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tion n'est rien à côté de cela. Et d'ailleurs, un tiers, une moitié des enfants des écoles qui n'apprennent que par contrainte, oublient aussitôt ce qu'ils ont appris, parce qu'ici la question morale prime la question de mécanisme. Développons d'abord les sentiments moraux en éveillant la passion du savoir. Certes, la loi de l'instruction obligatoire est bonne, mais dans une sphère limitée; l'orateur ne la combat point, mais elle n'est qu'une portion d'un grand tout auquel il faut s'appliquer sans partager l'homme en deux tronçons, l'un intelligence, l'autre volonté et sentiment, jetant l'un en pâture au maître d'école, l'autre au curé. Suivons l'exemple de l'Angleterre qui est le pays où le plus d'efforts sont faits pour la diffusion des lumières. Ce ne sont pas les 800 mille enfants ignorants de France qui font l'infirmité et la faiblesse de ce pays. Le mal est plus profond et tient aux racines du cœur, à l'aplatissement de l'individu, à l'absence des caractères, et ce n'est pas l'instruction obligatoire, si bonne qu'elle soit, qui sera un palliatif à cet état déplorable.

M. Delemer pense qu'il suffit de chercher un moyen d'attirer les enfants vers l'école, sans l'obligation et sans leur faire perdre de temps. Il faut réunir l'instruction à l'industrie, l'école à l'atelier. La loi réclamée doit interdire l'atelier à l'enfant qui ne va pas à l'école. Les vagabonds seront mis en pension.

M. l'avocat Peemans demande pourquoi, si tout le monde est d'accord sur l'utilité, l'efficacité de l'instruction, on recule devant la proclamation de l'obligation; celle-ci ne frappera jamais que quelques récalcitrants, quelques pères ignorants eux-mêmes ou pleins de mauvais vouloir. Quand la loi aura décrété l'obligation, force sera bien de construire les locaux d'écoles qui manquent, d'augmenter le nombre des instituteurs, d'accroître le budget de l'instruction publique.

Le père n'a pas le droit de mutiler, de séquestrer son enfant dans l'ordre matériel. Il ne l'a point davantage dans l'ordre moral. L'ignorance est une sorte de séquestration de l'esprit. La liberté du père de famille ne peut donc être illimitée. Le père abuserait, s'il voulait forcer son enfant, faible et chétif, à aller travailler avant l'âge de douze ans, en négligeant de lui donner l'instruction. La loi civile actuelle permet de retirer la tutelle au père qui manque à ses devoirs paternels. Ce serait

ici une des applications possibles de ce droit du conseil de famille.

Il y a une fiction qui veut que tout le monde soit censé connaître la loi civile et la loi pénale. Jadis, on publiait les lois partout à son de trompe et de tambour. Mais aujourd'hui on suppose que tout le monde sait lire, et on publie la loi dans le Moniteur et les journaux. Pour être conséquent avec cette fiction légale, il faut au moins exiger de chacun la somme de connaissances nécessaires.

M. Rolin insiste sur les atteintes graves qu'une loi telle qu'on la réclame porterait non pas à une liberté seulement, mais à toutes les libertés. En dehors de cette question, il reste à connaître les moyens d'application et les détails d'organisation du système proposé. Là, même parmi les partisans, il y aura désaccord.

Dans les villes, avant quinze ou vingt années, l'instruction sera générale. Il reste les campagnes; or, dans la commune qui n'a qu'une école, que fera le père, si le maître lui déplaît ? Il sera contraint à l'école obligatoire. N'y eût-il qu'une excep.tion, vous devez en tenir compte et y faire droit. Enfin, il faut des livres pour apprendre à lire. Le maître ne pourra se borner à être une machine, il devra être intelligent, expliquer, commenter le livre. Il inculquera donc à l'enfant certaines idées. Et si elles déplaisent au père, où l'enfant irait-il apprendre ailleurs ce qu'il doit savoir? Et le droit de l'enfant n'est-il pas ici égal au droit du père, et tous deux ne se confondent-ils pas en une même volonté, celle du père?

Quant à l'objection présentée tout à l'heure, que chacun est censé connaître la loi, elle n'implique point l'obligation de l'instruction pour l'enfant, mais l'obligation pour l'État de mettre l'instruction à la portée de tous. D'ailleurs, combien d'entre nous, sachant lire, connaissent toutes les lois!

S'il est naturel qu'on enlève à l'homme, par le fait de sa coexistence en société, une portion de sa liberté individuelle, il faut qu'on respecte absolument les libertés générales et publiques, notamment en ce cas, la liberté de conscience représentée par la liberté de l'enseignement.

M. Mioulet, de la Haye, développe la thèse que l'instituteur accomplit une mission, n'ayant entre les quatre murs de son

école, devant les enfants qu'il dirige, que Dieu et sa conscience pour témoins. Donc pas de danger qu'il abuse de sa position pour chercher à inculquer des idées transcendantes dans une jeune intelligence qui ne saurait du reste les comprendre. Il ne connaîtrait pas son métier et y faillirait gravement.

M. Rolin, dit M. Mioulet, a commencé par nier que la question fût religieuse, et il a conclu en repoussant l'instruction obligatoire par la raison qu'elle pourrait porter atteinte à la liberté de conscience et servir à inculper des idées religieuses déterminées. En Hollande, d'ailleurs, où l'instruction est plus développée, le maître n'a jamais abusé de sa position. Il a une responsabilité trop haute pour faillir à son devoir. Il se borne à enseigner des idées de morale générale. On objecte que lentement tout le monde appréciera assez les bienfaits de l'instruction pour y vouloir participer sans contrainte. C'est une erreur, car en Hollande on a fait des démarches personnelles qui n'ont pas abouti auprès des pères ignorants, entêtés ou récalcitrants. Sans désirer la coercition, je ne puis me dispenser d'y recourir en cas de besoin. Ce sera à regret, mais la persuasion n'ayant pas réussi, une nécessité sociale dicte le devoir rigoureux de l'État.

M. Bouvier-Parvilliez soutient que l'instruction, si elle est obligatoire, doit être organisée par quelqu'un. Par qui? demande-t-il. Par l'État. Je crains l'État partout. Car il signifie contrainte, réglementation. L'orateur n'en veut pas. Que ce soit la liberté de l'ignorance, qu'importe; je l'accepte; oui, j'en veux, quoique l'ignorance soit un mal. Mais il est des maux qu'il faut accepter.

La loi qui impose au père l'obligation de nourrir son enfant n'a point de sanction pénale. Il ne peut y en avoir davantage pour l'obligation d'élever l'enfant.

Quelle serait d'ailleurs la sanction pénale? Une contravention de simple police? Et pourtant vous déclarez qu'il y a là un crime commis. Et pour ce crime, 5 fr. d'amende!

M. Laduron apporte un fait, c'est qu'il est des communes en Belgique où l'obligation existe indirectement par la suppression des secours du bureau de bienfaisance. En ce moment déjà, à Jodoigne notamment, il ne reste plus personne qui ne sache lire et écrire. La même mesure a été prise à Ypres et à Hasselt.

Pourquoi, si la commune a le droit de décréter l'obligation, l'État ne l'aurait-il pas? L'orateur n'admet pas ce qu'a dit M. Foucher de Careil, que l'on jette l'enfant en pâture au maître d'école. Non, le maître comprend son devoir, il inculque la morale, sans toucher à aucun dogme; il sait respecter en cette jeune âme ce qu'il demande qu'on respecte en lui-même.

Telle a été, mon cher directeur, cette importante et si vivante discussion, dont je ne puis vous donner qu'une esquisse trop décolorée, mais que je me suis efforcé toutefois de vous résumer fidèlement en ses traits principaux. Ne croyez point que le débat fût épuisé, après tant d'orateurs qui l'avaient successivement élevé et étendu. Non, ce n'était point lassitude ni des combattants ni du public. L'ardeur de tous était plus grande qu'au premier jour et l'intérêt plus éveillé. Mais trois séances avaient déjà été occupées par cette grave question. Le Congrès n'avait plus qu'un jour à siéger. Il a fallu demander à vingt orateurs encore inscrits de renoncer à la parole, pour permettre aux étrangers qui avaient des communications à faire sur les autres questions portées au programme, d'aborder ces questions et d'échanger au moins quelques idées. On s'est promis de remettre au programme du Congrès prochain ces mêmes questions, afin de pouvoir les traiter complétement, comme leur importance l'exigeait. Ont pris part à l'escarmouche du 26 septembre, MM. De Groux, Blockhuys, Vercammen, Duriau, Discailles, Sperdebise, Desmarets, Clerckx, Jacobs, Sauvestre, Olivier, Laduron, Cogiovina, Sermon, etc.

Par le simple intitulé de ces questions en suspens, vous en mesurerez la portée :

1° Quelles sont les meilleures méthodes à employer pour conserver aux enfants sortis des écoles les bénéfices de l'instruction acquise?

2o Quels développements faut-il donner à l'étude des langues vivantes, et quelle part faut-il laisser dans l'enseignement à l'étude des langues mortes?

3o Quel est le rôle que la femme peut remplir dans l'enseignement?

Problème nouveau pour nos sociétés européennes, qui ont tout à gagner à appliquer l'expérience heureuse et réussie des

États-Unis, où la femme, même dans l'enseignement moyen, a été reconnue comme un maître plus excellent que l'homme, pour former l'enfant, le jeune homme aussi bien que la jeune fille, assouplir son caractère, adoucir ses mœurs. Mais laissons à la discussion prochaine, la solution de cette réforme. Et disons, pour conclure, que réellement le Congrès pour le progrès des sciences sociales a été œuvre utile et sera œuvre féconde. Voulez-vous mon sentiment sur le résultat de la grande discussion qui a fait le fond des délibérations de la seconde section: c'est que l'instruction obligatoire est désormais cause gagnée, ce principe est sorti victorieux de tous les discours. Il reste des opposants, des contradicteurs, sans doute. Toute vérité n'en rencontre-t-elle pas? Et je ne sais si je me trompe, mais dans les oppositions n'y aurait-il pas un intérêt de parti, de caste ou de secte? N'importe. Ce que la science et le droit naturel proclament juste et bon, ce que la pratique d'autres nations libres nous montre comme un exemple facile à suivre et sans danger pour la liberté autant que plein de fruits excellents pour la moralité et la civilisation générale, ce que la statistique douloureuse de l'instruction en France, en Belgique, nous affirme nécessaire dans l'intérêt des masses, sera réalisé, et l'heure prochaine sonnera où les législateurs écriront à la page première des lois sur l'enseignement et au fronton de tous les établissements publics d'instruction : « La liberté de l'ignorance est la négation de la liberté. »

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Les dernières obstinations de quelques esprits étroits, prétendus libéraux, et les oppositions des adversaires intéressés, seront fatalement écartées par la force irrésistible des faits et la logique de la vérité!

Restons, mon cher directeur, avec cette croyance sereine au progrès; qu'elle redouble nos ardeurs et nous fortifie en nos Juttes pacifiques de l'idée. ALBERT LACROIX.

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Président M. le comte de Liedekerke-Beaufort. Secrétaires : MM. Demot, G. Frédérix, Éd. Fétis, Gérard, Ad. Samuel.

La troisième section, ayant à fixer d'abord son ordre du jour, décide que les questions proposées par le comité fondateur

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