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lation dans les rues de Londres est chose impossible à dépeindre.

Après avoir parcouru King William street, au milieu de ces torrents humains qu'on appelle trottoirs, j'arrive à un autre carrefour devant Cornhill. J'aperçois d'abord la statue équestre du duc de Wellington. Cette statue en bronze est d'un dessin correct, d'une exécution parfaite; mais je trouve à l'ensemble un air bonasse fort peu en rapport avec le surnom de « Iron Duc » (duc de fer) qu'on lui donnait généralement. Et notez bien que cheval et cavalier ont ce même air mouton.

A quelques pas en arrière, mon attention est attirée par une charmante et toute coquette « drinking fountain >> (fontaine à boire). Elle est de forme ronde et de ce beau granit d'Écosse, dont j'adore la teinte rosée et le beau poli; trois élégantes petites coupes en argent britannique avec intérieur doré servent aux buveurs, elles sont attachées par des chaînes de sûreté. Cette jolie petite fontaine est surmontée d'un groupe représentant une jeune fille qui renverse son urne dans ses bras et en laisse échapper la boisson naturelle du pauvre diable, qui, après une longue course, dévoré de soif, entrait naguère dans un « gin palace » (palais à genièvre) où, sans l'avoir voulu, il se grisait.

A gauche, le bâtiment de la Banque d'Angleterre. C'est un vaste carré de pierres, une véritable forteresse dont il faudrait faire le siége, et qui est gardée le jour par des milliers d'employés, la nuit par un officier ayant sous ses ordres trente à quarante hommes. M. ....., mon parent, et l'un des directeurs, m'a gracieusement proposé de visiter cet établissement.

En entrant nous trouvons d'immenses bureaux où s'opèrent toutes les actions de la banque, échange de valeurs, etc. Nous sonnons à une porte à droite... C'est le bureau de vérification des monnaies; j'y vois une balance aussi ingénieuse que rapide on place une longue pile de pièces d'or dans un tube ou chenal d'une incli

naison de 45 à 50°; leur propre poids les fait descendre; la première arrive sur un petit triangle qui sert de plateau; si elle a le poids légal, la bascule s'abaisse, une tige placée à droite la frappe et ce coup la fait tomber à gauche dans un tiroir; si elle est trop légère, usée ou altérée, le triangle s'élève, une tige placée à gauche pousse la pièce et la fait tomber à droite; les pièces trop légères sont ensuite coupées et livrées à la fonte. Ce petit mécanisme, simple, facile, transportable, peut fonctionner vingt à vingt-cinq ans avec la plus grande précision; un seul homme peut en desservir plusieurs. Nous traversons divers ateliers. Depuis le papier qu'on y découpe, jusqu'à l'impression des derniers numéros inscrits d'après des séries de lettres et de chiffres sur chaque banknote, sur chaque check, tout s'y fait à l'aide de mécaniques des plus simples; la preuve même de leur ingénieuse simplicité, c'est qu'on n'y emploie guère que des garçons de douze à seize ans. Quatre cadrans différents, fixés aux côtés et dont les aiguilles sont mises en mouvement par la machine elle-même, indiquent par unités, dizaines, centaines, mille, le nombre d'exemplaires qui y ont passé. Tout cela me frappe par le merveilleux du génie inventeur ! Dans d'autres ateliers, on ligne, on trace, on relie des cargaisons de grands-livres qui servent aux diverses succursales de la banque dans toutes les villes du royaume, dans ses immenses possessions. Ici, des commis fonctionnant euxmêmes avec la précision des mécaniques, comptent et recomptent des liasses de billets dont ils forment des paquets qu'ils superposent. Plus loin, un gentleman nous montre la signature et ensuite la griffe ou fac-simile de cette signature que l'on appose sur chaque banknote. Un autre exhibe un grand-livre, nous l'ouvrons, chaque feuillet est formé d'un billet de mille livres (one thousand), signé qui par Louis-Philippe Ier, qui par le roi Léopold, le roi de Portugal, le roi de Prusse, le roi d'Italie; j'en remarque particulièrement un signé Louis Bonaparte et portant la date de 1847!... Tous les souverains, souve

raines, princes, grands-ducs, archiducs, diplomates, grands capitaines qui ont visité la banque y ont faissé leur signature. On ouvre une porte en fer, nous sommes dans une tour à l'épreuve du feu. Vous croiriez être dans une boutique de papiers bien fournie, dont tous les rayons sont garnis? Vous êtes dans le fond de réserve des immenses valeurs en banknotes et en checks pour tout le RoyaumeUni, pour ses diverses possessions et pour l'Inde. Il y a là de quoi acheter bien des royaumes!...

Entre Thread needle street et Cornhill se trouve « the Royal Exchange » (la Bourse royale). Cet édifice avantageusement placé, forme le fond de la place ou carrefour au centre duquel est la statue du duc de Wellington, devant Cornhill. Il est entièrement neuf et construit en lieu et place de celui qui fut incendié en 1838. La façade est un grand péristyle de belles proportions, huit colonnes d'ordre corinthien, avec fûts lisses, soutiennent un fronton dont le tympan est recouvert d'un magnifique basrelief. Sur l'architrave, on lit l'inscription suivante : ANNO. ELISABETH.E. R. XIII. CONDITUM. ANNO. VICTORIÆ. R. VIII. RESTAURATUM. Le péristyle est élevé; on y arrive par une dizaine de marches; cette élévation ajoute à la sévère grandeur du monument et l'empêche d'être écrasé par les superbes constructions qui l'entourent. La cour intérieure est entourée de galeries ouvertes soutenues par des colonnes pour servir d'abri dans les mauvais temps. La façade de derrière est surmontée au centre d'un clocheton à jour terminée par une petite coupole. Un premier bâtiment en briques fut d'abord élevé aux frais de sir Thomas Gresham en 1566; l'ouverture se fit avec des cérémonies somptueuses en présence de la reine Elisabeth, de là son nom de Royal Exchange. Il fut détruit par l'incendie de 1666, rebâti avec plus de magnificence, de nouveau incendié en 1838; immédiatement reconstruit, il fut inauguré en 1844.

Je me dirige vers Cheapside, et, après avoir admiré une belle statue en bronze de sir Robert Peel, le grand mi

R. T.

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nistre tory, je tourne à gauche et j'arrive devant la cathédrale Saint-Paul.

La cathédrale Saint-Paul est encore une des surprenantes et splendides productions du génie de sir Christopher Wren. Elle fut commencée en 1675 et terminée en 1710. Les fondations furent jetées sur l'emplacement de l'ancienne cathédrale qui occupait une superficie de deux acres et demi, l'église actuelle couvre deux acres et seize perches. Cette imposante masse, de proportions si colossales, sans rivaliser avec Saint-Pierre à Rome, lui ressemble. Elle est en forme de croix grecque et remarquable surtout par la richesse des proportions et la simplicité de l'architecture. On peut désigner le chef-d'œuvre du grand architecte anglais comme un des plus beaux spécimens de l'architecture moderne.

Les descriptions ne suffisent pas à donner une idée du magnifique ensemble que présente ce monument, dont toutes les parties concourent merveilleusement à produire l'effet le plus harmonieux. L'esprit du visiteur le plus vulgaire doit être frappé d'admiration à sa vue. A l'intersection des bras de la croix s'élève une rotonde entourée de colonnes, couverte d'un dôme immense qui n'a pas moins de 101 pieds de diamètre. Après celui du Panthéon à Rome, qui a 134 pieds, celui de Saint-Pierre à Rome, 130, de Sainte-Marie-des-Fleurs à Florence, 130, et des Thermes de Caracalla à Rome, 105, c'est le plus grand diamètre connu. Sir Christopher Wren a construit sa coupole sur un plan octogone, de sorte qu'il a eu huit pendentifs au lieu de quatre, ce qui lui a donné la facilité, en multipliant ses points d'appui, de leur donner plus de légèreté sans diminuer la force nécessaire à la

Parmi les œuvres remarquables de ce maître, il faut citer l'église de Saint-Étienne (Walbrook); Sainte-Mary-le-Bow (Cheapside); SaintMichel (Cornhill); Saint-Bride (Fleet street); le Monument (Fish street hill), etc., l'achèvement de Greenwich hospital, la restauration complète de Westminster abbey.

solidité du dôme. La façade de l'ouest est la plus ornée, la plus monumentale, c'est le portail. On arrive par dix ou douze marches sous un beau péristyle formé de huit colonnes doubles d'ordre corinthien 1. Au-dessus est un portique de quatre colonnes doubles du même ordre, portant sur l'architrave un fronton avec bas-reliefs et au-dessus de la corniche de belles statues de Saint-Paul, SaintPierre et Saint-Jacques. Aux deux côtés s'élèvent d'élégantes tours formées de galeries de colonnes avec entablement, surmontées de gracieux campaniles et terminées par des vases de flammes.

L'édifice, construit en pierres de Portland, enserré de toutes parts dans la plus grande agglomération de la plus populeuse cité de l'univers, est noirci par toutes les impuretés de la fumée si dense du charbon anglais, des brouillards et de la vapeur. Sa longueur de l'est à l'ouest, entre les murs, est de 510 pieds; sa largeur entre les transepts est de 285 pieds. Le chœur a 165 pieds de long. La hauteur totale du sol au faîte de la croix est de 356 pieds. La circonférence intérieure du dôme est de 320 pieds.

L'autel est orné de colonnes cannelées de couleur bleue et veinées d'or comme du lapis-lazuli. Il y a de chaque côté trente stalles en chêne sculpté et, en outre, deux trônes; l'un du côté sud de l'autel, pour l'évêque de Londres, l'autre du côté nord, pour le lord-maire. Du même côté, vers le milieu, sont des orgues richement ornées de sculptures. D'autres orgues plus puissantes, et dont le mécanisme est mû par l'eau, se trouvent dans le transept sud-est. Au-dessous est un escalier qui mène en haut, il a 280 marches jusqu'à la fameuse galerie de l'écho, 534 jusqu'à la galerie dorée et 616 jusqu'à la boule qui couronne le dôme; on arrive d'abord à la librairie, qui,

1 Il y a bien quelque chose à redire sur cette disposition de colonnes doubles, mais une colonnade simple aurait-elle suffi à ce plan gigantesque, n'eût-elle point paru mesquine?

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