre, de raison d'État, de nécessité politique, que le despotisme invoque toujours pour justifier ses usurpations. Mieux instruit de ses droits, il ne sera plus entraîné, par des amis faux ou imprudents, hors des voies légales, dans des violences qui nuisent aux meilleures causes. D'un autre côté, le patriotisme des citoyens étant ainsi développé, en même temps que leur esprit éclairé, ils dirigeront tous leurs efforts vers un même but le bien de la patrie. Nous marcherons dans la voie du progrès d'un pas rapide et ferme, sans faiblesse comme sans brusques secousses. Les

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libertés existantes se développeront d'elles-mêmes avec l'aide des citoyens. Lorsque chacun veillera, les abus aussitôt dénoncés que nés n'auront plus le temps de grandir et de s'accumuler; et alors les changements subits, les revirements violents, les révolutions, remède héroïque mais également dangereux, n'ayant plus de raison d'être ne seront plus à redouter.

III

Comment se fait-il donc qu'aucun essai n'ait été tenté pour combler cette lacune dans l'enseignement? D'où vient que le gouvernement n'a jamais compris que son premier devoir est de faire connaître les institutions nationales aux citoyens? Pourquoi nos législateurs, à quelque parti qu'ils appartiennent, n'ont-ils point décidé qu'un cours de cette nature serait fait dans les établissements d'instruction établis par l'Etat 1? Pourquoi, surtout en présence de la coupable incurie de nos gouvernants, les citoyens demeurent-ils indifférents? Pourquoi n'agissent-ils pas par eux-mêmes? Les établissements d'instruction de tous les degrés, indépendants du gouvernement, ne manquent pas; nous avons des écoles primaires, des écoles dominicales, des écoles moyennes, des colléges, des universités libres, et, nulle part, on n'a pensé à enseigner aux élèves les droits et les devoirs qui résultent de la qualité de citoyen. La création d'un cours de droit public ne nous paraît point cependant devoir offrir des inconvénients sérieux; cet enseignement ne présenterait pas plus de difficulté que tout autre.

Examinons séparément les différentes catégories d'établissements où l'instruction est donnée aux individus de toutes les classes de la société.

1 Pendant la dernière session législative un honorable représentant de Liége, M. Mouton, proposa de faire enseigner la Constitution dans les établissements de l'État. On sait comment sa motion fut accueillie

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