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Je me trouve devant un magnifique bataillon ayant sa droite appuyée par une section d'artillerie (deux pièces). Il représente, je suppose, un fort corps ennemi. Il fait un feu terrible sur l'armée anglaise; son artillerie redouble.

Me voilà derrière ce bataillon. Il execute le feu par files; chaque homme charge avec aisance, sang-froid et régularité; un point important à observer, c'est qu'ils visent très-bien avant de tirer; tout y est méthodique, sans cette précipitation souvent si funeste; ce feu doit causer beaucoup de pertes aux bataillons qui s'avancent.

Je n'ai pas de paroles pour traduire à mon inséparable J... l'admiration que j'éprouve. Quels beaux et robustes hommes! Quel superbe bataillon! C'est, me dit-il, le bataillon des « Inns of Court (the devil's own) » '. Les enfants du diable! Morbleu! je les crois bien nommés, et je pense qu'à l'occasion ils rendraient de grands services et justifieraient le plus possible leur nom de guerre. Je vois dans les rangs, parmi les officiers comme parmi les volontaires, de véritables colosses, des Goliath, des Samson. Je ne pense pas que le tailleur ait dû employer des artifices pour dessiner ces poitrines... j'allais dire ces poitrails!...

Ils combattent toujours, il me semble qu'ils sont trop téméraires, ils vont être débordés; enfin, ils battent en retraite, couverts par le feu de leurs tirailleurs. En ce moment, il me paraît qu'il y a un temps d'arrêt, de l'hési

1 Inn est le vieux mot anglais qui signifie maison ou résidence d'un noble; il correspond au vieux mot français hostel. Les étudiants des Inns of Court se préparaient aux cours royales, les Inns of Chancery étudiaient plus particulièrement la nature des écritures originales et judiciaires L'époque de la création des Inns of Court est douteuse, les anciens registres et parchemins ayant été détruits. Une proclamation de Henri III, vers 1220, prohiba l'étude des lois dans d'autres lieux que dans des bâtiments ou Inns désignés, et qui étaient alors, comme de nos jours, des sortes de colléges ou d'académies d'avocats.

Les principaux siéges actuels des Inns of Court sont: Le Temple,

- Lincoln's Inn, Gray's Inn, -Furnival's Inn. Ce bataillon est donc formé d'avocats et d'étudiants.

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tation. Peut-être un ordre a-t-il été mal transmis, mal compris ou mal exécuté? C'est qu'alors la faute d'un seul peut détruire la plus brillante combinaison. Les bataillons se forment en deux colonnes à quart de distance. Je suis en ce moment près de la 3o brigade. Dans un bataillon qui vient de ployer en colonne, on entend quelques mots après les commandements successifs de halt, front, dress. Une voix habituée au commandement s'écrie: << There is too much noise in this bataillon!» (Il y a trop de bruit dans ce bataillon!) Je me retourne... c'est un officier supérieur en uniforme gris très-simple, que j'ai vu acclamer sur son passage au défilé, c'est lord Ranelagh, commandant la brigade.

L'action se continue vers la gauche, j'entends une canonnade, une fusillade très-vives; mais il est cinq heures, et j'avoue que ces courses dans les labourés, sur des montagnes, par un soleil brûlant, ont un peu ralenti mon zèle à contenter une incessante curiosité. Je me porte sur un plateau entre les deux vallées; de là, je vois au loin les dernières manœuvres. Ou je me trompe fort, ou bien il y a eu une fausse interprétation des ordres donnés ou une faute commise dans l'exécution; on dirait qu'un incident survenu a contrarié les derniers moments. Toutefois, c'est une pure supposition que je risque; elle est peut-être bien erronée, aussi ne la donné-je ici que très-timidement.

Je revois pour la cinquantième fois ce magnifique 18e régiment de hussards. Comme ce brave régiment s'est prodigué pour suppléer au nombre! Quels beaux hommes! quel élégant uniforme, mais surtout quels superbes chevaux, forts, étoffés, bien membrés, riches de formes, courant partout, volant comme des gazelles ! Je les ai vus descendre au trot une colline assez escarpée; quels jarrets, quels muscles d'acier il fallait à ces brillants chevaux pour ne point culbuter les uns sur les autres et rouler jusqu'au fond! En les voyant bravement accomplir ce trait d'audace, je me suis écrié : Quelle cavalerie! quels chevaux!

R. T.

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Le détachement du 1er Hants Light Horse formait un escadron de toute beauté. Ces gentilshommes sont beaux, de grande taille, mais que diriez-vous si vous aviez comme moi pu admirer leurs chevaux, tous de grand prix, élégants et forts comme on n'en trouve peut-être qu'en Angleterre ?

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Six heures et demie. Quoique je fusse en route depuis huit heures du matin, quoique mon estomac.commencât à me tirailler et à murmurer contre cette longue abstinence, j'ai voulu voir repasser ces belles troupes que j'avais tant admirées les unes après les autres au défilé du matin. Je voulais les revoir après l'action, après neuf à dix heures de fatigues, depuis leur réunion. Je fus bien largement récompensé; j'en croyais à peine mes yeux. Les divisions marchaient alignées comme au défilé; dans toutes, le deuxième rang conservait la distance; les serrefiles, chose assez rare, maintenaient et l'alignement et la distance; le pas, la cadence étaient strictement observés. Je déclare ici, de la manière la plus formelle, n'avoir pas vu un seul homme qui ne fût au pas, pas un qui portât son arme négligemment ou différemment de la masse du bataillon; je n'ai pas vu un cigare, pas une pipe! Oh! il fallait que je me répétasse souvent: Et pourtant ce sont des gentilshommes, négociants, banquiers, rentiers, etc., des citoyens et non des soldats! Vous ne pouvez vous imaginer, mon cher Guillaume, combien alors, plus qu'au défilé, je les admirais; je tomberais dans des redites, et vous qui ne les avez pas vus, vous ne me comprendriez pas. Cela ne se démontre du reste pas il faut être du métier pour que tout à la fois saute aux yeux et pour qu'un seul faisant mal n'échappe point à l'observation. Je répète encore qu'une nation assez heureuse, assez fière pour avoir de tels enfants, doit être une grande nation entre les plus grandes. Tout ce que je vous dis de cette belle revue à Brighton, qui marquera pour moi dans mes plus brillants souvenirs de l'Angleterre, est de la plus religieuse vérité. J'ai vu sans envie, sans idée préconçue,

sans parti pris de dénigrer, de trouver mauvais, mais aussi sans projet arrêté d'avance de trouver tout bien, de tout louanger, de tout admirer. Dans le premier cas, j'aurais été un sot critique comme il y en a tant; dans le second, un vil flatteur; dans l'un comme dans l'autre, ridicule. J'étais allé à Brighton avec la simple curiosité d'un soldat qui va voir des soldats-citoyens et s'en moquer in petto. Je dus m'incliner devant leur bel aspect militaire et bien plus devant leur savoir faire.

Le commandant en chef, lord Clyde, m'ayant aperçu me fit l'insigne honneur de s'approcher de moi. Il me tendit la main et me dit dans le meilleur français : Vous ètes de l'armée belge. Vous êtes venu voir nos jeunes volontaires (leur création ne remonte qu'à deux ou trois ans). Il me parla quelque temps encore. En me quittant, il me tendit de nouveau la main; je la serrai respectueusement... Sa figure est sévère, loyale et franche comme celle d'un vrai soldat. Je ne l'oublierai jamais.

Mardi, 22 avril. - Avant mon départ, je veux visiter la ville et vous en dire quelques mots :

Brighton est une jolie ville d'Angleterre, sur la côte de la Manche, dans le comté de Sussex, vis-à-vis du port de Dieppe en France. On y compte à peu près 90,000 habitants. Elle doit à Georges IV son état florissant; déjà comme prince royal, il y allait chaque année prendre les bains, c'était sa résidence d'été de prédilection. Cette préférence amena nécessairement la vogue. C'est un des lieux les plus beaux qu'il y ait en Angleterre. Figurezvous un rivage escarpé, un quai immense, sur un côté duquel s'étend à perte de vue une ligne de maisons ou, pour mieux parler, de palais; de l'autre, l'Océan.

De la grève étroite qui sépare la ville des eaux de la mer, s'élance au-devant des navires une jetée en fil de fer qui va chercher, pour ainsi dire, les passagers à 1,000 pieds anglais au milieu des vagues. Ce remarquable ouvrage, commencé en 1822, par le capitaine Brown, achevé l'année suivante, a quatre ouvertures chacune d'environ

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250 pieds; sa largeur est de 14 pieds. Il souffrit beaucoup pendant la nuit du 15 octobre 1833; les avaries qu'on y constata servirent d'expérience aux ingénieurs anglais, qui se mirent à rechercher les moyens de prémunir les ouvrages suspendus contre les oscillations trop longues, latérales ou verticales, produites par des vents impétueux ou par la cadence trop régulière des prome

neurs.

Toutes les architectures sont réunies à Brighton : l'Italie, Constantinople, la Grèce, la Chine, le moyen âge, l'Espagne moresque, ont tour à tour inspiré pour la création de ses bâtisses, souvent belles, parfois sujettes à des reproches ou d'un goût plus que douteux. Le Pavillon, palais bâti par Georges IV, est un bâtiment magnifique qu'on ne saurait comparer à aucun autre, offrant des groupes de dômes, de coupoles, de minarets, de lanternes dont l'élégance bizarre ne semble créée que pour l'Inde avec ses grands horizons. Cette belle construction, enfouie au milieu de rues, de maisons modernes, y est, en quelque sorte, étrangère, dépaysée; l'aspect est totalement manqué. Je trouve à cette idée plus d'originalité que de goût, et même que de bon sens. La ville en a fait l'acquisition depuis quelques années. Le 18° régiment de hussards est, je pense, en partie caserné dans les dépendances et écuries du palais.

On y remarque de beaux squares, des enclosures ou jardins publics tels que le Level; mais la promenade à la mode, la plus agréable comme la plus fréquentée, c'est le quai qu'on appelle la parade. L'église Saint-Paul est belle, les vitraux coloriés sont d'une riche exécution; j'y ai admiré une belle, originale et malheureusement trop éphémère ornementation pour la solennité du dimanche, jour de Pâques, l'église entière était garnie de fleurs rares, d'arbustes en fleur, disposés avec une artistique symétrie, un goût parfait, et formant des emblèmes, des allégories, des chiffres, des dessins, des devises.

Peu de souvenirs historiques se rattachent à Brighton;

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