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de leurs pères, tandis que les Goths et les Burgondes étaient devenus chrétiens, mais hérétiques, c'est-à-dire ariens. Cependant il y avait dans la famille des princes bourguignons une branche catholique, provenant du roi Chilpéric, qui avait épousé une femme de l'aristocratie romaine. Chilpéric, vaincu par son frère Gondebaud, fut mis à mort, ainsi que ses enfants mâles; sa femme fut jetée dans le Rhône avec une pierre au cou; mais on épargna ses deux filles, qui avaient été élevées dans la religion catholique.

L'aînée, du nom de Chrosna, prit l'habit religieux et entra dans un monastère; la seconde, qui était trop jeune, resta provisoirement à la cour de son oncle. C'est sur cette jeune fille que se portèrent les vues de l'aristocratie gallo-romaine. On a fait un roman des circonstances qui précédèrent son mariage avec Chlovis. Grégoire de Tours les raconte d'une manière bien simple. « Chlovis, dit-il, envoyait souvent des députés en Bourgogne, et ceux-ci virent la jeune Chlotilde. Témoins de sa beauté et de sa sagesse, et sachant qu'elle était du sang royal, ils en informèrent le roi Chlovis. Celui-ci dépêcha à Gondebaud des messagers chargés de la demander en mariage. Le Burgonde n'osant pas refuser, remit la jeune fille entre les mains des députés qui se 'hâtèrent de la mener au roi. Chlovis l'ayant vue fut transporté de joie et l'épousa 1. »

Ainsi présentés, les faits paraissent tout naturels. Cependant quand on songe à l'immense intérêt qu'avait l'aristocratie gauloise à ce que Chlovis épousât une femme catholique, il est bien difficile d'attribuer ce mariage à des circonstances fortuites. Ce n'est point par un effet du hasard que Chlovis alla chercher à la cour du roi des Burgondes la seule princesse qui fût catholique, lorsque cette princesse était fille d'un roi détrôné et d'une reine qui avait été jetée à l'eau comme un chien. Il est à remarquer d'ailleurs que l'agent ostensible de cette intrigue est

1 GREGOR. TURON., 1. II, c. 28.

un personnage gallo-romain appelé Aurelianus. Son nom figure dans l'histoire comme dans le roman 1; il était de la province Senonaise, et avait ses propriétés à peu de distance de Paris 2.

Quand les conséquences d'un fait historique sont tellement infaillibles qu'elles ont dû nécessairement être prévues, elles peuvent servir à indiquer la cause de ce fait. Ainsi on pouvait, on devait prévoir que Chlotilde, entourée de prêtres gallo-romains, emploierait tous ses moyens d'influence pour engager le roi Chlovis à permettre que ses enfants fussent baptisés et à se convertir lui-même à la foi catholique. C'est effectivement ce qui eut lieu. Grégoire de Tours nous a laissé sur ce sujet des détails précieux.

<< Chlovis eut de Chlotilde un premier fils. La reine voulant qu'il reçût le baptême, adressait sans cesse de pieux conseils au roi, disant : « Les dieux que tu adores ne sont rien, puisqu'ils ne peuvent se secourir eux-mêmes, ni secourir les autres; car ils sont de pierre, de bois ou de métal... Le Dieu qu'on doit adorer est celui qui, par sa parole, a tiré du néant le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve contenu; qui a fait briller le soleil et qui a orné le ciel d'étoiles; qui a rempli les eaux de poissons, la terre d'animaux et les airs d'oiseaux; à l'ordre duquel la terre se couvre de plantes, les arbres de fruits et les vignes de raisins; dont la main a produit le genre humain; qui enfin a donné à cet homme, son ouvrage, toutes les créatures pour lui obéir et pour le servir. >>

Mais quoi que la reine pût dire, l'esprit du roi n'en était point ému, et il répondait : « C'est par l'ordre de nos dieux que toutes choses sont créées et produites; il est clair que votre Dieu ne peut rien, et même il est prouvé qu'il n'est pas de la race des dieux. » Cependant la pieuse reine présenta son fils au baptême; elle fit déco

1 Gesta rerum Francor., c. 11; FREDEGAR, c. 17.

2 FREDEGAR. Chron., c. 18.

rer l'église de voiles et de tapisseries, pour que cette pompe attirât vers la foi catholique celui que ses discours n'avaient pu toucher. Mais l'enfant baptisé sous le nom d'Ingomer, mourut dans les aubes mêmes de son baptême, c'est-à-dire dans la semaine où, comme néophyte, il devait être vêtu de blanc. Le roi, aigri par cette perte, faisait à la reine de vifs reproches, et disait : « Si l'enfant avait été consacré au nom de nos dieux, il vivrait encore; mais comme il a été baptisé au nom du vôtre, il n'a pu vivre. >>

La reine eut ensuite un second fils, qui reçut au baptême le nom de Clodomir. Cet enfant étant malade, le roi disait : « Il ne peut arriver à celui-ci autre chose qu'à son frère, c'est-à-dire de mourir aussitôt après avoir été baptisé au nom de votre Christ. » Mais le Seigneur, dit l'archevêque de Tours, accorda la santé de l'enfant aux prières de sa mère 1.

On peut juger, par ces détails d'intérieur, du zèle avec lequel Chlotilde accomplissait sa mission de propagande; elle ne cessait de supplier le roi de reconnaître le vrai Dieu et d'abandonner les idoles. Cependant Chlovis résistait; il fallut un événement extraordinaire pour le décider. Cet événement fut la bataille de Tolbiac, qui eut lieu près de Zulch ou Zulpich, dans le pays de Juliers, en 496. Les Allemans et les Suèves avaient fait une irruption dans les États de Sighebert, roi des Ripuaires. Chlovis vola au secours de son parent. Alors eut lieu cette fameuse bataille, où les Allemans furent vaincus et mis en déroute.

La tradition rapporte que la victoire parut d'abord indécise; les deux armées combattaient avec un égal acharnement; celle des Francs allait être taillée en pièces. Alors Chlovis, par une subite inspiration, leva les mains vers le ciel et s'écria : « Jésus-Christ, que Chlotilde affirme être le fils du Dieu vivant, qui, dit-on, assistes dans les périls et accordes la victoire à ceux qui espèrent en toi,

1 GREGOR. TURON., lib. II, c. 29.

j'invoque avec dévotion ton glorieux secours; si tu m'accordes la victoire sur mes ennemis, et que je fasse l'épreuve de cette puissance dont le peuple qui t'est consacré dit avoir reçu tant de témoignages, je croirai en toi, et me ferai baptiser en ton nom car j'ai invoqué mes dieux, et je vois bien qu'ils m'ont refusé leur appui. » A peine avait-il prononcé ces paroles, que les Allemans tournèrent le dos et prirent la fuite 1.

Quand la reine sut ce qui s'était passé sur le champ de bataille de Tolbiac, elle en avertit saint Remi, qui jugea le moment favorable pour agir sur l'esprit du roi et l'engagea à se convertir. Chlovis hésitait; il craignait d'être abandonné par les Francs, qui ne voudraient pas renoncer à leurs dieux. Il rassembla ses guerriers, chercha à les convaincre, et lorsqu'il se fut assuré l'assentiment du plus grand nombre, il prit enfin la résolution de se soumettre au baptême. Ragnacaire, son parent, qui jusqu'alors l'avait suivi dans toutes ses expéditions, l'abandonna aussitôt, et retourna avec ses compagnons d'armes à Cambrai, où il avait sa résidence habituelle.

Le baptême de Chlovis était le triomphe de l'influence gallo-romaine. « Ce fut un beau jour pour l'Église catholique, dit M. de Petigny, que celui où elle put faire couler l'eau sainte de la régénération chrétienne sur le front du plus illustre des chefs barbares. Ce triomphe réparait toutes les pertes et consolait toutes les douleurs... La seule nouvelle de son baptême soumit au roi des Francs toutes les cités de l'Armorique et les deux Lyonnaises; son autorité s'étendit sans obstacle jusqu'aux rives de la Loire. D'un bout de la Gaule à l'autre, dit toujours le même auteur, une correspondance active s'établit entre les évêques qui, malgré le partage du territoire gaulois entre plusieurs dominations différentes, se regardaient toujours comme enfants d'une même patrie et membres d'une même Eglise. Saint Remi était le centre auquel

1 GREGOR. TURON., lib. II, c. 30.

toutes ces négociations venaient aboutir. Au sud comme au nord de la Loire, tous les regards se tournaient avec anxiété vers le baptistère de Reims, et lorsque l'heureuse nouvelle, annoncée d'avance à l'impatience du clergé, fut connue dans toutes les provinces, il y eut un concert universel de joie et de félicitations 1. »

Les principaux évêques, même ceux des contrées soumises aux ariens, adressèrent à Chlovis des lettres de félicitation. Celle qui lui fut écrite par Avitus, évêque de Vienne, caractérise parfaitement l'impression que cet événement produisit sur les chefs de l'Église : « Enfin, dit-il, la divine providence vient de trouver en vous l'arbitre de notre siècle. Tout en choisissant pour vous, vous décidez pour nous tous. Votre foi est notre victoire... Poursuivez vos triomphes; vos succès sont les nôtres, et partout où vous combattez, nous remportons la victoire 2. »

Le pape Anastase exprime les mêmes idées : « Nous voulons faire savoir à Ta Sérénité, dit-il, toute la joie dont notre cœur paternel est rempli, afin que tu croisses en bonnes œuvres, et, nous comblant d'allégresse, tu sois notre couronne, et que l'Église, notre mère, se réjouisse d'avoir donné à Dieu un si grand roi. Continue donc, glorieux et illustre fils, à réjouir ta mère; et sois pour elle une colonne de fer, afin qu'elle te donne à son tour la victoire sur tous tes ennemis. Pour nous, louons le Seigneur d'avoir ainsi pourvu aux besoins de son Église, en lui donnant pour défenseur un si grand prince, un prince armé du casque du salut contre les efforts des impurs 3. »

Nous ne savons pas quelle fut l'impression produite par cet événement sur les populations franques de nos contrées; mais si l'on en juge par la retraite de Ragna

1 PETIGNY, t. III, p. 41, 31.

2

AVITI, épist. 41.

3 Épist. Anastasiæ papœ.

R. T.

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