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de rendre hommage à son courage comme à celui de ses compagnons. Le journal des planteurs imprimé à Brownsville, et dévoué au succès de Carvajal, a dit dans son récit : « Macedonio Capistran, distinguant le côté faible de l'attaque, massa promptement les Tirailleurs del Bravo;..... l'audace héroïque des Matamorosiens fit tourner la marée, et arrêta l'ennemi dans sa victoire, avec un massacre comme il en existe rarement pour teindre les annales de la guerre 1. »

L'ennemi, retiré à l'étage, semblait à Macedonio trop loin de ses coups. Il donne l'ordre d'enlever l'escalier à la baïonnette. Ses officiers, fatigués de cette lutte affreuse, rassasiés de carnage, jugeaient que l'instant était venu de faire quartier, et de permettre aux rojos de se rendre. Rappelant, mais avec quelque chose de plus noble, le mot historique de Brissot, ils ont épargné Morange! le passionné Capistran s'écrie : « Je n'ai pas encore trouvé Peña! >>

Il ne devait pas le rencontrer. Manuel de la Peña, blessé au visage, à l'épaule, àu bras, combattait à la tête d'une colonne qui cherchait à s'ouvrir un chemin par la rue du Commerce. Il avait saisi la carabine d'un soldat, et mêlé aux siens, les habits et les mains teints de son propre sang, il faisait le coup de feu devant les barricades. Il témoignait par son exemple que, chez ce peuple fraîchement sorti de l'état sauvage, la bravoure est de tous les partis et de tous les rangs.

Sur d'autres points, les officiers qui commandaient les colonnes des assaillants, avaient été tués dès le début de l'attaque. Leurs troupes se battaient sans direction. Carvajal apprit, vers dix heures du matin, ces accidents fâcheux, et le désastre de l'église. Plus intrigant que guerrier, placé devant le gouvernement général dans la situation d'un traître, ayant d'ailleurs six cent mille francs à manger au Texas, il conclut en peu d'instants d'en rester là, et d'abandonner la lutte. Ses officiers et surtout ses conseillers américains le pressaient de relever la fortune de son drapeau. La journée était à peine commencée; si Canales était annihilé, Peña se maintenait. Près de mille hommes n'avaient pas encore été engagés, et pouvaient, devaient même, enlever la victoire. Pour toute réponse,

1 The Fort Brown's Flag, 27 février 1862.

l'aventurier passa dans la salle voisine, et buvant à même d'une bouteille d'eau-de-vie, il se mit hors d'état d'entendre les reproches ou de suivre les conseils.

Tel était l'homme sur lequel les planteurs se reposaient dans leur ambition et leurs espérances. On a des serviteurs dignes de soi.

En résumé, la victoire demeura à la bourgeoisie; mais elle lui coûta des flots de sang. Le gouverneur Serna perdit le pouvoir; l'autorité suprême de Vidaurri fut accepté, et le rétablissement de l'esclavage devint impossible à jamais.

Chacun jugera, au fond de son cœur, ceux qui, dans le but impie de « l'extension de la servitude, » ont envenimé les querelles de cette population inexperte et naïve; qui ont fait passer aux aventuriers de l'argent, de la poudre, des canons; et pour qui enfin une malheureuse ville étrangère a été mise trois mois à feu et à sang. Ces blessés que j'ai vus dans les hôpitaux, ces jeunes gens estropiés pour le reste de leurs jours, ces centaines de familles en deuil dans une petite bourgade, tout semble dire: ici fut commis un grand crime.

Si les philanthropes fêtent la date mémorable du 29 juillet (1829), où fut décrétée l'abolition de l'esclavage au Mexique, ils pourront y ajouter maintenant celle non moins célèbre du 24 février (1862). Ce jour-là l'esclavage a été en quelque sorte aboli pour la seconde fois. Il serait rentré victorieux, plus dur, plus arrogant, plus terrible qu'il n'était jadis. Rétabli après une expérience abolitioniste de trente ans, il eût paru le dernier mot des essais politiques sous les climats chauds, et la forme fatale, désormais invariable, des sociétés américaines.

Rien pourtant n'eût été plus faux que ce raisonnement. Les nègres affranchis vivent au milieu des populations mexicaines, sans qu'il s'élève une plainte contre eux. Ils montrent certainement plus d'ardeur au travail et plus de prévoyance que les indigènes rouges et bruns. Les femmes négresses, qui joignent la vigueur et la tempérance à l'assiduité au travail, peuvent servir de modèles aux Mexicaines, et peut-être à plus d'une blanche émigrante. La race nègre, instruite par le besoin et par de nouvelles conditions de la vie, se relève ici du reproche d'incapacité native.

Aucun motif n'existait donc pour reprendre à ces citoyens

la liberté dont ils ont joui trente années, et dans laquelle sont nés leurs enfants. Il n'y avait qu'un désir coupable d'étendre le fameux système défini par les publicistes du Sud : « réduire l'homme de travail à la condition de bête de somme. » C'était une tentative de propagande spéculative rien de plus, et rien de moins.

Ne payerons-nous pas, en terminant, un tribut d'hommages à cette petite ville de Matamoros qui, toute seule, a arrêté le flot montant de la marée? Le hasard de la situation géographique l'avait désignée pour point de mire. L'indifférence politique des populations mexicaines devait en faire une proie aisée. Mais dans son bon sens pratique, dans les simples lumières de son cœur, le peuple de Matamoros a compris que dans cette circonstance, il ne s'agissait pas de ses partis usés, ni de don Jésus de la Serna ou du général José Carvajal. Ses vieux instincts de sauvage lui ont dit que la cause en balance était celle de la liberté personnelle, et sentant rallumer dans ses veines le feu qui soutenait ses pères dans leurs plus terribles luttes, il a combattu en héros.

Matamoros peut porter à bon droit le titre d'héroïque qu'elle prend sur son écusson, et cette fois encore, à l'exemple de Péronne la pucelle, elle peut y ajouter le surnom d'invaincue .

J.-C. HOUZEAU.

1 Les actes officiels sont datés: heroica, leal e invicta Matamoros.

N. B. Notre Correspondance d'Amérique, bien que datée du 18 juillet, ne nous est parvenue que le 19 octobre, au moment où s'achevait le présent volume, auquel nous nous sommes empressé de l'ajouter. Une lettre particulière accompagnant la Correspondance nous apprend que notre ami et collaborateur Houzeau n'avait plus eu de nouvelles de l'Europe, ni lettres ni journaux, depuis quinze mois.

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