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vaincu que pour être poëte, il faut unir la poésie de l'expression à la poésie de la pensée : il faut que le corps soit le digne reflet de l'âme. C'est le seul défaut que nous reprochions à son recueil.

CH. STALLAERT.

De Gemeente onderwyzer, romantisch verhaal, door Mev. Courtmans, geboren Berchmans.

Mme Courtmans tient depuis longtemps une position distinguée dans la littérature flamande; c'est une de ces femmes rares, qui préfèrent l'idiome plantureux de leur pays à la langue française, étrangère au peuple flamand. Elle aime sa langue maternelle avec l'amour et l'enthousiasme d'une femme, avec l'énergie et la raison d'un homme.

Aussi, Mme Ida von Düringsfeld, l'auteur de « Das geistigen leben der Vlamingen » dit-elle (nous traduisons littéralement) : « J'ai entendu prétendre que cette femme n'était surpassée que par peu d'hommes dans l'énergie des opinions flamingantes. Elle pourrait en cela être citée comme exemple. »

Mais cet enthousiasme, cet amour pour sa langue ont naturellement pour but le peuple, son pays et ses saines institutions. Le récit romantique « De Gemeente onderwyzer » (l'Instituteur communal) en témoignera comme ses autres œuvres. Ce roman est une simple narration développée avec assez de charme pour attirer et captiver assidûment l'attention du lecteur. Voici le canevas de cet ouvrage :

Edward Van Dale, élève de l'école normale de Lierre, est nommé instituteur communal à W..., village de la West-Flandre. Il y a à lutter, tout à la fois, et contre les préjugés des paysans et contre maître Savé, directeur d'une école privée. Ce vieux scélérat donne beaucoup de déboires au jeune instituteur. Aidé de deux vieilles filles, dont le temps a considérablement endommagé les intéressantes personnes, il trouve moyen par ses calomnies et son charlatanisme d'exciter les paysans contre son jeune concurrent.

Mais celui-ci a su gagner l'estime du bourgmestre, du notaire et de tous les gens éclairés du village. Il a du reste un grand fond de courage pour lutter contre son ennemi, et ce cou

rage est encore fortifié par l'amitié de sa bonne sœur, véritable type évangélique, et pour l'amour d'Irma, la fille du notaire, d'abord son élève et plus tard son amante. Cependant le notaire est riche, très-riche, et sa fille est destinée à M. Haveland, un notaire des environs qui a le « gousset bien garni. » Quand Irma apprend son sort, elle est sur le point d'en mourir de chagrin. (Scène stéréotypée dans presque tous les romans.) Voilà donc notre instituteur jeté dans de nouvelles perplexités. Sa fâcheuse position se complique encore par une méchante accusation, que tout le village, ou peu s'en faut, lui lance à la tête on le désigne comme étant le séducteur de Mieken Raveschoot, gentille fillette d'un conseiller communal de l'endroit.

Cette cabale était montée par maître Savé. Van Dale s'était rendu à la kermesse d'un village des alentours en compagnie des clercs du notaire et d'une bande de jeunes gars et de jeunes filles. Le soir, au retour, il était resté quelques instants avec Mieken Raveschoot, en arrière de ses compagnons, séduits tous deux par le doux chant d'un rossignol. Ce petit incident fut remarqué par Tonia Proost, une des satellites de maître Savé, lequel en fut promptement instruit. De là, naturellement, la nouvelle alla grossissant de bouche en bouche, si bien qu'avant la fin du jour on montrait le jeune homme au doigt, comme un homme profondément immoral.

Ce coup de langue eut un plein succès: Mieken Raveschoot prit le voile et l'école de Van Dale devint déserte, la misère frappa à sa porte. Cependant, comme le dit si bien Frederika Bremer : « Quand la peine est à son apogée, le salut approche. » Van Dale avait écrit un mémoire sur la situation de l'enseignement primaire en Belgique, et ce travail lui vaut une nomination d'inspecteur cantonal. Orné de ce titre, il est digne d'être le gendre du notaire et obtient la main de sa chère Irma. Il est parfaitement heureux alors, mais bientôt il perd Roosjen, sa bonne sœur, dont la mission était désormais accomplie. Elle avait voulu suivre Mieken Raveschoot au couvent : « Mais Jésus» Christ aimait trop sa fiancée. Il envoya un de ses plus beaux » anges, qui, embrassant la bien-aimée du Seigneur, la porta » jusqu'au ciel, sans se soucier ni des larmes d'Irma, ni de la » douleur d'Edward! »

En esquissant rapidement le canevas de ce roman, écrit généralement dans un style poétique, nous avons été obligé de passer sous silence plusieurs jolis détails. Il y en a cependant, et plus d'un, qui méritent d'être cités et loués. Entre autres, la description réellement navrante d'une « Weezen-verpachting » (location des orphelins) aux moins offrants, usage inique, qui existe encore dans différentes contrées de notre libre pays. Nous n'avons pas parlé non plus de l'orphelin Prudens Kleit, arraché par Van Dale des mains d'un paysan barbare et élevé par les soins de l'instituteur et de sa sœur. C'est au sujet du jeune Kleit, devenu un ingénieur remarquable, que Mme Courtmans fait dire par le bourgmestre, au digne inspecteur :

<< Les talents brillants de l'ingénieur, que vous avez sauvé » de l'esclavage, nous démontrent clairement que mainte » perle précieuse reste enfouie dans le peuple. Faisons notre » devoir : cherchons les joyaux dans le marais le plus impur » de la société, car de là jaillira la lumière la plus éclatante » pour la patrie. »>

L'auteur dit encore quelque part :

<< Liberté d'enseignement! la signification de ces mots est » immense. Quand donc l'État comprendra-t-il que l'enseigne» ment des enfants du peuple belge doit être surveillé? Quand >> aurons-nous l'enseignement obligatoire? Quand le gouverne»ment aura-t-il le droit de vérifier si ceux qui veulent >> instruire les enfants, sont des hommes honnêtes, s'ils n'ont » pas été condamnés pour des attentats scandaleux ? »

On le voit, le roman de Mme Courtmans a des tendances démocratiques et ce qui plus est des pages éloquentes en faveur du progrès dans l'enseignement, le plus pressant de tous à réaliser. Ce sont là de fort belles qualités. Disons maintenant par où le livre pèche le sentiment y fait un peu défaut, les scènes d'amour sont insignifiantes pour ne pas dire plus. Nous avons été surpris de rencontrer chez Mme Courtmans des phrases séraphiques comme celles que nous avons mises plus haut en italiques. On les croirait de l'évêque Langlet, le panégyriste de Marie Alacoque, et non du chantre de Marnix de SainteAldegonde. Le père Hillegeer et Cie font assez de propagande, pour que Mme Courtmans ne les aide pas à détourner notre jeunesse de la voie du progrès au profit de « la vigne du Seigneur. »

PRESCOTT ET LA CRITIQUE FRANÇAISE.

OEuvres de W.-H. Prescott. Histoire du règne de Philippe II, traduit de l'anglais par G. Renson et P. Ithier. 5 vol. in-8°. 1860-1861. Bruxelles, A. Lacroix et Cie; Paris, Firmin Didot frères.

A une époque comme la nôtre, où l'histoire tend à devenir de plus en plus philosophique et à ne voir dans chaque peuple qu'une portion de la grande famille humaine, on comprend que le plus grand écueil de l'historien se trouve précisément dans ce qui faisait jadis son mérite et sa gloire : nous voulons parler du patriotisme exclusif, intolérant, de parti pris. Il en est peu, malheureusement, parmi nos meilleurs historiens modernes, qui aient réussi à concilier parfaitement l'amour de la patrie avec celui de l'humanité, qui aient su rendre pleine justice aux peuples étrangers en lutte avec leurs compatriotes. La vieille Europe est peut-être trop attachée encore à ses traditions de guerres et d'antagonismes pour s'élever jusqu'à ces régions sereines; il faudrait pour cela autre chose que des intentions individuelles et le suffrage de quelques esprits distingués, il faudrait un peuple nouveau, composé des plus purs éléments des anciennes races, ne vivant que par la liberté, ne rêvant que le progrès et ne cherchant dans l'histoire que des enseignements à méditer, non des exemples à suivre. Ce peuple existe, c'est celui des États-Unis d'Amérique, et, quels que soient ses malheurs actuels, c'est encore celui qui nous donne les plus graves et les plus précieuses leçons. C'est là enfin que se trouveront, que doivent se trouver les meilleurs, les seuls véritables historiens de notre époque, et il n'y a dès lors guère à s'étonner de l'immense supériorité de l'Américain Prescott, sur les précédents historiens du règne de Philippe II.

Impartial pour tous les partis, juste et sévère parce qu'il parle au nom de l'humanité, étranger à ces mille petites haines qui se sont perpétuées jusqu'à nos jours entre les peuples, entre les classes sociales, entre les religions et les sectes, entre les races et les dynasties de notre vieux monde, Prescott est par excellence l'historien philosophe. A cette admiration devenue générale pour l'écrivain américain, ne se mêle qu'un regret : : la mort est venue interrompre ce magnifique travail,

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en empêchant même l'auteur d'y mettre la dernière main, de compléter et de couronner son œuvre.

MM. Lacroix et Cie, qui ont pris l'initiative d'une foule de publications importantes depuis quelques années, et dont les services sont appréciés de tout le public de langue française, ont fait entreprendre par deux auteurs belges, MM. Guillaume Renson et Paul Ithier, une excellente traduction de l'œuvre de Prescott. Mais la maison Lacroix, par son activité même, a excité la jalousie de bien des concurrents et en particulier de certains éditeurs parisiens. Cette rivalité, jointe à un esprit traditionnel de dénigrement pour tout ce qui se fait en Belgique, a inspiré à une publication mensuelle parisienne, la Correspondance littéraire, éditée par MM. L. Hachette et Cie, une des plus singulières et des plus impertinentes diatribes qu'il nous ait été donné de lire, à nous, si habitués pourtant à de semblables aménités.

Dans un article intitulé Histoire de Philippe II, de Prescott, et signé Amédée Roux, la Correspondance littéraire, débutant par un amphigourique éloge de Prescott, en arrive, par une transition perfide, à regretter qu'un si bel ouvrage ait été si mal traduit. Puis, relevant çà et là quelques négligences, quelques fautes d'impressions, de véritables coquilles d'imprimerie, le critique ne manque pas d'y voir des «< idiotismes wallons, » et se moque avec plus ou moins d'esprit des «< deux Belges traduisant Prescott « en limousin. »

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Nous ferions grâce à nos lecteurs de ces plates railleries sur « l'atmosphère brumeuse du Brabant » dont l'effet est d'obscurcir le style, et sur la « prétendue nationalité belge » qui empêche nos écrivains de parler français «< par excès de patrio>> tisme; » nous nous bornerions à hausser les épaules en engageant nos compatriotes à en faire autant, si, du moins, M. Amédée Roux et les critiques de même acabit qui nous donnent de si doctes leçons de langue française, voulaient bien joindre l'exemple au précepte. On admet une certaine sévérité chez un écrivain de talent, on comprend l'irritabilité d'un homme de goût, mais ce qui dépasse un peu les bornes, c'est l'outrecuidance pédantesque unie à la plus lourde ignorance, à la plus profonde incapacité. Quelques faits à l'appui et quelques citations sembleront utiles, sinon pour l'édification, du moins pour l'ébaubissement de nos lecteurs.

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