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M. Amédée Roux, qui s'imagine connaître sa langue aussi bien qu'il connaît les Belges, reprend les traducteurs de Prescott d'avoir écrit : « aimer de faire......., » « tarder de causer une sen»sation; » il ne paraît nullement se douter qu'il y ait une nuance appréciable entre aimer à et aimer de, tarder à et tarder de. Il souligne « dans l'entretemps, » pensant, selon toute apparence, qu'entretemps est un simple adverbe. « Un corps de Turcs » placèrent des échelles » lui offre une nouvelle matière à critique : il aurait voulu plaça, probablement selon quelque grammaire nouvelle que nous n'avons pas le bonheur de posséder en Belgique. Tout cela avec une naïveté, une candeur qui confondraient le bonhomme Lhomond lui-même.

Voilà pour la science. Examinons si par hasard le style de l'écrivain n'est pas meilleur que sa théorie. Philippe II, dit M. Amédée Roux, « ne fut lui-même pas autre chose qu'un >> inquisiteur couronné. » En Belgique nous dirions: ne fut autre chose... mais l'expression parisienne a une saveur bien plus relevée, qui échappe à nos sens grossiers. A un autre endroit s'animant au récit des persécutions ordonnées par Philippe II, il s'écrie : « Pour raconter de sang-froid de » pareilles horreurs, il faut avoir l'âme trempée d'un triple « bronze. » Qu'est-ce à dire? Entendons nous. Si c'est une allusion à l'œs triplex d'Horace, elle se comprendra malaisément avec le mot trempée, car Horace parle d'un triple bouclier, et il n'a pu songer à y « tremper » le cœur ou l'âme. Si c'est une autre allusion au procédé chimique de la trempe, ce procédé concerne l'acier, et non le bronze ni « un triple bronze. » D'autre part, ce n'est pas l'acier qui trempe, dans le sens actif, mais qui est trempé, et cela dans un liquide qui n'a pas le moindre rapport non plus avec un bronze, fût-il simple et non triple. L'auteur lui-même, croyons-nous, en s'engageant à cet égard dans une explication, s'y perdrait aussi vite que nous.

Il est à supposer, se dira-t-on, que ce M. Amédée Roux est plus fort dans sa critique que dans sa grammaire et dans son style. Voyons donc.

Ayant cru remarquer quelque exagération dans une assertion de Prescott relative à l'ancienne prospérité de la Flandre, assertion qui, pour le dire en passant, est parfaitement justifiée, M. Amédée Roux conclut par cette réflexion qui a la pré

tention d'être fort piquante à l'endroit des Américains : « ..... la » nationalité d'un historien se trahit toujours par quelque coin, » et ce n'est pas pour rien qu'on est le compatriote de » M. Barnum. » Comme cette assimilation de Prescott à Barnum est ingénieuse! et digne surtout de la haute critique!

Plus loin nous lisons : « Ses défauts sont ceux de la jeune » Amérique dans le développement excessif accordé à certains » épisodes, on retrouve l'exubérante végétation des forêts » vierges du nouveau monde. » Quel bonheur qu'il y ait des forêts vierges dans le nouveau monde, pour fournir à M. Amédée Roux une si brillante image! Mais quel malheur pour M. Amédée Roux que ces forêts vierges ne soient pas du tout dans la patrie de Prescott, et que le nouveau monde soit une expression géographique comprenant toutes les latitudes du globe! Que diraiton, par exemple, d'un critique américain appréciant de la sorte le style de M. Amédée Roux : « Ses défauts sont ceux de la jeune Europe : dans la pauvreté de certaines pensées on retrouve la végétation maigre et souffreteuse des steppes de l'ancien monde? >>

<< Mais quel que soit le talent d'un écrivain, ajoute M. Amédée » Roux, on peut dire qu'il manque quelque chose à sa réputa» tion, tant que ses œuvres n'ont point été traduites dans la » langue qui est par excellence celle du continent européen. »

On devine qu'il s'agit de la langue française, car M. Amédée Roux est Français. Nous disions en commençant que les plus grands écueils de l'historien sont ses préjugés à l'endroit des peuples étrangers. Ces écueils se rencontrent également dans la critique, et nous tenons pour indignes de la critique véritable, sensée, sérieuse, ces fades adulations d'un peuple par luimême, ce dénigrement perpétuel de tout ce qui n'appartient pas au rayon d'une certaine capitale.

Heureusement pour la France, M. Amédée Roux et la Correspondance littéraire ne représentent pas plus la critique française, que la langue de M. Amédée Roux n'est par excellence celle du continent européen.

EUGÈNE VAN BEMMEL.

CORRESPONDANCE D'AMÉRIQUE.

Victoria, État de Tamaulipas (Mexique), le 18 juillet 1862.

La croisade aussi funeste qu'inconsidérée, entreprise par les planteurs des États-Unis pour « l'extension et la perpétuité de l'esclavage,» a déjà été fertile en épisodes qui en peignent le vrai caractère. Mais beaucoup d'événements, accomplis dans l'obscurité de la nuit, ou dans les solitudes profondes des campagnes, demeureront toujours inconnus. Dans les localités reculées de l'Ouest, les souvenirs s'affaibliront, dans la mémoire des témoins, avant d'être recueillis par les narrateurs. Tous les regards sont tournés d'ailleurs vers les principaux points de combat; et l'historien en puisant plus tard aux sources officielles, ne verra qu'une lutte militaire dans un mouvement qui, au fond, constitue le plus grand et le plus terrible des efforts jamais tentés pour l'abaissement du travailleur et pour son assimilation à la bête de somme.

Les actes militaires des États-Confédérés ne sont qu'une manifestation extérieure. C'est à l'intérieur qu'il conviendrait de voir agir l'aristocratie américaine, marchant d'un pas ferme à l'asservissement de toute la population blanche qui ne possède point de terres. Non contents d'appliquer chez eux leurs théories de castes et de servitude, les planteurs avaient tourné les yeux vers le Mexique. Dans ce pays sans journaux, sans voix, sans écho dans le monde, ils pouvaient penser qu'une tentative criminelle entre d'autres resterait sans être aperçue. Dûtelle échouer, le souvenir s'en fût perdu dans la masse des faits, plus importants en apparence, qui se passaient ailleurs en même temps. Le bruit du combat pourrait être entendu au loin, mais c'était une attaque sans témoins, dont les motifs et le caractère resteraient inconnus à l'histoire.

Amené, par l'enchaînement de diverses circonstances, sur le théâtre de cet épisode, l'un des plus caractéristiques d'une lutte d'envahissement et de propagande d'un genre nouveau, je regarde comme un devoir d'en rapporter les traits sommaires.

Le Mexique, après avoir passé par bien des épreuves, jouissait enfin d'un état de paix et de tranquillité. Cette nation, récemment sortie de la vie sauvage, commence à s'initier aux arts de la civilisation, et paraît en goûter les douceurs. Il ne lui faut qu'un peu plus de discernement politique, une plus haute estime des vertus publiques et privées, pour prendre un brillant essor et marcher de pair avec son émule américaine. Mais cette période de repos après de longs déchirements, cette perspective de progrès social, n'ont pas trouvé grâce auprès des planteurs du Sud. Il leur a semblé, au contraire, qu'ils puiseraient des chances favorables dans le souvenir des anciennes dissensions, et dans l'indifférence des habitants pour des formalités politiques par lesquelles on a pris l'habitude de les tromper. Ils firent tous leurs efforts pour susciter une nouvelle lutte intérieure, dont ils espéraient bien retirer de grands avantages, à la fois matériels et moraux.

Semer la discorde dans un pays à peine sorti des épreuves d'une transformation sociale, offrait une tâche aisée. Entre les petites querelles de coteries qui préoccupent sans cesse les fonctionnaires mexicains, le seul embarras était de choisir. Des élections avaient eu lieu en juillet (1861) dans l'État de Tamaulipas; le résultat était contraire à la faction des rojos alors au pouvoir, et favorable à celle des crinolinos. Le gouverneur Jésus de la Serna se voyait remplacé par son plus chaud adversaire. L'assemblée législative, qui dépouilla les procèsverbaux d'élections, trouva quantité de motifs pour annuler les opérations, et ordonna de recommencer le vote.

De nouveaux comices furent donc tenus en septembre, et cette fois les amis de Serna s'arrangèrent de façon à ne point être battus. Ils falsifièrent les chiffres dans les hameaux où ils n'avaient pas d'adversaires, au point d'attribuer souvent, à leur candidat, plus de votes qu'il n'existait d'électeurs. L'assemblée feignit de prendre au sérieux ces procès-verbaux, et la réélection de Serna fut prononcée.

Contre cette décision passablement impudente, les villes

protestèrent. Cependant l'effervescence se serait bientôt apaisée, si les personnes des candidats eussent été seules en jeu. Mais la sympathie subite et bruyante que les planteurs américains témoignaient aux rojos par-dessus la frontière, donnait à réfléchir aux habitants du Mexique. Des bruits confus circulaient de l'établissement prochain d'un nouvel ordre de choses, d'une réunion aux États-Confédérés, du rétablissement de l'esclavage. Tampico et Matamoros, les deux villes importantes de l'État, protestèrent contre une élection frauduleuse, plus énergiquement qu'on ne s'y était attendu. Le gouverneur se montra d'autant plus susceptible qu'il était moins sûr de son fait. Il plaça l'aventurier Carvajal, avec le grade de générel, à la tête des troupes d'État, qui furent considérablement augmentées par des enrôlements volontaires. Il dirigea ensuite ces forces, non vers Tampico, qui était le point important, mais vers Matamoros, où il savait qu'elles obtiendraient toute espèce de secours des Américains de Brownsville.

L'expédition qui partit de Victoria, capitale du Tamaulipas, se composait de cinq cents hommes armés, et de mille recrues pour lesquelles Serna n'avait pas de fusils. Cette troupe peu redoutable avait à sa tête un aventurier, dont le nom s'était trouvé lié une première fois aux malheurs de son pays: José Carvajal, ou plus exactement Caravajal, — car c'est récemment qu'à l'exemple du général Buonaparte il a retranché une lettre à son nom. Il est né en 1817 à San-Antonio (Texas), d'une pauvre femme mexicaine. Élevé jusqu'à sept ans dans la misère, il fut adopté, à cet âge, par un Américain qui n'avait point d'enfants, et qui amassa une fortune. Ses parents adoptifs l'emmenèrent avec eux dans la Louisiane, où le jeune José fut élevé dans une plantation, et vit comment on exploite des noirs. En grandissant, il prit la langue, les mœurs, les idées des planteurs. Sa qualité de Mexicain le fit rechercher, dans plusieurs circonstances, comme interprète. Il eut connaissance, à ce titre, de la plupart des projets de flibustiers, qui se sont toujours tramés dans la ville de New-Orleans, contre les États espagnols de l'Amérique. La guerre de 1848 n'ayant pas amené, au gré des planteurs, une absorption suffisante du Mexique, des banquiers prêtèrent leur appui à des flibustiers, pour organiser une campagne privée. Après différents retards, la petite expédition se

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