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DE

L'ENSEIGNEMENT DU DROIT CONSTITUTIONNEL

DANS LES

ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'INSTRUCTION.

I

Vous êtes-vous jamais trouvé dans une gare de chemin de fer au passage d'un train royal, lorsqu'un brave magistrat campagnard vient complimenter les augustes voyageurs? Avez-vous quelquefois pris part à un banquet patriotique, ou assisté à quelque cérémonie officielle? Avez-vous écouté les discours éloquents, les toasts attendrissants, les speechs chaleureux prononcés dans ces mémorables circonstances? Oui sans doute. Vous devez alors avoir entendu de bien belles phrases sur les grands principes déposés dans notre immortelle constitution, sur les sages libertés que nous envient tous les peuples du continent, sur les nobles institutions qui nous régissent.

Eh bien, si vous aviez demandé aux bénévoles auditeurs qui applaudissaient à tout rompre, quels étaient ces principes et ces institutions, bien peu eussent pu vous répondre. Il y a mieux, si vous aviez adressé cette question aux orateurs eux-mêmes, plus d'un se fût trouvé dans

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l'embarras. C'est, dira-t-on, qu'il suffit pour chérir et vénérer nos institutions d'en voir, d'en ressentir les heureux effets, sans qu'il soit besoin d'en connaître le mécanisme. Cela peut être vrai, mais cet attachement que ces personnes professent pour nos lois organiques devrait leur être un motif de les étudier. Ce n'est point d'une vénération contemplative qu'il convient d'entourer la constitution. politique de son pays, il faut lui vouer un amour actif qui s'efforce de la perfectionner en même temps que de la faire respecter de tous. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point; en cet endroit, nous ne voulons que constater l'ignorance générale des Belges en ce qui concerne notre organisation politique, ignorance bien naturelle en présence du système d'enseignement suivi en Belgique. Pendant toute la durée de nos études, nous n'entendous pas parler une seule fois de notre droit public; à l'école primaire, à l'athénée, au collége, on nous expose d'une façon détailléel'organisation des peuples de la Grèce et de l'Italie; on nous parle même un peu de la constitution de l'empire germanique des lois de la Belgique, pas un mot. On nous entretient longuement de la législation de Lycurgue, de celle de Solon ou de celle de Servius de l'œuvre des Gendebien, des Forgeur, des d'Elhoungne, on se fait un vrai scrupule d'en rien dire; le professeur qui se permettrait semblable licence risquerait même bien fort de se faire réprimander ou suspendre comme s'écartant du programme tracé. Si au moins cette lacune était comblée à l'université, quoique les cours universitaires soient fréquentés par bien peu de jeunes gens, le mal serait en partie réparé. Mais loin de là un médecin a-t-il besoin pour guérir une fièvre de savoir ce que c'est que la responsabilité ministérielle? un ingénieur extraira-t-il plus de minerais lorsqu'il saura que la presse doit être libre? Non. Eh bien, alors pourquoi leur apprendre tout cela! Aussi les différentes lois sur l'enseignement supérieur ont-elles eu grand soin de réserver le cours de droit public, exclusivement aux élèves de la faculté de droit, et encore

ce cours n'est-il qu'accessoire et ne fait-il pas partie des matières de l'examen.

Cette anomalie n'a pu échapper à personne, maintes fois elle a été signalée, et cependant rien n'a encore été tenté pour la faire disparaître; et pourquoi? N'est-on pas assez pénétré de l'importance de la vulgarisation de ces connaissances, ou bien se laisse-t-on effrayer par des difficultés d'application. Ce sont ces deux points que nous nous proposons d'examiner dans les quelques pages qui vont suivre.

II

Il existe en Belgique, une loi supérieure à toutes les lois, une loi qui intéresse tous les Belges, et à tous les moments de leur vie, une loi véritable base de notre société politique, une loi qui règle les rapports entre l'État et les citoyens, qui détermine les droits et les devoirs de tous envers chacun, et de chacun envers tous, une loi contre laquelle ne peut prévaloir aucune autorité, loi que personne ne peut modifier, pas même les mandataires de la nation, si celle-ci ne s'est d'abord prononcée, et ne leur a accordé des pouvoirs spéciaux. Cette loi, c'est la Constitution de 1831. Et n'est-ce pas une triste et étrange chose à dire que cette constitution est inconnue de la plupart d'entre nous? Si nous entrons dans une association financière ou commerciale, si nous nous affilions à une compagnie scientifique, nous demandons d'abord quels en sont les statuts et nous passons toute notre vie dans une société politique sans jamais nous enquérir des bases sur lesquelles elles s'appuie. Nous nous vantons sans cesse d'être citoyens d'un pays libre, et nous ignorons la loi qui consacre cette liberté. Nous ne connaissons pas les droits civiques que nous pouvons réclamer pour nous, et que nous devons respecter dans la personne d'autrui.

Sans doute il est d'autres lois encore qui accordent des droits, qui imposent des devoirs, et nous nous associons de tout cœur à l'idée émise et défendue avec tant de

talent par un de nos magistrats les plus distingués, que nos lois civiles réformées, simplifiées, devraient être enseignées à tous 1. Mais cet enseignement, impossible en ce moment pour les matières civiles par suite de notre législation actuelle si compliquée, est très-facile à donner lorsqu'il ne s'agit que de notre droit public, contenu tout entier dans la Constitution et quelques lois organiques. L'ignorance dans les autres matières juridiques a des inconvénients moins graves; les intérêts particuliers et personnels se trouvant seuls en jeu seront seuls lésés. Dans les questions ressortissant du droit public, ce seront les droits d'autrui, les intérêts de la société qui seront blessés; si je ne connais point mes devoirs de citoyen, d'électeur, de juré, je les remplirai mal, je ne serai pas seul à supporter les conséquences de mon ignorance, mes concitoyens en souffriront également, et mon insouciance à m'instruire sera coupable. En outre les autres lois ne s'adressent qu'à certaines catégories de personnes, ou ne reçoivent application que dans certaines circonstances de la vie. Les dispositions contenues dans notre pacte fondamental de 1831 s'appliquent à toutes les personnes et comprennent dans leur généralité tous les actes de la vie. Bien des hommes ne consentent ni ne requièrent d'hypothèques, ne font ni vente ni achat d'immeubles, ne recueillent point de succession, ne rédigent point de testament, ne se marient pas; ou au moins ce ne sera que dans des cas spéciaux, prévus à l'avance qu'il leur sera fait application des lois régissant l'une ou quelques-unes de ces matières. C'est tous les jours, au contraire, que nous usons des droits consacrés par la Constitution. Tous les Belges, et à chaque instant, manifestent leurs opinions sur une foule de matières, nous professons un culte, nous

1 La loi nationale, son enseignement et sa révision, par M. P. Tempels, procureur du roi à Ypres. Tout ce que l'auteur de cet ouvrage judicieux dit de la nécessité de vulgariser la connaissance du droit, s'applique surtout au droit public.

sommes protégés par l'inviolabilité du domicile. Il est donc nécessaire de connaître non-seulement l'existence de ces droits, mais encore leur étendue, ainsi que les garanties qui les entourent et les principes qui en règlent l'exercice. Que les sujets d'un gouvernement despotique éprouvent de l'indifférence pour les lois de leur pays, cela se conçoit ces lois ne sont pas à proprement parler des lois, un caprice du maître peut les modifier, les changer complétement, sans que personne ait le pouvoir de s'y opposer. Il accorde aujourd'hui une bribe de liberté qu'il retirera demain. Mais il en est différemment chez nous les lois politiques comme toutes les autres émanent de la volonté du peuple.

Nous ne tomberons pas dans une exagération assez commune, consistant à dire que tous les citoyens participent à l'exercice de la souveraineté nationale. Cela n'est pas exact, puisque parmi les hommes ayant atteint l'âge de la majorité politique, les électeurs forment le plus petit nombre. Mais ce qui est rigoureusement vrai, c'est que tous nous pouvons nourrir le légitime espoir d'être un jour appelés à prendre part à la manifestation de la volonté de la nation. Notre position politique peut être changée d'un moment à l'autre. Le simple ouvrier peut à force de travail, d'intelligence, et le sort l'aidant un peu, devenir à son tour patron, industriel; l'artiste, le fonctionnaire, l'avocat sans fortune d'aujourd'hui, peuvent demain changer de profession, s'établir cabaretier, par exemple, et, grâce à leur patente, faire partie de la minorité intelligente qui gouverne le pays. En un mot, nul citoyen n'est exclu d'une façon complète, absolue, du droit de choisir les mandataires de tous; l'exercice de ce droit seulement est soumis à certaines conditions. Cela étant, ne devons-nous pas nous préparer à user sagement du droit qui nous serait confié, à remplir dignement le devoir qui nous incomberait! Pour intervenir, même indirectement, dans la confection des lois d'un peuple, pour régler les destinées d'un pays, il est nécessaire, nous paraît-il, de connaître les insti

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