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trouvant leurs propres priviléges envahis ou attaqués par cet état de choses, commencèrent à résister ouvertement à ces projets. En 1269, les nouveaux bâtiments furent ouverts au culte public, et, avec les plus somptueuses cérémonies, les restes d'Edouard le Confesseur transférés, du côté du chœur où ils avaient primitivement été déposés, à la magnifique châsse préparée pour les recevoir derrière le maître-autel. Dans ce temps-là, l'abbaye était considérée comme un asile contre la violence des puissants, et faire du mal à quelqu'un qui s'était réfugié sous ses autels, c'était vouloir attirer sur soi, non-seulement les foudres les plus sévères de l'Église, mais la plus grande punition que la loi pût infliger. Ce fut à l'abbaye de Westminster que la triste veuve d'Edouard IV, mère des trop célèbres enfants d'Edouard, assassinés peu après dans la Tour de Londres, se sauva lorsque Richard III, alors duc de Gloucester, se préparait à usurper la couronne de son jeune neveu Édouard V. La malheureuse mère entra dans le sanctuaire du droit d'asile accompagnée de ses cinq filles et du jeune duc d'York, son autre fils étant déjà entre les mains de Richard et de son parti. En janvier 1502, Henri VII posa la première pierre de la superbe chapelle qui porte son nom, et l'abbaye reçut du même monarque des dons de terres situées dans différentes parties du pays. Mais un changement très-important était sur le point de se faire dans la constitution et les statuts de ce splendide établissement monastique: Henri VIII, après avoir secoué l'autorité papale, résolut de dissoudre les nombreux couvents et autres institutions religieuses qui existaient dans toutes les parties du royaume, et qu'il désignait comme « des forteresses de la superstition romaine. » Le 16 janvier 1539, l'abbé William Bostom et vingt-quatre moines signèrent un document par lequel ils cédaient formellement tous les biens et droits de l'abbaye au roi. Elle avait alors plus de neuf cents ans d'existence dans un état d'indépendance absolue que la plupart des autres monastères n'obtinrent jamais. Ses revenus prove

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nant de dons des hommes les plus renommés et les plus pieux du royaume, les avocats et conseils, même les plus ardents de la réforme protestante, inclinaient peu à l'idée de voir arracher ces possessions au noble sanctuaire par la rude main du pouvoir. Henri VIII se rendit à leurs instances, et l'abbaye de Westminster fut convertie en un siége d'évèché, gouverné par un évêque, un doyen et douze prébendes. L'église devint cathédrale et la maison abbatiale, palais épiscopal. Cet arrangement fut de courte durée en mars 1550, l'évêché fut supprimé par une ordonnance royale; le nom de cathédrale resta, le doyen et le chapitre continuèrent à jouir des revenus et priviléges précédents. La reine Marie réintégra l'abbaye dans sa première condition catholique, apostolique et romaine, et l'abbé de Westminster siégea dans le premier Parlement d'Élisabeth, mais cette princesse elle-même supprima encore une fois le monastère et plaça l'église sous une juridiction semblable à celle qu'elle avait sous Henri VIII. Bientôt après, l'on tenta de la priver du droit d'asile; ces tentatives ne réussirent pas et elle continua à jouir de ce dernier vestige de sa grandeur passée. Lors du triomphe des puritains sur l'infortuné Charles Ier, les services du rite anglican furent supprimés et sept prédicateurs furent nommés, à qui l'on donna un certain salaire tiré des revenus de l'abbaye, et des maisons de chanoines pour résidence. A la restauration de Charles II, en 1660, des mesures furent immédiatement prises pour remettre l'établissement sur son pied primitif, et depuis lors, il n'essuya de revers pour aucune cause politique. Au commencement du XVIIe siècle un subside fut accordé par la Chambre des communes pour une restauration complète, et sir Christopher Wren fut chargé de diriger les améliorations qui devaient être étendues et importantes. En 1803, l'édifice en entier fut menacé par un incendie qui commença dans la lanterne; il fut heureusement conservé et ensuite restauré dans toute sa beauté originelle. Peu de temps après, le Parlement accorda les fonds pour la répa

ration de la chapelle de Henri VII, et c'est au talent et à l'attention laborieuse déployés dans ces divers travaux que l'Angleterre doit la conservation parfaite de cette ancienne et magnifique construction.

La croix latine, la forme favorite des premiers temps, dessine les lignes générales de cette splendide cathédrale, mais les cloîtres et les nombreuses chapelles ajoutées au bâtiment principal modifient beaucoup la simplicité originale du plan primitif. La face ouest, composée du grand portail et de deux tours carrées de deux. cent vingt-cinq pieds de hauteur, est ornée d'écussons, de rosaces et de sculptures. Au milieu, une grande verrière jette un air de splendeur sur ce front, mais sir Christopher Wren, chargé de la restauration complète, a eu le tort aussi impardonnable qu'incompréhensible d'y mêler les styles si opposés d'architecture grecque et gothique. Le côté nord présente une longue suite d'arcs - boutants surmontés de tourelles, des fenêtres ogivales, ornées avec toute l'élégance minutieuse de l'art primitif, et quelques statues qu'on dit être celles d'Edouard le Confesseur, de Henri III, de Jacques Ier, du vénérable abbé Islip. Mais c'est particulièrement le transept du nord qui captive l'attention et qui offre le plus grand intérêt. D'après des historiens de l'abbaye et d'après l'opinion générale, il fut pendant de longues années l'entrée principale. Sous les ombres de son portail ont donc passé les plus somptueux déploiements des pompes ecclésiastiques! L'imposant effet de ces quatre grands arcs-boutants, richement, curieusement ornés, et du portail qui se prolonge très avant dans l'intérieur, déployant de chaque côté les spécimens les plus exquis de statuaire ingénue réclament l'admiration de tous ceux qui ont le bon goût d'examiner ces magnifiques détails. Le portail de l'ouest montre une semblable variété d'ornements; tandis que la ace du sudf, par sa grande rosace, offre un autre caractère de l'édifice, tout aussi frappant et aussi bien approprié. Cette rosace, formée de cercles intérieurs possédant chacun des mou

lures particulières, présente un parfait ensemble de brillantes couleurs et de sculptures délicatement fouillées, sculpteur et peintre s'étant efforcés à l'envi de la remplir des plus beaux échantillons de leur art.

Je ne saurais, mon cher Guillaume, suivre l'architecte ni l'archéologue dans la visite de cet édifice dont le plan est si étendu et si compliqué. Je vais m'occuper de l'intérieur, il ne me reste que peu d'heures, car le gardien viendra m'en chasser au crépuscule.

En entrant par le grand portail de l'ouest, j'ai été frappé de l'extrême beauté de la nef et des longues ailes qui s'étendaient devant moi dans leur calme solennel. Je me trouve rempli d'un nouvel étonnement dans le transept du nord avec les ailes est et ouest et le transept sud (poet's corner ou coin des poëtes), formant de tous côtés une suite continue de sculptures curieuses et de marbres monumentaux. C'est toute une galerie de tombeaux des hommes les plus célèbres de l'Angleterre. Comme église c'est l'idéal de la poésie religieuse! De hardies et majestueuses colonnes, des arcades symétriques, harmonieuses, et des voûtes dentelées se mêlent avec une aisance qui fait croire que l'une s'élance nécessairement de l'autre ou qu'elle en est le complément obligé. Les riches clartés scintillant de mille couleurs à travers les verrières, les grâces architecturales, les mausolées, tout s'harmonise, et cet aspect poétique inspire à l'âme une profonde mélancolie. Ces voûtes dont les arcades ogivales sont si pures et sous lesquelles la lumière n'arrive qu'en demiteinte, lui donnent bien l'apparence de ce qu'elle est réelment, d'une riche et gigantesque tombe gothique!... Rien n'est comparable au spectacle que j'ai devant les yeux!... L'analyse vient après coup et c'est ainsi que je me rends compte de l'effet produit!

Les souvenirs de tous genres, de toutes époques, de toutes grandeurs abondent autour de moi! Comment donc l'imagination pourrait-elle rester froide devant ce sanctuaire qui sert de sépulcre et qui renferme la noble pous

sière des rois, reines, princes d'Angleterre, de la plus fine fleur de la noblesse, des grands amiraux, généraux, gouverneurs, hommes d'État, d'Eglise, de palais, des hautes célébrités de la science, des plus divins poëtes, des plus savants musiciens!... Je passe devant des tombes où je lis avec la plus respectueuse attention les noms d'Isaac Newton, de William Shakspeare, de John Milton, de George Handel, etc., etc.; enfin, j'ai contemplé là avec des émotions diverses au moins quatre cent cinquante tombeaux!...

En sortant, fatigué, abattu, épuisé par cette longue et minutieuse observation, je me blottis dans le coin d'une voiture et je me mets à réfléchir à ce court passage sur la terre qu'on nomme la vie; à ces grands et puissants du monde qui ne sont plus, et à ces marbres tumulaires qui disparaîtront eux-mêmes un jour, dispersés par le souffle destructeur du temps...

Le capitaine ED. LEFILS.

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