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NOUVELLES LETTRES

SUR

L'HISTOIRE DE BELGIQUE.

.

I

CHLOVIS, SON MARIAGE ET SA CONVERSION.

Nous avons entrepris depuis longtemps d'exposer quelques parties de l'histoire de Belgique au point de vue barbare, ou, pour parler plus exactement, au point de vue de la nationalité franque. Des études plus approfondies nous permettent aujourd'hui de reprendre ce travail, momentanément suspendu, et d'ajouter de Nouvelles lettres à celles que nous avons déjà publiées. Nous commencerons par nous occuper de Chlovis, de son mariage et de sa conversion. Ce sujet n'est pas étranger à la Belgique, bien qu'il appartienne aussi à l'histoire de France car Chlovis était avant tout le roi des Francs Saliens; les contrées de la Gaule romaine sur lesquelles il étendit sa domination ne formaient pas un État distinct; elles furent seulement annexées au royaume dont la Belgique était la partie principale.

A l'époque de l'avénement de Chlovis, la Gaule avait été ravagée, pendant plusieurs années, par les Alains, les Vandales et les Suèves. Un auteur contemporain dit que,

si l'Océan se fût débordé dans ce pays, ses eaux n'y auraient pas causé tant de dommages. Peu de temps après, les Allemans s'emparèrent des bords du Rhin, depuis Bâle jusqu'à Mayence. Les Burgondes se rendirent maîtres de l'Helvétie, d'où ils s'étendirent dans les pays des Séquanais et des Eduens jusqu'à la Loire et l'Yonne. Ataulphe, roi des Visigoths s'empara de Narbonne et de Toulouse; il vint ensuite établir sa résidence à Héraclée, sur la rive droite du Rhône, entre Nîmes et Arles. Les Saxons, qui depuis longtemps faisaient des incursions sur les côtes de la Gaule, entrèrent dans la Loire jusqu'aux grandes îles voisines de Saumur et d'Angers. Les Francs Ripuaires, remontant le cours du Rhin et de la Moselle, vinrent occuper Trèves. Les Saliens étendirent les limites de leur territoire jusqu'à la Somme. Enfin, le chef de Huns, Attila, à la tête de cinq cent mille hommes, d'autres disent sept cent mille, envahit la Gaule par le haut Rhin; il traînait à sa suite une foule de barbares du Nord et de l'Est, des Huns, des Ruges, des Gépides, des Hérules, des Turcilinges, des Bellonotes, des Gélons, des Neures, des Ostrogoths, des Marcomans, des Quades, etc. Ces bandes traversèrent la Germanie supérieure, aujourd'hui l'Alsace, et parcoururent les vastes contrées comprises entre le Rhin, la Seine, la Marne et la Moselle; elles achevèrent d'y détruire ce qui avait échappé aux Vandales, aux Suèves et aux Alains, et puis elles s'avancèrent vers la Loire pour aller mettre le siége devant Orléans. Toute la Gaule prit les armes, c'est-à-dire les Visigoths, les Francs, les Burgondes, les Armoriques, les Ripuaires, les Saxons, les Sarmates et les Alains de la Gaule. Les barbares des invasions précédentes s'insurgèrent contre les barbares nouveaux venus, et parvinrent à les chasser. La rencontre eut lieu dans les plaines de la Champagne; elle fut sanglante; Attila vaincu fut obligé de battre en retraite.

Nous nous sommes demandé ce qu'étaient devenus les Gaulois au milieu de cette immense orgie de peuples étrangers, et voici ce que nous avons découvert les

grands s'étaient faits prêtres ou évêques, et les petits... bagaudes, c'est-à-dire vagabonds vivant de vol et de pillage. On sait que la bagaudie ne différait en rien de la jacquerie du XVIe siècle; elle avait pour objets le massacre des riches, des nobles, des fonctionnaires, le pillage des châteaux, l'attaque des villes, les brigandages sur les routes. Les hommes éminents de la Gaule, les hommes politiques surtout, s'étaient emparés des siéges épiscopaux, seule position dans laquelle ils pussent encore exercer quelque autorité sur leurs compatriotes.

Sidonius Apollinaris, par exemple, avait été préfet de Rome avant de devenir évêque. Il abandonna sa préfecture par crainte d'événements qui semblaient se préparer dans la capitale de l'empire. Il se retira en Auvergne, sa patrie, où sa famille était toute-puissante, et lorsque le siége de Clermont fut vacant, il se fit élire évêque, bien qu'il fût laïque et marié. « C'était, dit M. de Petigny, un homme du monde, un littérateur aimable, un grand seigneur d'un caractère honnête, mais faible, aimant les plaisirs délicats, le luxe et tous les agréments de la vie. Il serait même difficile de trouver dans ses écrits, avant cette époque, une seule trace de sentiments chrétiens; ses poésies sont tout à fait païennes, et il semble n'y connaître d'autre dieu qu'Apollon et les Muses 1. »

Le beau père de Sidonius, le sénateur Avitus, comme lui originaire d'Auvergne, avait été empereur avant d'être évêque. Grégoire de Tours raconte naïvement que parvenu à l'empire, les dérèglements de sa conduite le firent rejeter par le sénat, et qu'alors il fut consacré évèque de Plaisance 2. Presque tous les évêques étaient de nobles

' Études sur l'histoire, les lois et les institutions de l'époque mérovingienne, Paris, 1844, t. II, p. 271.

Avitus enim unus ex senatoribus, et ut valde manifestum est, civis arvernus, cum romanum ambisset imperium, luxuriosæ agere volens, a senatoribus ejectus, ad Placentiam urbem episcopus ordinatur. (Gregor. TURON, Hist. Francor., lib. II, c. 11.).

laïques, ayant occupé des positions éminentes dans le gouvernement. On en cite qui étaient à peine chrétiens au moment de leur élection. Saint Ambroise n'avait pas encore reçu le baptême; il fallut le baptiser pour le faire évêque. Saint Germain, chasseur et guerrier, affectait de braver le culte catholique et pratiquait ouvertement les superstitions païennes 1. L'aristocratie gauloise considérait la dignité épiscopale plutôt comme politique que comme religieuse; elle y cherchait le moyen de se créer des influences fortes et durables. Depuis que les Romains avaient abandonné la Gaule, le clergé se trouvait seul à la tête de la population indigène. Il exerçait sur elle la double autorité de la religion et des magistratures civiles; mais cette autorité était si faible, que les évêques furent obligés de chercher un appui chez les barbares. Ils allèrent au devant de leur domination, leur offrant les services et les conseils dont ils avaient besoin pour l'organisation de leurs conquêtes 2. Saint Remi, archevêque de Reims, qui appartenait à l'une des plus nobles familles de la Gaule, s'empressa, dès qu'il eut apprit la mort de Childéric, d'écrire à Chlovis, alors âgé de quinze ans, une lettre qui nous a été conservée et qui est pleine d'obséquiosité et de conseils bienveillants 3.

Le royaume des Francs Saliens se composait alors de la Belgique jusqu'à la Meuse et de la partie de la Gaule romaine qui y avait été annexée par Chlodion. La Somme était sa limite méridionale. L'organisation politique de ce royaume avait un caractère essentiellement germanique : c'était une fédération d'hommes libres, transformés en seigneurs fonciers, dans les provinces conquises, par la concession de vastes territoires. Les villes mêmes avaient été données aux chefs des guerriers conquérants. C'est ce

1 DE PETIGNY, 1. c. p. 273.

2 FAURIEL, Histoire de la Gaule méridionale, t, 1, 562.

3 Le texte de cette lettre se trouve dans Duchesne, Script. Francor,,

t. I.

qui explique ces sortes de principautés qui étaient occupées par des membres de la famille mérovingienne établie à Thérouanne, à Cambrai, au Mans. Le roi résidait à Tournai; on y a retrouvé le tombeau de Childéric en 1653. Il y avait un autre roi, celui des Ripuaires, à Cologne.

Les Francs s'étaient tenus assez longtemps dans les limites que nous venons d'indiquer. Seulement Childéric, vers la fin de son règne, avait fait, avec quelques compagnons d'armes, une de ces expéditions aventureuses que les auteurs allemands appellent Gefolgschaften. Poussant une pointe dans la Gaule centrale jusqu'à Orléans, il avait assailli les Goths qui voulaient passer la Loire, les Saxons qui s'étaient emparés d'Angers, et les Allemans avec l'aide de Saxons; après quoi il était rentré dans ses foyers. Cette expédition n'avait pas eu d'autre suite.

Lorsque Chlovis succéda à son père, les populations gallo-romaines, depuis la Somme jusqu'à la Loire, reconnaissaient encore l'autorité de Rome, qui était représentée par un noble gaulois du nom de Syagrius, fils d'Egidius. Ce personnage, appelé roi par Grégoire de Tours, patricius par Frédégaire, était venu s'établir à Soissons. Chlovis résolut de le chasser. Il appela à son aide Ragnacaire, qui était à Cambrai, et avec leurs hommes d'armes réunis, ils envahirent les Etats de Syagrius et marchèrent sur Soissons. L'armée gallo-romaine fut mise en déroute; son général prit la fuite et courut jusqu'au delà de la Loire chercher un refuge chez les Visigoths 2. Chlovis vainqueur envahit la Sénonaise, dont toutes les villes se soumirent et reconnurent le pouvoir du roi des Francs.

Ce fut pendant cette guerre que s'ourdit l'intrigue qui devait aboutir au mariage de Chlovis avec une femme chrétienne. Jusque-là les Francs avaient conservé la religion

Cihfflet en a fait une description dans son Thesaurus sepulchralis Childerici I.

2 GREGOR. TURON., lib. II, c. 27.

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